Alok Sharma, président de la COP 26 : « Chaque fraction de degré fait la différence »

Alok Sharma, président de la COP26, à Glasgow en mai 2021. - © Russell Cheyne/Pool/AFP
Alok Sharma, président de la COP26, à Glasgow en mai 2021. - © Russell Cheyne/Pool/AFP
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« Nous voulons que les dirigeants mondiaux réagissent avec le même sentiment d’urgence au défi du changement climatique qu’à celui de la pandémie », assure Alok Sharma. À cent jours de la COP26, son président exhorte les pays donateurs du G7 à augmenter leurs engagements financiers dans la lutte contre les changements climatiques.
Cet entretien est paru à l’origine dans The Times of India. Il est republié ici — dans une version traduite et plus concise — dans le cadre de Covering Climate Now, une collaboration mondiale de plus de 250 médias pour renforcer la couverture des changements climatiques.
À moins de cent jours de la vingt-sixième session de la Conférence des parties (COP26), qui aura lieu en novembre 2021 à Glasgow (Écosse), le ministre britannique et président de la COP Alok Sharma a évoqué l’importance des jeunes militants du climat, le maintien nécessaire du réchauffement à 1,5 °C et l’importance de respecter les engagements concernant les financements climat. [1]
Alok Sharma — La COP n’a pas pu se tenir en 2020 en raison du Covid. Cela a-t-il représenté un contretemps dans la lutte contre le changement climatique ?
Il y a eu des avancées en un an, depuis que le Royaume-Uni a pris la présidence de la COP. Les États-Unis, dirigés par Joe Biden, ont réintégré l’Accord de Paris. Cela signifie que le pays est à nouveau en première ligne pour combattre le changement climatique. Pourtant, malgré le Covid, le changement climatique n’a pas pris de pause : l’an dernier a été le plus chaud jamais enregistré, comparable à 2016 [2], et la dernière décennie la plus chaude enregistrée. Voilà pourquoi il est vital que le monde se rassemble en novembre afin qu’on trouve un accord et qu’on puisse dire, de manière crédible, qu’on a fait en sorte de maintenir l’augmentation de la température par rapport à l’ère prindustrielle à 1,5 °C.
Les COP ne sont-elles pas devenues une sorte de talk show, de débats télévisés ? Durant lesquelles les gouvernements se jaugent avec suspicion ?
J’ai voyagé dans trente pays ces derniers mois, et je continuerai de voyager encore malgré le Covid. Je vais essayer de construire de la confiance, et du lien, cela sera vital. Mes quatre objectifs de la COP26 sont : l’ambition de garder la limite de 1,5 °C d’actualité ; le soutien financier des pays développés aux pays en développement ; que ceux qui ont des plans d’adaptation avancent et enfin que l’on règle des problématiques importantes concernant les règles d’application de l’Accord de Paris.
Quels autres points clés seront négociés à la COP26 ?
Chaque pays a beaucoup de choses à régler, et ce avant novembre. Il y a déjà eu des réunions cette semaine [les 22 et 23 juillet à Naples]. Les cinq points clés de la discussion sont l’adaptation au changement climatique, la finance, les pertes et dégâts, l’article 6 et les 1,5 °C.
Les politiques doivent savoir ce qui est en jeu et le besoin de compromis. Cette prochaine décennie va être décisive pour établir le futur de notre planète pour ce qui concerne le climat et la biodiversité. Je dis toujours que le futur d’un enfant né aujourd’hui sera déterminé avant qu’il ne finisse son école primaire. C’est grave à ce point.

