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Ukraine

Ukraine : un an de guerre a ravagé la nature

Le niveau de l'eau de la rivière Dnipo a baissé de 2 mètres à cause des bombardements russes sur des soupapes.

Forêts brûlées, terrains minés, cours d’eaux pollués, oiseaux désorientés... Retour sur un an de destruction de la nature causée par la guerre en Ukraine.

Si la guerre menée par la Russie contre l’Ukraine est une catastrophe pour les humains (près de 300 000 soldats blessés ou tués et 7 000 civils morts [1]), elle l’est également pour leur environnement. « La guerre pollue. C’est une évidence, mais cette pollution est très peu étudiée et documentée. C’est un angle mort », déclarait Bastien Alex, coauteur du livre La Guerre chaude (Presses de Sciences Po), à Reporterre. Il s’agit pourtant d’une bombe à retardement pour les Ukrainiens.

« Il est très difficile de quantifier à ce jour les dommages environnementaux provoqués par la guerre, notamment car les combats se poursuivent et que plusieurs régions sont encore occupées, déclare Céline Sissler-Bienvenu, représentante d’IFAW France dans un communiqué. Mais nous savons, grâce aux rapports du ministère, que plus de 300 millions de mètres carrés de terres ukrainiennes ont été polluées, ce qui est délétère pour les animaux et les personnes, et le restera longtemps après la fin de la guerre. »

Opération déminage à Izyum, en Ukraine le 2 novembre 2022. © Wolfgang Schwan / Anadolu Agency via AFP

« On manque de données pour recouper certaines informations, mais selon les chiffres délivrés par les autorités ukrainiennes, 3 millions d’hectares de forêts auraient été endommagés », témoignait Yehor Hrynyk, biologiste et membre du Groupe ukrainien de conservation de la nature, dans Reporterre l’été dernier. « Depuis le début de la guerre, plus de 1 000 feux de forêt ont été déclenchés en raison des combats, ce qui a généré 33 millions de tonnes de CO2 », abonde Charlotte von Croÿ, chargée de programme Secours d’urgence lors de catastrophes pour IFAW, dans un communiqué.

Une contamination de l’air, des sols et des eaux

Dès le 25 février 2022, au lendemain seulement de l’invasion russe, l’Observatoire des conflits et de l’environnement (CEOBS) dressait déjà un premier bilan – non exhaustif – des dégâts. Dans des dizaines de villes, des incendies sur des infrastructures militaires et des aérodromes avaient libéré « une pollution atmosphérique nocive » composée de gaz toxiques, de particules fines et de métaux lourds qui se sont répandus ensuite dans des zones où résident des civils – laissant craindre une contamination des sols et des cours d’eau.

Depuis, la situation ne s’est pas améliorée. Le 21 février 2023, les ONG Greenpeace Europe centrale et de l’est, et Ecoaction, ont publié une carte recensant des destructions environnementales causées par la guerre depuis un an. Sur près de « 900 cas identifiés », 30 « parmi les plus graves » y sont représentés : des incendies de dépôts pétroliers à Okhtyrka, à Kharkiv, ou encore à Lviv ; une destruction de réservoir d’eau à Oskil ; une destruction d’usine proche de Marioupol, qui a augmenté le risque de pollution marine…

Carte interactive des dommages environnementaux causés par la guerre russe en Ukraine, par Greenpeace et Ecoaction. Greenpeace.org

Dans un communiqué, Greenpeace et Ecoaction soulignent que les explosions de roquettes et d’artillerie disséminent un cocktail de différents composés chimiques : monoxyde et dioxyde de carbone, vapeur d’eau, oxyde d’azote, protoxyde d’azote, etc. « Les principaux d’entre eux (le dioxyde de carbone et la vapeur d’eau) ne sont pas toxiques, mais contribuent au changement climatique, précisent les deux ONG. Les oxydes de soufre et d’azote peuvent également être à l’origine de pluies acides, modifiant le pH des sols et provoquant des brûlures de la végétation, notamment des conifères. » Les pluies acides sont également dangereuses pour les humains et les animaux.

