Animaux, internet libre, décroissance… des « petits » partis en campagne

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Les élections européennes sont l’occasion pour les « petits » partis de faire connaître leurs idées, même s’il est difficile d’exister dans l’ombre des formations mastodontes. Reporterre s’est intéressé aux décroissants, au Parti animaliste et au Parti pirate.
« Les autres partis vont plutôt parler d’“a-croissance”, ou de “post-croissance”. Nous, nous tenons au mot “décroissance”. On ne veut pas seulement la décroissance des énergies fossiles, mais de tous les domaines de la croissance économique. Tant qu’on n’utilisera pas ce mot, il n’y aura pas le choc culturel nécessaire au retour à la soutenabilité écologique » : ainsi parle François Verret, troisième candidat sur la liste Décroissance 2019. Dans un contexte où la remise en question de la croissance est partagée par de nombreux partis, il estime que son mouvement garde sa différence. Si sa liste est soutenue par Parti.e.s pour la décroissance ou encore La Maison pour la décroissance, le choix de se présenter aux européennes ne faisait pas l’unanimité au sein du mouvement. Il s’agit de la volonté d’un groupe de militants décroissants, principalement de la région de Nancy. « En temps normal, nous avons du mal à faire connaître nos idées, d’où l’intérêt d’utiliser les élections. De plus, cela nous oblige à nous structurer », explique celui qui s’était déjà présenté aux élections législatives en 2017, dans la circonscription de Combs, en Seine-et-Marne.
Du côté du Parti animaliste, en revanche, le choix de se présenter s’est fait naturellement. « Dès la création du Parti animaliste, nous avions en tête les élections européennes, car beaucoup de choses se décident à l’échelle de l’Europe concernant les animaux », explique Isabelle Dudouet-Bercegeay, porte-parole du parti, en troisième position sur la liste. Ce parti a été créé par un groupe de personnes issues de différentes associations de défense des animaux, partant du constat que les autres partis soit « ignorent », soit « éludent », la question du droit des animaux. Ils luttent contre la maltraitance animale et dénoncent les « cadeaux aux chasseurs » fait par Emmanuel Macron. Ils veulent que la protection animale devienne une priorité de la politique agricole commune (PAC), avec une diminution de l’élevage.
Pour peser dans les urnes, les petits partis doivent investir beaucoup de temps, et d’argent
Au Parti pirate, on a aussi décidé qu’il fallait faire « acte de présence » pour se « faire connaître », même si boucler une liste de 79 candidats, à parité, n’a pas été une mince affaire dans ce mouvement majoritairement masculin. « Le Parti pirate est le seul aujourd’hui en mesure de répondre aux grandes questions du numérique, les autres négligent ou méconnaissent ce sujet », explique Florie Marie, tête de liste. Les militants de ce mouvement critiquent notamment l’attitude des eurodéputés français, de droite comme de gauche, qui, « à 98 % », ont récemment voté pour la directive sur le droit d’auteur. Un texte qui, selon eux, va renforcer le pouvoir des Gafa (Google, Amazon, Facebook, Apple).

La campagne des européennes permet d’avoir un peu d’écho médiatique et un clip de campagne financé par l’État. Le Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) a accordé trois minutes à chaque liste candidate, et deux heures réparties entre les listes en fonction de leurs soutiens parmi les parlementaires. Pour se porter candidat, il suffit d’être citoyen de l’Union européenne (UE) et d’avoir un casier judiciaire vierge. Pas besoin de 500 signatures d’élus comme pour la présidentielle.
Pour autant, pour peser dans les urnes, les petits partis doivent investir beaucoup de temps et d’argent. En France, les listes candidates doivent imprimer et fournir aux préfectures leurs bulletins de vote. Soit 45,5 millions de bulletins, dont l’impression coûte plus de 200.000 euros. Au Parti animaliste, grâce aux dons ainsi qu’aux fonds récoltés lors de la campagne aux législatives, les bulletins ont pu être financés. En revanche, le mouvement n’a pas les moyens financiers d’envoyer une profession de foi à tous les Français. « C’est dommage, car c’est le seul moyen de vraiment toucher les électeurs », estime Isabelle Dudouet-Bercegeay. Le Parti pirate avait, lui, récolté environ 18.000 euros de dons à la mi-mai, permettant de livrer des bulletins dans deux départements. Les électeurs qui voudront voter pour eux en dehors de ces deux départements devront avoir imprimé leur propre bulletin, avec un détail de taille : celui-ci doit, selon la loi, être imprimé sur un papier d’un grammage de 70 grammes, « quasi introuvable en grande surface », selon Pierre Beyssac, du Parti pirate. Les militants ont donc imprimé des bulletins qu’ils distribuent lors des séances de tractages, et comptent en déposer dans de nombreux bureaux de vote le jour J. Ils encouragent également leurs électeurs à imprimer des bulletins et à le faire savoir dans leur entourage. Ils n’enverront pas non plus de profession de foi.

