En agriculture, les bienfaits incertains de l’agrivoltaïsme

Un scientifique de l’Inrae Montpellier analyse les feuilles des vignes situées à proximité des panneaux photovoltaïques à Piolenc. - © Anouk Anglade / Reporterre
Un scientifique de l’Inrae Montpellier analyse les feuilles des vignes situées à proximité des panneaux photovoltaïques à Piolenc. - © Anouk Anglade / Reporterre
Durée de lecture : 12 minutes
L’agrivoltaïsme est-il au service des projets agricoles ? S’il peut avoir un intérêt dans des cas particuliers et à très petite échelle, aucune preuve d’un bénéfice agronomique n’a encore été apportée.
• Vous lisez la deuxième partie de notre enquête consacrée à l’agrivoltaïsme. Le volet 1 est ici ; le volet 3 est là.
Drôme et Vaucluse, reportage
Une structure à 5 mètres de haut, des travées métalliques sur lesquelles sont posées des lignes de panneaux solaires qui pivotent sur un axe motorisé en suivant la course du soleil. En dessous, vingt-sept rangées de jeunes arbres plantés au printemps dernier. « C’est joli non ? » C’est surtout surprenant pour un champ de cerisiers.
Arboriculteur à Loriol-sur-Drôme (Drôme), Adrien Clair n’a pas choisi une telle installation pour l’esthétique, mais pour faire face à la multiplication des pépins climatiques : « Il y a deux ans, on a eu le gel, on a perdu la totalité de la récolte des cerises », raconte-t-il. Froid, vent, grêle, sécheresse… depuis qu’il a rejoint l’entreprise familiale Clair Fruits, le jeune homme cherche des solutions pour s’adapter au climat changeant : plantation de grenadiers et de kiwitiers, nouvelles techniques de taille des arbres et désormais des panneaux photovoltaïques pour protéger ses cultures.

Après un test sur 2 500 m², Clair Fruits a inauguré début septembre une installation agrivoltaïque dite « dynamique » sur une parcelle de 2,8 hectares de jeunes cerisiers. Il est 15 heures, les moteurs de l’installation s’enclenchent dans un certain fracas pour faire pivoter les panneaux et laisser passer le maximum de soleil.
L’agriculteur y trouve-t-il un intérêt financier ? « Ma priorité, c’est de garantir la production de fruits. Je ne touche rien, pas un sou, ni loyer ni participation au projet », dit Adrien Clair. Et pas question pour lui de s’endetter. C’est Sun’Agri, l’entreprise à laquelle il s’est associé, qui a mené le chantier et assure la programmation des panneaux comme leur maintenance, en restant propriétaire de l’installation — un modèle qui est loin d’être généralisé, la majorité des agriculteurs touchant une redevance.
Une idée née au Japon
Qui a eu un jour cette idée atypique de mettre des panneaux au-dessus des sols ? Au départ, ces systèmes sont nés au Japon, où la surface foncière est très contrainte. Installer des microprojets sur 0,1 hectare permettait de fournir un appoint électrique local. En France, on doit la popularisation du terme d’« agrivoltaïsme » à Christian Dupraz.
Après avoir travaillé des années sur l’agroforesterie — dont il préside encore l’association française — ce chercheur de l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae) s’est associé dans les années 2010 avec un ingénieur de l’entreprise Sun’R. Ensemble, ils ont lancé le programme de recherche baptisé « Sun’Agri » et écrit des premières publications scientifiques et une définition en 2012. « La relation panneaux/culture doit s’apprécier sous deux angles : d’un côté la compétition pour la lumière, de l’autre les bénéfices microclimatiques aléatoires », nous explique le chercheur.
Une décennie et trois programmes de recherche plus tard, Sun’Agri est devenue une filiale à part entière de Sun’R, spécialisée dans les solutions d’adaptation au changement climatique. L’entreprise dispose d’une vingtaine de petites installations fonctionnelles, en vallée du Rhône et en Roussillon, et prépare une cinquantaine de projets de 3 à 5 hectares, la surface maximale préconisée par Dupraz lui-même.

