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À Paris, libérée des autos, la voie sur berge enchante piétons et riverains

Jeudi 25 octobre, le tribunal administratif de Paris a confirmé la piétonnisation des voies sur berges au nom de la protection du patrimoine. Si le feuilleton judiciaire n’est pas encore terminé, les usagers et riverains de l’ancienne voie Georges-Pompidou n’imaginent pas une réouverture à la circulation automobile. Reportage photo.

  • Paris, reportage

Les berges de Seine de la rive droite vont-elles ou non être rouvertes à la circulation des automobiles ? Depuis deux ans que les piétons, cyclistes et autres usagers de transports doux s’approprient les 3,3 km de voies piétonnisées qui longent le fleuve, la question revient en boucle. Car la mesure phare de la maire de Paris, Anne Hidalgo, s’est heurté à de vives oppositions des partisans de l’automobile. Mais cette semaine, deux bonnes nouvelles sont intervenues. Lundi 22 octobre, la cour administrative d’appel de Paris a confirmé le jugement rendu le 21 février dernier annulant l’arrêté municipal qui fermait les voies sur berges à la circulation automobile au nom de la qualité de vie des Parisiens. En clair : les voitures peuvent revenir. Mais ce jeudi 25 octobre, le tribunal administratif a rejeté tous les recours déposés contre le deuxième arrêté pris par la municipalité, en mars 2018, reposant celui-là sur « la protection du patrimoine et l’intérêt touristique majeur des berges de Seine ». En clair : les berges restent interdites aux voitures. Ainsi, juridiquement, les voies sur berge vont rester piétonnes non pas pour réduire la pollution atmosphérique (l’objet du premier arrêté municipal) mais pour protéger le patrimoine historique (l’objet du deuxième arrêté).

Ce qui n’a pas empêché Anne Hidalgo de twitter, jeudi 25 octobre dans l’après-midi, que c’est une victoire pour un « Paris qui respire ».

Pour bien goûter le sel de ce feuilleton administratif, revenons sur les épisodes précédents : en septembre 2016, le Conseil de Paris a adopté une délibération déclarant l’intérêt général du projet de piétonnisation des voies sur berge. C’est par cette décision emblématique, accompagnée d’un arrêté pris le 18 octobre 2016, que la voie Georges-Pompidou (de l’entrée du tunnel des Tuileries à la sortie du tunnel Henri-IV) a été fermée à la circulation automobile pour faire place à une promenade publique de 4,5 hectares. L’histoire aurait pu s’arrêter là, mais c’était sans compter sur les opposants au projet – avec, en première ligne la région Île-de-France dirigée par Valérie Pécresse — qui ont contesté cette décision auprès du tribunal administratif.

 « Même les élus de l’opposition parisienne ne demandent plus le retour des voitures »


Le 21 février 2018, ledit tribunal a annulé la délibération de septembre 2016, estimant que l’étude d’impact réalisée au préalable comportait « des inexactitudes, des omissions et des insuffisances concernant les effets du projet sur la circulation automobile, les émissions de polluants atmosphériques et les nuisances sonores, éléments majeurs d’appréciation de l’intérêt général du projet ». La Ville de Paris, décidée à lutter contre la pollution et à offrir une meilleure qualité de vie, a alors fait appel de cette décision. Le jugement rendu lundi dernier, le 22 octobre, est donc la confirmation de la première décision : la piétonnisation des voies sur berges est annulée.

Entretemps, en mars 2018, la municipalité a fait adopter un nouveau texte, « rédigé en lien avec la préfecture de police », selon l’Hôtel de Ville, qui porte sur la protection du patrimoine exceptionnel des voies sur berge classées au Patrimoine mondial de l’Unesco. De nombreux recours ont été déposés contre cet arrêté, tous rejetés par le tribunal ce jeudi 25 octobre. Les opposants peuvent encore faire appel de cette décision.

Alors que le feuilleton judiciaire pourrait toucher à sa fin, Emmanuel Grégoire, premier adjoint à la maire de Paris, a réaffirmé l’utilité de la piétonnisation en rappelant les résultats d’une étude menée par AirParif qui confirment une amélioration globale de la qualité de l’air le long des quais. L’adjoint d’Anne Hidalgo assure que « les berges piétonnes sont un acquis, soutenu par une immense majorité de Parisiens » et que « même les élus de l’opposition ne demandent plus le retour des voitures ».

La mairie de Paris a déclaré que ces voies ont accueilli plus de 2,4 millions de visiteurs depuis le début de la piétonnisation et qu’elles constituent « un vrai espace de respiration et de liberté, pour se promener, se détendre, faire du sport, ou encore pour aller travailler à vélo ». Reporterre est allé vérifier de ses propres yeux en demandant aux principaux concernés : celles et ceux qui vivent les berges de Seine au quotidien.

Alain, bouquiniste sur les quais de la Seine.

