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Agriculture

Agriculteurs et radicaux : le réseau Fourche et champ libre s’épanouit

Depuis près de deux ans se développe en France un réseau de fermes d’un genre nouveau, proposant l’enseignement des pratiques agricoles accompagné d’une réflexion politique.

-  Marseille, correspondance

L’idée est partie d’une poignée de personnes sur la ZAD de Notre-Dame-des-Landes en 2012 : créer un jardin pour occuper la terre et permettre aux gens de se former et de produire eux-mêmes leur nourriture dans un lieu de lutte politique. Le jardin du Sabot est ainsi devenu un des premiers projets français du réseau européen Reclaim the Fields (RTF), lancé en 2007. Cette « constellation » — comme la définissent ses membres — revendique et met en pratique le droit pour les personnes qui travaillent la terre de pouvoir en disposer. Maya, 31 ans et membre du réseau français depuis un an, résume : « “Reclaim the fields”, ça veut dire “reprendre les terres” et pas seulement les ’‘réclamer’’ : on veut signifier qu’on est là et qu’on défend ces terres. Et, en étant ancré au terrain, on a plus de légitimité. »

La ferme du Sabot.

Dans cette lignée a mûri l’envie de favoriser une formation agricole libre et reliée à des luttes politiques. « Contrairement à l’image d’Épinal que l’on a souvent sur les paysans, l’agriculture ne va pas toujours de pair avec un mode de vie alternatif », explique Maya : dans le contexte actuel, l’agriculture reste soumise à un impératif de productivité et de profits. « On veut défendre une certaine radicalité : il y a un système qu’on critique, qu’on rejette et avec lequel on n’est pas d’accord, mais il faut aussi conserver une certaine ouverture et faire en sorte que ça soit une force de cohésion et pas de scission. »

Une trentaine de fermes engagées dans la démarche 

Comment transmettre des pratiques agricoles durables et conviviales au-delà du seul monde rural ? Cette question a poussé il y a deux ans une dizaine de personnes à mettre sur pied Fourche et Champ libre (Fech), un réseau de fermes prêtes à accueillir et à former des gens aux techniques agricoles. Dans le sud-est de la France, le réseau Fech, lancé en juin 2015, est un des plus actifs avec celui de Bretagne : une grande partie de la trentaine de fermes engagées dans la démarche sont réparties entre l’Ardèche, la Drôme, les Bouches-du-Rhône, le Vaucluse et les Hautes-Alpes.

Arboriculture, maraîchage, foin, boulangerie, traction animale, plantes aromatiques et médicinales… l’éventail des pratiques proposées dans les différents lieux est large et le réseau est en évolution permanente, au gré des rencontres et des expériences partagées. « Il faut qu’il y ait une envie et une démarche d’accueil et de transmission, et que l’on soit sûr des pratiques des lieux d’accueil, explique Manu, qui cultive du foin dans la plaine de la Crau, dans les Bouches-du-Rhône. Il y a peu de chances qu’on sollicite un gars qui a 500 hectares et qui cherche de la main d’œuvre gratuite en plus de ses 14 stagiaires ! »

Logés et nourris sur leur lieu de formation, les compagnons sont encouragés à s’engager pour des périodes relativement longues, parce que « l’immersion dans la vie quotidienne du lieu dans lequel on travaille fait aussi partie de la formation », souligne Maya. La prise en compte du temps long et la réciprocité sont d’ailleurs sûrement deux des différences principales entre Fourche et Champ libre et le woofing [1], comme l’explique Manu : « On n’a pas envie d’une certaine forme contractualisation que le woofing implique souvent, du genre : “On cherche de la main d’œuvre et en plus, ça nous arrange, c’est gratos.” »

"Méchants bisounours ou gentils punks"

Le danger d’une « consommation » des lieux par les personnes qui viennent se former est redouté par les instigateurs de Fourche et Champ libre : « Avec le woofing, le risque est que les gens restent deux jours par-ci, deux jours par-là, et ça devient une sorte d’“alternative tour” alors que là, le lieu d’accueil comme la ou le futur compagnon doivent être dans une démarche de transmission et d’apprentissage. Et la personne qui vient se former peut, elle aussi, apporter quelque chose à la pratique, à la réflexion : tout ça est évolutif et se fait dans l’échange. »

Pour se lancer dans une formation avec RTF, aucune compétence préalable ni diplôme particulier ne sont exigés mais plutôt un intérêt pour la démarche et l’envie de se former à une agriculture paysanne menée dans des cadres conviviaux et où la réflexion politique fait partie intégrante du travail quotidien : « Ce qu’on propose n’est pas une contestation du modèle familial mais une autre voie, un plus pour ceux que ça intéresse. C’est pour ça qu’on s’adresse autant à des militants concernés par l’autonomie alimentaire qu’à des lycéens agricoles ou à des gens qui n’ont jamais mis un pied dans la terre », raconte encore Manu.

Pour les sympathisants de RTF et de Fourche et Champ libre, avoir les deux pieds dans la terre pour se réapproprier la production agricole fait partie d’un positionnement politique : « On nous décrit souvent comme un mélange entre des punks autonomes et des bisounours verts, même si on est plutôt des méchants bisounours ou des gentils punks ! rigole Maya. En tout cas, on ne veut pas correspondre à des cases toutes faites : on veut juste dire qu’il y a un système qui est dur et qui nous impose des choses qui ne nous vont pas. On essaie de s’organiser pour contrer ça, à notre échelle mais aussi plus largement en défendant nos terres, notre autonomie et nos libertés. »


Les personnes intéressées peuvent envoyer un courriel à l’adresse du réseau pour préciser leurs envies et leurs besoins. Une discussion téléphonique sera ensuite organisée avec un des référents pour orienter le futur compagnon vers le lieu le mieux adapté.

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