Du côté de la liste Décroissance 2019, ce sera une campagne à « zéro euro », affirme François Verret. Pour voter pour ces candidats, il faudra avoir imprimé soi-même leur bulletin, à télécharger sur leur site. On utilisera les affiches des législatives. On mise donc beaucoup sur le clip de campagne et les interventions dans les médias. « Heureusement qu’à mon boulot, ils sont flexibles, car la campagne me prend pas mal de temps », confie François Verret, qui travaille dans l’informatique en Île-de-France. La tête de liste, Thérèse Delfel, habite dans la région de Nancy, et se déplace le moins possible pour limiter son empreinte carbone. « Nous communiquons essentiellement par téléphone », explique François Verret. Au début du mois de mai, il a participé à un débat sur la PAC organisé par Terre de liens IDF et la plateforme Pour une autre PAC, en présence d’un candidat d’Europe Écologie-Les Verts et d’un candidat de la liste Renaissance (La République en marche, LRM). « J’ai senti qu’il y avait des personnes réceptives à mes idées dans la salle. En revanche, le candidat d’EELV n’était pas du tout dans la même posture que moi, il était plus politicien, il cherchait la faille dans le débat », regrette-t-il.
« C’est agréable de discuter avec les gens quand on tracte »
La différence de traitement avec les partis plus connus est une chose que regrettent tous ces militants, dont la politique est un activité extraprofessionnelle. « Même si on se présente, nous pensons qu’il y a un problème avec le fonctionnement de notre démocratie », affirme François Verret. « Pour le débat sur France 2, par exemple, ils auraient pu tirer au sort les participants, cela aurait permis de faire connaître de nouvelles idées », estime Isabelle Dudouet-Bercegeay, qui travaille dans la santé. « Dans les autres pays européens, il y a un bulletin unique [où les électeurs cochent la liste de leur choix] », note Florie Marie, chef de cabinet dans une mairie près de Strasbourg. Pour autant, ces militants ne baissent pas les bras. « Peu de gens nous connaissent, mais lors des sessions de tractage, environ 10 % des personnes sont réceptives. Certains nous ont même écrit qu’ils allaient s’inscrire sur les listes exprès pour voter pour nous, c’est émouvant », affirme la porte-parole du Parti animaliste. « C’est agréable de discuter avec les gens quand on tracte. Au départ, ils ont un petit sourire en voyant écrit Parti pirate, mais, quand nous leur parlons des Gafa ou de l’intelligence artificielle, des sujets qui les concernent, surtout les jeunes, ils sont plus réceptifs », raconte la militante Sabrina Grimaldi.

Le Parti pirate présente un programme commun dans plusieurs pays d’Europe. Il devrait remporter des sièges en République tchèque, où il incarne la troisième force politique du pays. Il a également des chances en Allemagne et en Finlande. En France, pour obtenir un siège, une liste doit remporter au moins 5 % des suffrages. Du côté du Parti animaliste, également présent dans 11 pays, « faire 5 % serait sensationnel », estime Isabelle Dudouet-Bercegeay. Le mouvement mise sur des militants impliqués dans la moitié des départements français, une audience en hausse sur les réseaux sociaux et le soutien de personnalités connues, comme Laurent Baffie. Faire au moins 3 % permettrait déjà de se faire rembourser les frais de campagne. Mais, quoiqu’il arrive, au-delà de l’objectif d’avoir des élus, « nous agissons de manière indirecte, en envoyant un signal aux autres partis, pour leur dire : emparez-vous de ces sujets, sinon les électeurs iront ailleurs », souligne Isabelle Dudouet-Bercegeay. Rendez-vous le 26 mai pour voir si la stratégie des petits partis aura payé.