Comment les différents pays voient-ils le militantisme pour le climat ?
En tant que président de la COP, je prends le travail des activistes du climat très au sérieux. Pour la première fois, nous avons mis en place un groupe consultatif composé de jeunes et de membres de la société civile venus du monde entier, qui ont travaillé avec mes équipes à l’élaboration de la COP. Pour la réunion de mars [3], nous avons aussi recueilli les conseils et les avis de militants de la société civile et de la jeunesse. À chacune de mes visites, j’essaie de les rencontrer et d’entendre leurs points de vue. En vérité, les militants du climat tendent très souvent un miroir aux dirigeants mondiaux. Et nous en avons besoin. Lors de la COP26, nous aurons un Youth Agenda Day, une journée consacrée à la jeunesse axée sur les points de vue des jeunes et sur les questions liées à l’éducation. L’Italie (partenaire de la COP26) organise un événement sur le climat à Milan avant la COP (appelé sommet pré-COP26). Environ quatre cents jeunes du monde entier, des jeunes militants pour le climat, se réuniront et présenteront leurs points de vue aux ministres.
Selon les scientifiques du Giec, la limite de 1,5 °C requiert de fortes réductions des émissions. Mais on débat toujours de savoir si cette limite devrait être de 1,5 ou 2 °C.
On doit juste prendre un peu de recul et jeter un œil à ce sur quoi le monde s’est mis d’accord à Paris en 2015. Les dirigeants du monde entier se sont réunis et ont déclaré que nous devions faire tout ce qui était en notre pouvoir pour maintenir l’augmentation moyenne de la température mondiale en dessous de 2 °C degrés et au plus près de 1,5 °C. C’est la raison pour laquelle nous parlons de cet objectif primordial pour nous, collectivement, celui de pouvoir dire que nous avons fait notre possible pour que la limite de 1,5 °C soit toujours d’actualité.
Aujourd’hui, la science nous dit que la température mondiale moyenne a augmenté de plus d’un 1 °C et nous en voyons les conséquences au quotidien. En Europe, on l’a vu, des inondations très tragiques ont eu lieu en Allemagne. Partout dans le monde, nous constatons les effets du changement climatique et chaque fraction de degré fait la différence.
Les financements climat seront l’une des questions centrales de la COP26, notamment l’engagement de 100 milliards de dollars par an pour répondre aux besoins des nations en développement. Selon l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), seuls 79 milliards de dollars sont mobilisés, tandis qu’Oxfam parle de 20. Comment ce déficit va être comblé ?
Il y a un certain nombre de problèmes en ce qui concerne les financements. Le premier est que nous devons respecter cet engagement de cent milliards de dollars par an [84 milliards d’euros]. Un rapport de l’OCDE a affirmé qu’en 2018, nous avions atteint un peu moins de 80 milliards de dollars. Tous les pays du G7 ont proposé de mettre plus d’argent sur la table. Le Royaume-Uni double son engagement et le Japon, l’Allemagne et le Canada ont aussi mis plus d’argent sur la table. Nous avons besoin que tous les autres donateurs s’engagent à donner plus d’argent.
D’ici la COP26, les pays auront plusieurs occasions de se manifester et de faire de nouvelles annonces. Voilà ce que les pays en développement voudront absolument voir — un plan solide détaillant comment, et quand ces deux prochaines années, nous allons obtenir les 100 milliards de dollars. Pour eux, il s’agit d’un chiffre totémique qui est devenu une question de confiance. Par ailleurs, si les 100 milliards sont d’une importance vitale, nous devons veiller à mobiliser des milliers de milliards de dollars du secteur privé parallèlement à cet engagement. Nous devons faire en sorte que les investisseurs privés puissent investir dans les pays en développement, dans des infrastructures résistantes au changement climatique et dans la transition vers une énergie propre, tout en veillant à ce qu’ils puissent obtenir un retour sur investissement.

La distribution de l’argent entre atténuation et adaptation est-elle pertinente ?
Je ne veux pas que l’adaptation au changement climatique soit le parent pauvre de l’atténuation — ce qu’elle est actuellement. Nous voulons donc que davantage de fonds soient consacrés aux mesures d’adaptation. Et je pense que l’accès à ces financements est également d’une importance vitale.
Quel est votre plus grand défi en tant que président de la COP26 ?
Le plus grand défi est de persuader les pays de prendre des engagements ambitieux. Comme je l’ai dit, nous avons constaté des progrès. Nous sommes passés de 30 % de la planète couverte par l’objectif « zéro émission nette » à 70 %. Nous avons perçu des indices ambitieux de la part d’une série de pays, mais nous avons besoin [de ces efforts] de la part de tout le monde. Regardez certains des pays les plus ambitieux en termes de réduction des émissions, en termes de neutralité carbone : ce sont les pays qui sont en première ligne du changement climatique. Nous leur devons bien ça, et nous devons bien ça aux générations futures.
Quelle leçon tirez-vous de la pandémie pour combattre l’urgence climatique ?
Nous voulons que les dirigeants mondiaux réagissent avec le même sentiment d’urgence au défi du changement climatique qu’à celui de la pandémie. Par ailleurs, en ce qui concerne la COP26, l’une des questions est de savoir comment les délégués d’autres pays, qui n’auraient pas pu se faire vacciner, vont voyager. Nous avons donc annoncé que le Royaume-Uni, en collaboration avec les Nations unies et d’autres partenaires, veillera à ce que tous les délégués accrédités qui ne sont pas en mesure de se faire vacciner dans leur pays soient soutenus et vaccinés. Il est d’une importance vitale que nous tenions cet événement physiquement.