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Anne Hidalgo à Paris, maire de la bétonisation ou écologiste efficace ?

La maire sortante Anne Hidalgo a construit une partie de son programme autour de l’écologie. Objectif : faire de la capitale une ville neutre en carbone. Si certains projets ont convaincu — l’aménagement des pistes cyclables par exemple — ses opposants évoquent une « bétonisation » de Paris.

C’est un programme très « vert » qu’Anne Hidalgo a dévoilé le 11 janvier au journal Le Parisien. La maire sortante de Paris brigue un second mandat et mise sur des propositions écologiques : une capitale 100 % vélo, la piétonisation du centre de la ville, la création de forêts urbaines… Mais pendant six ans, qu’a fait la maire de Paris pour l’environnement ? Quelles ont été les avancées positives et les projets décriés ? Reporterre dresse le bilan.

D’après Célia Blauel, adjointe d’Anne Hidalgo à la Transition écologique, le résultat est positif. « Près de 100.000 habitats publics et privés rénovés thermiquement, 50 % d’alimentation biologique et locale pour les trente millions de repas de la restauration collective, 70.000 m² de panneaux solaires créés, énumère-t-elle dans un courriel à Reporterre. Ces quelques chiffres ne sont qu’un faible aperçu de l’action municipale qui a eu une répercussion considérable. »

La plupart des opposants politiques d’Anne Hidalgo s’accordent surtout pour saluer le travail réalisé sur les mobilités douces. « Des actes ont été pris pour lutter contre la pollution atmosphérique, comme le développement du vélo par exemple », convient Gaspard Gantzer, candidat à la mairie de Paris (sans étiquette), à Reporterre.

La mairie a lancé son plan vélo avec « un certain courage politique, sur des endroits où c’était difficile »

Ça avait pourtant mal commencé : le fiasco des Vélib’ a terni une partie de la fin du mandat d’Anne Hidalgo. Au printemps 2017, la gestion de ces bicyclettes en libre-service, jusque-là assurée par JCDecaux, a été confiée à l’opérateur Smovengo, à compter du 1er janvier 2018. Le consortium franco-espagnol a alors rencontré de nombreuses difficultés à ouvrir le nombre de stations prévues et à les raccorder à l’électricité.

Le changement d’opérateur s’est transformé en fiasco.

Le plan vélo lancé par Anne Hidalgo au début de sa mandature devait faire oublier ce raté. L’objectif pour 2020 : créer 10.000 places de stationnement vélo et passer en cinq ans de 700 à 1.400 kilomètres de pistes cyclables dans la capitale, grâce à un budget de 150 millions d’euros. Mais à quelques semaines des élections municipales, le compte n’y est pas, dénonce l’Observatoire du plan vélo créé par l’association Paris en selle. D’après le collectif, les places de stationnements promises ont bien été mises en places, mais seulement 42 % des infrastructures cyclables prévues ont été réalisées de manière satisfaisante. L’Observatoire déplore que la place du vélo n’ait pas été suffisamment prise en compte dans le réaménagement des carrefours et des grandes places parisiennes.

« Nous considérons que le plan vélo a été une réussite, défend Célia Blauel. Les chiffres sont parlants : même sans prendre en compte l’effet de la grève, la fréquentation des aménagements cyclables a augmenté de 54 % en seulement un an, entre septembre 2018 et septembre 2019. » « Même en n’ayant fait que 42 % de ce qui était prévu, [l’équipe municipale l’a] fait avec un certain courage politique, sur des endroits où c’était difficile, relativise Charles Maguin, président de Paris en selle. Ils ont assumé de prendre la place de la voiture. Ce n’était plus du bricolage à base de peinture ou de passage sur le trottoir, et les gens l’ont remarqué. » En effet, Paris est en quatrième position (des villes de plus de 200.000 habitants) dans le dernier baromètre des villes cyclables réalisé par la Fédération française des usagers de la bicyclette (FUB). La capitale française occupait jusque-là la septième place.

La fréquentation des aménagements cyclables a augmenté de 54 % entre septembre 2018 et septembre 2019.

