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Au Bourget, le ballet aérien du greenwashing

La foule prend en photo et observe un Boeing 777X avant son décollage pour une démonstration lors du Salon du Bourget, le 20 juin 2023.

Au salon Paris Air Lab, exposants comme investisseurs semblent croire dur comme fer à l’avenir décarboné de la filière. Alors que les technologies qu’ils présentent n’existent pas ou sont loin d’être opérationnelles.

Salon du Bourget (Seine-Saint-Denis), reportage

« À quoi ressemblera l’avion de demain ? » Ces quelques mots inscrits sur un panneau en polystyrène attisent la curiosité des visiteurs qui s’engouffrent sous le dôme climatisé du Paris Air Lab, mardi 20 juin. Au Salon du Bourget, cette exposition présente au public les projets de recherche des grands industriels de l’aviation pour la « révolution verte » du secteur : hydrogène, avion électrique, prototypes volant à la façon des oiseaux migrateurs ou alimentés par des agrocarburants. Et ça, alors que « l’avion vert, ça n’existe pas. Tout cela n’est que du greenwashing », expliquait à Reporterre Charlène Fleury, coordinatrice du réseau citoyen Rester sur Terre/Stay Grounded France.

Si les professionnels de l’aviation misent sur l’innovation pour décarboner le secteur, la décroissance n’est en revanche pas au programme. Elle serait pourtant la voie pour atteindre les objectifs climatiques, comme le rappelle le cabinet d’étude Carbone 4.

Un Embraer 195-E2 avec l’inscription « Profit Hunter » présenté au Salon du Bourget. © Jérémy Paoloni / Reporterre

La diminution du trafic aérien n’a ainsi pas sa place dans l’industrie, selon Baptiste Voillequin, qui a conçu l’exposition du Paris Air Lab. Une telle décision reviendrait selon lui à la sphère politique. « Le Paris Air Lab doit rester une zone neutre », affirme le directeur des affaires R&D, espace et environnement du Groupement des industries françaises aéronautiques et spatiales (Gifas).

Alors, quelles sont les autres possibilités pour réduire les émissions carbone du secteur ? « L’avion électrique, j’ai du mal à croire que ça puisse vraiment être possible. L’hydrogène serait une bonne solution. Mais le coût et la taille de l’avion seraient vraiment très importants », réfléchit à voix haute Yann, employé dans une industrie qui travaille pour l’aéronautique. Avec sa collègue Aurore, le jeune homme s’est arrêté devant un kiosque de l’exposition où une série de panneaux raconte les tentatives de décarbonation du secteur, entre deux courbes sur l’urgence climatique.

Les deux visiteurs sont perplexes. D’un côté, ils revendiquent leur passion pour l’avion, qui « permet de voyager et de s’enrichir des autres continents », et, de l’autre, ils se disent préoccupés par ses émissions. « Je me dis qu’on a fait énormément de développement sur le dernier siècle. Avec tous nos cerveaux sur le continent et dans ce pays, on devrait trouver une solution », espère Aurore.

Un visiteur entre dans le cockpit d’un Rafale lors du Salon du Bourget, le 20 juin. © Jérémy Paoloni / Reporterre

Un ballet de greenwashing

« Renew the planet », « Vers un voyage décarboné », « Futur champion de la frugalité »… Des messages d’espoir, et empreints d’écoblanchiment, tapissent les murs de chaque stand. Une réponse aux éventuelles inquiétudes des visiteurs quant à la catastrophe climatique ? Quoi qu’il en soit, d’un stand à l’autre, produits et accessoires sont proposés comme complémentaires à l’avion de demain. Plateau-repas en carton recyclable, peinture luminescente pour changer le marquage au sol électrique, voilure pour tracter les bateaux d’Airbus acheminant les pièces des avions en construction… Des objets qui enchantent toujours plus les visiteurs, professionnels ou investisseurs aux cheveux gominés et costumes repassés. Cette année, le Salon du Bourget devrait battre son record de fréquentation, avec 320 000 visiteurs.

Chaque exposant se targue d’avoir trouvé la solution miracle. Avec un slogan ambitieux, le groupe industriel eXcent, par exemple, qui travaille avec des entreprises du secteur automobile, ferroviaire, de l’énergie ou naval, promet de « Renouveler la planète ». Devant les intéressés, son directeur industriel et développement durable est fier d’annoncer sa participation à la Convention des entreprises pour le climat (CEC), qui réunit 150 dirigeants d’entreprises pour réfléchir à une nouvelle feuille de route « en accord avec les limites planétaires ». Pas de quoi, pourtant, remettre en question leur partenariat avec le secteur de l’aéronautique. « On s’est posé la question d’y renoncer, mais on a fait le choix de ne pas le faire », admet Yoann Alphonse-Félix, le directeur industriel.

« J’aime bien les avions — à bas ceux qui veulent interdire l’avion ! »

Parmi les projets les plus tape-à-l’œil du salon : la maquette d’un gros avion hydroglisseur. « Aqualines », cet avion à moitié navire, n’existe pas encore. « On a développé cette technologie pour le bien de l’humanité », affirme, en toute humilité, l’un de ses créateurs, Guillaume Catala. L’engin volerait au-dessus de l’eau, utilisant l’effet de sol. « Comme les oiseaux marins et sans impact sur la biodiversité marine », promet l’entrepreneur bayonnais, sans citer la moindre étude à l’appui.

« Aqualines », cet avion à moitié navire, n’existe pas encore. © Jérémy Paoloni / Reporterre

Sur son stand, la maquette lisse et brillante semble tout droit sortie d’un film de science-fiction. Destiné à l’aviation civile, l’engin pourrait transporter jusqu’à 300 personnes, et adopterait une motorisation électrique, fonctionnant « au fioul ou aux agrocarburants, ou avec un mix hydrogène ». Des technologies loin d’être matures. Ce qui n’empêche pas la start-up d’annoncer l’entrée sur le marché d’« Aqualines » dès 2025.

En dehors du hall, un grand bruit déchire le ciel. La foule se précipite, le nez levé vers les nuages. Au-dessus du tarmac du Bourget, un Rafale enchaîne les pirouettes. Le vacarme fait frémir le sol et la foule, sous le charme.

Au-dessus des visiteurs conquis, un Rafale se prête à quelques pirouettes. © Jérémy Paoloni / Reporterre

C’est aux commandes d’un de ces avions que Yoann, un visiteur de 21 ans, voulait être lorsqu’il était petit. Aujourd’hui étudiant en ingénierie de l’aéronautique à l’Insa (Institut national des sciences appliquées), il souhaiterait concevoir des avions bas carbone pour l’armée. « L’avion de demain se dessinera uniquement sur des accords entre pays. » Dans son école, de rares cours magistraux forment les futurs ingénieurs à concrétiser l’impact carbone du secteur aérien. « En théorie, on est formés au côté durable, mais ce sont des matières non obligatoires. On n’est souvent qu’une dizaine de présents sur quatre-vingts élèves », soupire le jeune homme. Son école est pourtant l’une des seules à former ses élèves à la décarbonation du secteur.

Au-dessus de sa tête, le ballet des Rafale s’arrête enfin. Alors que les conversations reprennent, la foule se disperse et s’extasie encore. « J’aime bien les avions — à bas ceux qui veulent interdire l’avion ! » clame un jeune homme, les yeux vers le ciel.

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