Au départ assez isolée sur ce créneau, l’entreprise est désormais rejointe par l’ensemble des énergéticiens : TotalÉnergies, Engie Green, EDF Renouvelables, TSE, Voltalia, Urbasolar… qui portent des projets beaucoup plus imposants. Savoir ce qui relève ou non réellement de l’agrivoltaïsme devient un enjeu essentiel : si les projets entrent dans le cadre de la loi, ils ne seront pas comptabilisés officiellement comme une artificialisation des sols.
La loi d’accélération de la production des énergies renouvelables (Aper), votée en février 2023, a en effet fixé un premier cadre et une définition officielle : les modules photovoltaïques doivent « apporter directement » à une production agricole « significative » l’un de ces quatre bénéfices : amélioration du potentiel et de l’impact agronomique, adaptation au changement climatique, protection contre les aléas, amélioration du bien-être animal.
Le bon projet, les brutes et les truands
Pour faire accepter l’agrivoltaïsme, encore faut-il éviter de reproduire les schémas du passé. Jusqu’ici, l’intérêt pour l’agriculteur résidait surtout dans les retombées économiques de la production d’électricité. Les années 2010 ont vu fleurir des centaines de hangars, inutiles, mais équipés de panneaux produisant une électricité à l’époque achetée très cher par EDF. En 2019, ce fut au tour des « serres photovoltaïques » de faire scandale. Dans les Pyrénées-Orientales, une enquête administrative avait révélé que deux tiers d’entre elles étaient vides de toute activité agricole la majeure partie de l’année.
D’où l’enjeu pour les promoteurs comme les agriculteurs de se distinguer, au moins en apparence, de ces expériences repoussoir du passé. « Il faut des règles. Mais est-ce qu’on s’interdit de faire des voitures parce qu’il y a quelques mauvais chauffeurs ? » questionne André Bernard. Gérant dans l’EARL (Entreprise agricole à reponsabilité limitée) la Comtesse, à Uchaux, dans le Vaucluse, il a depuis cinq ans équipé ses serres maraîchères en panneaux.

Également président de la chambre régionale d’agriculture de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur, André Bernard affronte une relative hostilité dans les départements, ou même au sein de la FDSEA (Fédération départementale des syndicats d’exploitation agricole), le syndicat agricole majoritaire et productiviste : « Certaines personnes sont vent debout contre, mais n’ont même pas le courage de venir voir ce qui se passe ! » Il tient à nous montrer sa serre photovoltaïque, construite il y a six ans, où il produit depuis cinq ans une douzaine de cultures maraîchères en toute saison : asperges, tomates, aubergines, poivrons, épinards, radis…
« Avant, mon père cultivait tout ça en plein champ, protégé par des haies de cyprès, mais ce n’est plus possible », explique André Bernard. La raison : le changement climatique et le mistral, qui assèchent les cultures dans la plaine du Rhône. Sous la serre, il fait une chaleur douce, non perturbée par les rafales. « En étant président de chambre et avec mon beau-père maire, il m’a fallu trois ans pour obtenir les permis. 90 % des gens auraient abandonné, mais regardez le résultat ! »

Si la tomate en plein champ reste toujours le revenu principal de l’exploitation, le maraîchage sert de socle de diversification : « Sans cette protection, on ne ferait plus de légumes. » Hormis des apports en fertilisation, André Bernard n’utilise sous la serre aucun produit de synthèse. Pour cette serre-là, André Bernard a « mis à disposition le sol sans toucher aucun loyer ».
En contrepartie, il bénéficie de la structure construite par les promoteurs. Il fait aussi bâtir une nouvelle serre, plus expérimentale, avec des panneaux double-face et différents degrés d’ombrage pour cultiver des fraises hors-sol. « Bien sûr qu’il faut des règles, un mécanisme de contrôle. L’administration sait bien les faire pour la PAC ou le zéro phyto. Mais il ne faut pas laisser passer cette occasion. »
Un intérêt agricole faiblement démontré
Si les expérimentateurs semblent très satisfaits du résultat, que dit la science des effets de l’agrivoltaïsme sur la production agricole ? Avant tout, que les résultats probants sont encore très limités. Ensuite, ces références agronomiques concernent des variétés précises pour certaines productions, notamment en arboriculture, maraîchage et viticulture.
Sur le site expérimental de Piolenc (Vaucluse), l’Inrae suit depuis cinq ans l’effet des panneaux sur la croissance de la vigne et du raisin. Chargée de recherche en écophysiologie dans l’équipe Efficience de transpiration et adaptation des plantes aux climats secs (Etap) de Montpellier, Angélique Christophe a participé aux premiers travaux évaluant l’intérêt d’un ombrage modéré par des panneaux pilotés, notamment sur la consommation d’eau et la qualité du raisin.