Surplombant les berges de la Seine, les célèbres bouquinistes des quais de Paris, qui travaillaient au-dessus des pots d’échappement, semblent assez favorables à la piétonnisation. Du moins, c’est l’avis d’Alain, 73 ans, bouquiniste au niveau du quai de la Mégisserie depuis 20 ans (photo ci-dessus) et de Marc, 78 ans, qui vend sa panoplie de livres depuis 25 ans quai des Célestins (photo ci-dessous). Alain, avec son franc-parler, estime que « la maire de Paris, c’est la seule chose qu’elle a fait de bien et qu’il faudra renommer les berges “voies Hidalgo” quand elle sera dégagée en 2020 ! » En préparation du projet de piétonnisation, la municipalité avait proposé aux bouquinistes de descendre sur les berges : « Avec les crues qui s’accentuent, c’est même pas discutable ! » s’exclame Alain.

Marc, bouquiniste.

Au sujet de la circulation automobile, les deux bouquinistes s’accordent pour dire qu’il n’y a pas vraiment de différence de trafic : « Avant, il y avait touche-touche en bas et en haut. Maintenant, il y a touche-touche en haut, mais plus en bas. Ça a surement calmé les automobilistes, qui prennent moins leur voiture. En tout cas, moi, je ne vois pas davantage de voitures en haut qu’avant la piétonnisation », explique Marc.

En descendant sur les berges piétonnisées qui s’aménagent petit à petit depuis deux ans, on croise tous les profils d’usagers : des marcheurs, des cyclistes, des « trottinetteurs » ou encore des « vélotaffeurs » !

Fabrice et sa fille.

Parmi les badauds qui apprécient la tranquillité des lieux en plein cœur de Paris, on rencontre Fabrice (photo ci-dessus), qui vit dans le quartier : « Ici, ma fille peut apprendre à faire du vélo sans crainte et ça, c’est très appréciable. Plus on va donner des moyens aux gens de circuler autrement, plus ils changeront leur manière de se déplacer. Les trottinettes électriques qu’on voit fleurir dans tout Paris sont un bon exemple. La fermeture des voies sur berge est une mesure qui oblige les automobilistes à laisser leur voiture chez eux pour venir dans le centre de la capitale. Je crois qu’il faut un changement d’ensemble mais avec l’avis favorable de la population. »

Charlotte et Miranda.

Charlotte et Miranda sont deux copines qui viennent respectivement de Sevran (Seine-Saint-Denis) et d’Arcueil (Val-de-Marne). « Les berges sur Seine, c’est parfait pour se retrouver à mi-chemin entre nos deux villes de banlieue […] et puis, ça nous change de notre environnement. Ici, c’est calme et vivant à la fois alors que chez nous, il ne se passe pas grand-chose », explique Miranda. Constat partagé par son amie, qui ajoute « qu’ici, c’est moins dangereux pour les femmes », et que même si elles ne se sentent pas en insécurité chez elles, ici elles peuvent rester tard dehors sans crainte.


Les touristes aussi apprécient la tranquillité des lieux, comme ce grand-père polonais et sa petite fille qui attendent avec quiétude le Batobus qui va les emmener découvrir les beautés des berges de la Seine.


Ceux qui ne font qu’y passer sont une catégorie des usagers des voies sur berge. Il y en a une autre, celle de ceux qui y passent l’essentiel de leur journée : les commerçants. Près du pont d’Arcole, on peut apprendre à réparer son vélo ou en acheter un d’occasion chez SoliCycle, qui gère sept ateliers vélo solidaires en Île-de-France. Selon un des membres de l’association, la piétonnisation « est peut être passée un peu en force mais vu le monde qu’il y a tous les jours et tous les soirs, je ne vois pas comment ce serait possible de rouvrir aux voitures. Depuis deux ans, le fréquentation est exponentielle. Parfois, au moment de Paris plage notamment, il y a même trop de monde ! »


À l’autre extrémité de la voie, au niveau des quais du Louvre, l’avis du vélociste est partagé par Cécilia, serveuse au bar Maison Maison : « Remettre des voitures sur les berges ? impossible ! Il y a tellement de gens qui utilisent désormais cette voie pour circuler à pied, à vélo ou à trottinette que c’est impensable. »

Pour l’heure, la perspective d’un retour des voitures sur les berges semblent bien éloignée mais le feuilleton judiciaire et les débats suscités par la piétonnisation des voies sur berge restent ouverts. Le Medef Paris, par exemple, s’insurge et « chiffre à un million les heures perdues dans les embouteillages causés par la fermeture à la circulation de la voie Georges-Pompidou, soit 700 emplois équivalent temps plein perdus par an dans les bouchons ». Quant aux associations de défense des automobilistes, elles n’ont vraisemblablement pas dit leur dernier mot et n’excluraient pas de faire appel de la décision du tribunal administratif.

En attendant, de l’aube au crépuscule, la voie est libre pour le plus grand plaisir des trottinettes, rollers, vélos et autres engins non motorisés sur les berges désormais nommées parc Rives de Seine.

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