Plus globalement, tous les fragments métalliques des obus utilisés par les armées constituent un risque pour l’environnement – ces substances se retrouvent dans le sol, voire dans les eaux souterraines, et peuvent contaminer les chaînes alimentaires – et l’avenir de l’agriculture ukrainienne.

Dauphins morts, oiseaux désorientés... Des effets sur les animaux

« La guerre va avoir des conséquences sur le très long terme, tant sur la santé des populations que sur les écosystèmes, prévenait Yehor Hrynyk dans Reporterre. De nombreux territoires sont minés et les animaux sauvages en sont souvent les premières victimes. »

Dans un article publié par le Guardian, des scientifiques ont alerté en mai 2022 sur les conséquences de la pollution sonore générée par les activités militaires sur les mammifères marins de la mer Noire. Elle pourrait être responsable de l’augmentation « extraordinaire » des échouages de dauphins communs (Delphinus delphis) observée en Turquie.

« Les oiseaux migrateurs sont également touchés, car leurs routes migratoires passent au-dessus des zones de conflit. Désorientés, ils doivent changer de route sans se poser et s’épuisent », indique le Fonds international pour la protection des animaux (IFAW) dans un communiqué.

Les routes migratoires des oiseaux passent au-dessus des zones de conflit

Les combats près de Kherson (au Sud) ont aussi provoqué des incendies dans la réserve de biosphère de la mer Noire, une des plus grandes zones naturelles protégées d’Ukraine qui abrite plusieurs espèces en voie de disparition, comme le rat-taupe des sables ou de multiples oiseaux migrateurs.

En tout, d’après le ministère ukrainien de l’Environnement, 20 % des aires protégées, 600 espèces animales et 750 espèces de plantes et de champignons ont souffert de la guerre depuis un an. Plus d’un million d’hectares de réserve naturelle ont été touchés.

Un recul de la réglementation environnementale

En décembre 2022, le biologiste Yehor Hrynyk, s’inquiétait aussi des conséquences indirectes de la guerre sur l’écosystème ukrainien, et notamment de l’augmentation des pressions dans les régions non touchées par la guerre. La crise politique tend à amoindrir les normes environnementales, expliquait-il à Reporterre, dans une dynamique semblable à celle décrite par l’essayiste canadienne Naomi Klein dans son ouvrage La stratégie du choc.

Depuis le début de la guerre, le parlement ukrainien a annulé plusieurs restrictions environnementales. L’interdiction d’abattre des arbres au printemps et en été a été levée, et les contrôles relatifs à la déforestation restreints. Le ministre de l’Environnement a également affirmé vouloir accroître de 150 % la récolte de bois – un projet qu’il justifie par la nécessité de fournir la population en bois de chauffage.

Pendant les premiers mois de la guerre, les coupes de bois ont augmenté de 40 % dans les entreprises forestières d’État.

« En réalité, l’objectif premier est de relever les exportations vers l’Union européenne », pensait Yehor Hrynyk. Le biologiste craignait également que l’exploitation forestière illégale s’aggrave, notamment en raison de la suspension des activités d’inspection de l’État.

Même si cela peut être perçu comme secondaire, il faut se préoccuper des dommages environnementaux dès maintenant, insistait-il. « Les menaces sur la nature sont immédiates. L’Ukraine n’a pas le temps d’attendre la fin de la guerre ou son entrée dans l’Union européenne, il faut agir maintenant. » Les ONG Greenpeace et Ecoaction appellent à « la mise en place de mécanismes et à l’allocation de ressources financières pour la restauration de l’environnement en Ukraine », en parallèle de la future reconstruction des villes du pays.


LA MENACE NUCLÉAIRE

Une autre crainte plane toujours : celle d’un accident nucléaire. Dès les premiers jours du conflit, le nucléaire s’est retrouvé au cœur de la bataille. La centrale de Tchernobyl a été envahie par l’armée russe et une hausse de la radioactivité y a été observée. Celle de Zaporijia – la plus grande centrale d’Europe – est toujours au cœur des combats, étant située sur la ligne de front, au sud du pays. « Les risques d’accident grave sur les installations nucléaires restent bien réels », a déclaré le Criirad [2] dans un communiqué publié le 23 février.

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