« On doit prendre en compte l’effet sur les rendements d’une année, mais aussi ceux de l’année suivante, la quantité d’ombrage avant et après la floraison, et la réaction en fonction des cépages », explique-t-elle. Pour avoir une idée des résultats sur les rendements, il faut cette fois se tourner vers des démonstrateurs dans des exploitations privées ou sur des terrains appartenant aux chambres d’agriculture.
À la ferme expérimentale d’Étoile-sur-Rhône (Drôme), on se veut prudent quant au bénéfice de l’installation pilote construite en 2021 pour accueillir différentes variétés de pêchers et abricotiers. Oui, il y a bien une « baisse de la consommation d’eau du fait d’une couverture dynamique », a constaté Sophie Stévenin, directrice de ce site de la chambre d’agriculture de la Drôme, mais « les résultats ne pourront s’apprécier que sur cinq ans ».
Baisses de rendement
Pour faire le tri entre les modèles et les expérimentations, un pôle national de recherche de l’Inrae vient d’être créé, à Lusignan (Vienne). Y participent cinquante-six partenaires publics et privés. L’un des objectifs est d’arriver à établir à partir de résultats concordants des références par espèce, par variété, par type de sol et climatologie.
Pour Christian Dupraz, de premiers enseignements généraux peuvent néanmoins déjà être tirés. Réalisant une synthèse d’une trentaine d’expériences aux résultats significatifs dans le monde, le chercheur a conclu dans une publication récente que « le taux de couverture des panneaux — leur surface à plat rapportée à l’hectare — est directement corrélé à la baisse des rendements », qui chutent massivement si ce taux dépasse 25 %. Et pour une raison simple : « Il est impossible d’assurer les mêmes rendements quand on intercepte entre 20 à 50 % du rayonnement solaire, sauf si ces panneaux sont pilotés », affirme le chercheur.

Pourtant, pour les promoteurs de l’agrivoltaïsme, l’enjeu est de couvrir jusqu’à 45 % de la surface à l’hectare. Certains projets s’installent sur de grandes cultures et, surtout, sur les très recherchées terres d’élevage, qui offrent la possibilité d’installations très étendues. Si les fédérations nationales ovine et bovine élaborent différentes chartes de bonne conduite, les références scientifiques sur ces projets font encore cruellement défaut.
Ce que l’on sait en revanche déjà, c’est que la production de lait ou de viande restera toujours insuffisamment rémunératrice. Mikaël Tichit, de la section ovine de la FDSEA de Lozère, avertit : « On ne fera pas tenir des projets agricoles structurellement déficitaires avec des chèques. Ce qu’il faut, c’est payer le travail et la production à un prix rémunérateur. » Un combat qui semble difficile à faire entendre, tant les difficultés dans la survie des exploitations conduisent nombre de propriétaires fonciers à accepter les conditions posées par les promoteurs.
Agrivoltaïsme : un mot, quatre technologies différentes
Si le principe de l’agrivoltaïsme est commun à tous, les types d’installations peuvent être très différents. On peut les classer en quatre familles.
- 1. L’ombrière fixe est la forme la plus simple, et la plus sujette à caution. La principale différence avec un parc au sol « classique » : les panneaux sont plus hauts et les rangs plus espacés, surtout pour laisser passer des machines agricoles. Ces projets se retrouvent dans l’élevage ovin ou bovin ainsi qu’en grandes cultures céréalières. Ils sont proposés par les entreprises GLHD, VSB ou TSE, notamment. À noter que l’Inrae de Clermont-Ferrand et Engie Green étudient actuellement l’utilité d’installations fixes, mais cette fois verticales, appelées « haies agrivoltaïques ».
- 2. Les « trackers » sont des panneaux qui tournent en suivant la course du soleil et qui optimisent ainsi le rendement d’électricité, de près de 40 % supplémentaire par rapport à une orientation au sud. L’entreprise OkWind s’est par exemple spécialisée dans ces systèmes sur poteau, pour des élevages en plein air de volailles.
- 3. Les panneaux « dynamiques » poussent la technologie plus loin. Cette fois, les modules sont orientables selon un ou deux axes, mais sont couplés à un pilotage informatique permettant de varier l’inclinaison des panneaux en fonction des besoins des plantes, notamment les vignes et les arbres fruitiers. Ces techniques sont principalement élaborées par Sun’Agri et Ombrea, qui vient d’être racheté par TotalÉnergies.
- 4. Enfin, les serres agrivoltaïques dites « de nouvelle génération » sont des serres fermées, dont la toiture est au tiers couverte de panneaux laissant passer une partie de la lumière entre les modules et même entre les petites cellules qui composent le panneau.
Il s’agit toutefois là de propositions commerciales dont les retours d’expérience pratique sont trop insuffisants pour pouvoir conclure à l’efficience de telle ou telle technologie.