Si la « petite reine » a pu se développer autant dans la capitale, c’est bien grâce à la politique menée par Anne Hidalgo depuis son accession à la tête de la mairie. « Il y a eu un débat assumé sur l’enjeu de réduire l’envahissement de la voiture à Paris », reconnaît la candidate La France insoumise Danielle Simonnet, interrogée par Reporterre. Décision emblématique du mandat écoulé : en octobre 2016, la maire sortante a interdit aux voitures l’accès de la voie Pompidou. Ces 3,3 kilomètres de berges ont été rendus aux piétons, cyclistes ou utilisateurs de trottinettes, grâce à une lutte judiciaire que l’équipe municipale d’Anne Hidalgo a mené de bout en bout. Toutefois, le candidat Europe Écologie — Les Verts (EELV) David Belliard affirme que ces progrès doivent être attribués aux membres de son parti (qui appartenait à la majorité municipale d’Anne Hidalgo).

La lutte judiciaire fut rude : près d’une dizaine de requêtes ont été émises puis rejetées contre la piétonisation des voies sur berges.

Toutes ces mesures n’ont pas fait l’unanimité. « La politique qui a consisté à réduire la place de la voiture dans la ville est une bonne chose, en revanche la méthode utilisée n’est pas bonne, affirme à Reporterre Christophe Berkani candidat sans étiquette. Elle n’a pas limité le flux de véhicules entrants dans la ville et n’a pas su gérer ce flux, une fois les voitures dans Paris. Elle s’est contentée de toutes les mettre sur des rues doucement grignotées par des voies supprimées ou des pistes cyclables. »

Résultat ? « Les études montrent que les bouchons ont augmenté », déplore à Reporterre Gilles Mentré, porte-parole de Rachida Dati, candidate Les Républicains. En effet, d’après la dernière édition de l’étude TomTom Traffic Index, le taux de congestion à Paris était de 39 % en 2019, soit trois points de plus que l’année précédente.

Le taux de congestion à Paris a augmenté de 3 points en 2019, atteignant 39 %.

« Même si l’objectif de réduction de la voiture est louable, l’effet immédiat a été l’augmentation de la pollution à Paris sur certains axes », renchérit Gaspard Gantzer, citant Airparif. En 2017, l’organisme de surveillance de la qualité de l’air en Île-de-France a publié une étude révélant que depuis la piétonisation des voies sur berges, une amélioration de la qualité de l’air était remarquée le long des quais fermés à la circulation, « avec des niveaux qui demeurent néanmoins au-dessus des valeurs réglementaires, comme pour bon nombre d’axes routiers dans l’agglomération parisienne ». Par ailleurs, une dégradation de la qualité de l’air était identifiée autour des carrefours de cette zone, « dès la fin de la portion piétonnisée ».

Les opposants politiques d’Anne Hidalgo regrettent le manque de verdure dans Paris

Outre des bouchons et une pollution de l’air persistante, les opposants politiques d’Anne Hidalgo regrettent le manque de verdure dans Paris. La maire sortante se targue d’avoir planté 20.512 arbres pendant son mandat, d’avoir ouvert au public trente hectares d’espaces verts supplémentaires et trente hectares d’agriculture urbaine. « Paris compte aujourd’hui 117 hectares de murs, toits et façades végétalisés », souligne Célia Blauel.

Mais les autres candidats restent sceptiques face à ces chiffres. « On était censés avoir des places arborées, place de la Bastille ou place de la République, et [Anne Hidalgo] a tout bétonné », regrette Gilles Mentré. « Ses soi-disant plans de végétalisation de rue sont totalement bidons, abonde Christophe Berkani. Ce sont des pots de fleurs et on appelle ça une rue végétalisée. » Danielle Simonnet est du même avis : « Il n’y a pas eu de reconquête de la pleine terre », lâche-t-elle. « La notion de “réel retour à la pleine terre” signifie qu’il n’y aurait aucun obstacle entre la surface du sol et la grande profondeur qui viendrait freiner ou détourner le développement végétal et l’infiltration des eaux pluviales. C’est tout simplement quasi impossible », objecte Célia Blauel.

