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Ukraine

Agriculture, faune… Désastre écologique après la destruction du barrage ukrainien

La rupture du barrage de Kakhovka a provoqué l’inondation de dizaines de villages, comme ici, à Kherson le 7 juin 2023.

La rupture du barrage hydroélectrique de Kakhovka a provoqué l’inondation de dizaines de villages. L’agriculture ainsi que les animaux vont pâtir de ce qu’un ministre ukrainien qualifie de « catastrophe environnementale ».

Une nouvelle catastrophe humaine et écologique se profile en Ukraine, quelques jours après la destruction, dans la nuit du 5 au 6 juin, du barrage hydroélectrique de Kakhovka — dont Kyiv et Moscou s’attribuent mutuellement la responsabilité. Long de 240 kilomètres, le réservoir attenant à ce barrage (situé dans le sud du pays, sur la ligne de front séparant les belligérants) contenait plus de 18 milliards de tonnes d’eau. Sa rupture a provoqué l’inondation de dizaines de villages et l’évacuation de 6 000 citoyens ukrainiens, selon le Guardian. Les autorités et associations environnementales ukrainiennes dénoncent également un « écocide ». Si l’ampleur des dégâts reste encore à évaluer, le vice-ministre ukrainien des Affaires étrangères, Andri Melnyk, a qualifié l’évènement de « pire catastrophe environnementale en Europe depuis Tchernobyl ».

Cette réserve d’eau servait à irriguer et approvisionner en eau potable la région

Selon Natalia Gozak, agent de sauvetage de la faune et de la flore à Kyiv pour le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) citée par le Monde, les effets de la destruction de ce barrage pourraient s’étendre « sur 5 000 kilomètres carrés ». En amont, des écosystèmes aquatiques entiers pourraient être privés d’eau et disparaître, s’inquiète-t-elle. Dans le village voisin de Marianske, des milliers de poissons ont été retrouvés, morts, sur le fond asséché du réservoir. Au total, quarante-trois espèces de poissons pourraient être privées de leur habitat. Les plantes aquatiques, hirondelles et canards morillons qui vivaient dans le réservoir pourraient également périr.

Cette réserve d’eau était par ailleurs utilisée depuis les années 1950 pour irriguer et approvisionner en eau potable la région. La baisse de son niveau est associée à « un risque élevé de pénurie d’eau », selon l’ONG Ecoaction. « Des centaines de milliers d’hectares de terres agricoles seront privées d’eau, ce qui pourrait entraîner une catastrophe humanitaire et menacer la sécurité alimentaire » du pays, craint-elle.

L’eau aurait été polluée par 150 tonnes d’huiles de moteur

En aval, quarante-huit zones protégées — dont trois parcs nationaux — pourraient être détruites par les inondations. Depuis la rupture du barrage, l’eau se déverse en grande quantité dans le Dniepr, le quatrième fleuve le plus long d’Europe. Les écosystèmes uniques qui le jalonnent pourraient être profondément perturbés, selon Ecoaction. L’organisation s’attend à une « détérioration de la qualité de l’eau » en raison de la décomposition des cadavres d’animaux noyés et charriés par les flots. Selon des responsables ukrainiens cités par Libération, l’eau aurait également été polluée par 150 tonnes d’huiles de moteur, ainsi que par divers déchets agrochimiques et pétroliers situés sur son passage.

Interrogé par Franceinfo, l’hydrologue et biologiste ukrainien Yevhen Korzhov explique que « la pollution et les microorganismes pathogènes » charriés par les eaux pourraient « pénétrer dans les nappes phréatiques ». « L’état sanitaire et épidémiologique des eaux de surface et souterraines va se dégrader au cours des prochains mois », présage-t-il. Selon le professeur, cette inondation serait le point de départ « d’une grande catastrophe écologique, qui ne s’est encore jamais produite sur le territoire de l’Europe au cours du siècle ».

Les inondations risquent de mettre en péril plusieurs espèces animales

Les inondations risquent de mettre en péril plusieurs espèces animales. Selon le Groupe ukrainien de protection de la nature (UNCG), interrogé par nos confrères du Monde, les zones aujourd’hui immergées servaient notamment de refuge à une espèce rare de fourmi, la Liometopum microcephalum. Selon les observations de l’association, les populations de rats-taupes des sables et de gerbilles de Falzfein auraient déjà diminué de 50 %. La souris de Nordmann, dont 70 % de la population mondiale vivait dans des zones inondées, pourrait quant à elle s’éteindre localement.

En ce qui concerne la centrale de Zaporijia, située en amont du barrage, les autorités se veulent cependant rassurantes. Certes, la retenue d’eau formée par le barrage de Kakhovka représente jusqu’à présent la principale source de refroidissement de cette installation nucléaire ; et si le niveau du réservoir passe sous la barre de 12,7 mètres, l’eau qu’elle contient ne pourra plus être pompée pour refroidir l’installation. Mais d’autres ressources seraient prévues pour éviter la surchauffe, selon l’Agence internationale de l’énergie atomique, citée par Le Figaro. L’instance intergouvernementale a notamment évoqué un grand bassin situé à proximité de la centrale de Zaporijia. « Une fois pleines, ces réserves suffiront à fournir à la centrale l’eau dont elle a besoin pour refroidir ses six réacteurs ainsi que son combustible usé pendant plusieurs mois. »

La destruction du barrage hydroélectrique de Kakhovka s’ajoute à la liste déjà longue des désastres humains et écologiques provoqués par la guerre en Ukraine. L’invasion russe, qui a causé la mort de milliers de civils, a également ravagé la nature. Depuis février 2022, 300 millions de mètres carrés de terres ukrainiennes ont été polluées, plus de 1 000 de feux de forêt ont été déclenchés, et 3 millions d’hectares de bois endommagés.

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