« La bétonneuse », « la maire de l’hyperdensification », ou encore « la championne du greenwashing  » : chacun y va de son expression pour qualifier Anne Hidalgo. Plus encore que le manque d’espaces verts, certains candidats dénoncent des gros projets de construction, emblématiques de ce mandat 2014-2020. S’ils ne sont pas initiés par la ville de Paris, ils sont en tout cas fortement encouragés par Anne Hidalgo. La création du quartier Bercy-Charenton (entre le XIIe arrondissement et Charenton-le-Pont, dans le Val-de-Marne) cristallise par exemple beaucoup de colères. Six tours d’habitation et de bureaux (dont une de 180 mètres de hauteur) sont prévues côté Paris. Pour la liste En marche, c’est un projet qui enlèvera de la « respiration » aux habitants. De son côté, Danielle Simonnet déplore le caractère « énergivore » des immeubles de grande hauteur.

L’aménagement de la place de la Bastille fait débat.

« Porter le projet de la ville écologique ne signifie pas stopper tout projet et s’interdire de construire des logements, notamment sociaux, argumente Célia Blauel. L’écologie d’Anne Hidalgo est celle qui allie impératifs planétaires et ceux de justice sociale. 70 % des Parisiens et Parisiennes sont éligibles aux logements sociaux. Ceux qui prétendent atteindre 25 % ou plus de logement social en mobilisant uniquement les logements vacants ou ceux happés par Airbnb frôlent la démagogie. »

« On bétonne, on fait des projets anti-écologiques pour accueillir les Jeux Olympiques... »

Dans les discours des candidats à la mairie de Paris, les autres exemples de « bétonisation » et de réaménagements contestés pleuvent. Ils citent la Tour Triangle (d’une hauteur de 180 mètres, prévue dans le XVe arrondissement), le projet de construction de plusieurs bâtiments sur l’ancien terrain de sport de Ménilmontant (suspendu quelques jours après les résultats très « verts » des élections européennes de 2019), ou encore le plan de rénovation de la gare du Nord [1]. Celui-ci prévoit un toit-terrasse végétalisé mais aussi 88.000 m² supplémentaires pour des commerces, des bureaux, une salle de spectacles… Anne Hidalgo « lamine les rares vides de la capitale », estime David Belliard dans son livre Paris, rêve de gosse (éditions Rue de l’échiquier, 2020).

« On bétonne, on fait des projets anti-écologiques pour accueillir les Jeux Olympiques, qui sont pour moi la fête des sponsors plus que celle du sport, juge Danielle Simonnet. Paris devient une ville à touristes et une ville à surconsommation. » « Nous [voulons] dépasser l’événement en tant que tel pour en faire un prétexte de l’accélération des politiques publiques, particulièrement de transition écologique », lui répond Célia Blauel.

Les Jeux olympiques, un prétexte pour accélérer l’urbanisation et la métropolisation de l’Île-de-France.

Le plan climat-air-énergie — adopté à l’unanimité au Conseil de Paris fin 2017 — est un début de réflexion sur le Paris de demain. Il recense 500 mesures, comme le « zéro véhicule diesel en 2024 », « zéro essence en 2030 », la division par deux de la consommation énergétique de Paris d’ici à 2050… « Le plan climat ne précise pas comment on va atteindre les objectifs mentionnés, il ne crée pas les conditions de contrôle, note Danielle Simonnet. Ce n’est absolument pas suffisant. »

Alors, quelle est la solution pour un Paris plus vert ? « Il reste beaucoup à faire, il faut accélérer et changer d’échelle, mais le cap est donné, estime Célia Blauel. L’un des grands enjeux du prochain mandat sera l’alignement du volontarisme politique des collectivités locales avec les politiques nationales et européennes. Nous avons besoin de décentralisation énergétique, d’une véritable fiscalité écologique et de plus de pouvoir dans les mains des citoyens pour réussir le pari de la transformation écologique de nos sociétés. » Quel que ce soit le résultat du scrutin des 15 et 22 mars, une certitude demeure : pour avoir une capitale verte, le chemin est encore long.

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