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ReportageÉnergie

Les taxis volants débarquent, le Salon du Bourget est béat

Le taxi volant Volocity de la compagnie Volocopter lors du Salon international de l'aéronautique et de l'espace (Salon du Bourget), le 20 juin 2023.

Au Salon du Bourget, les concepteurs de taxis volants promettent de « rendre du temps aux gens » grâce à une vie sans bouchons. Les premiers vols de ces mini-hélicoptères bruyants et énergivores sont prévus pour les JO en 2024.

Salon du Bourget (Seine-Saint-Denis), reportage

Les engins aux lignes racées rutilent dans les allées du Salon du Bourget. Devant les cockpits chromés ou sous les rotors qui tournent au ralenti, les professionnels du secteur alternent selfies et discussions enthousiastes. Présentés comme les véhicules volants du futur, à mi-chemin entre un drone et un hélicoptère, les eVTOL (pour electric vertical take-off and landing, ou aéronef à décollage et atterrissage verticaux électrique en français) sont une des stars de ce rendez-vous annuel du monde aéronautique.

Car cette fois ça y est, promis, les taxis volants vont décoller ! La dizaine de constructeurs qui présentaient leurs prototypes cette semaine rivalisaient d’annonces : les certifications seraient imminentes pour permettre le déploiement des eVTOL dans le ciel de nos villes. L’autorisation de l’autorité de régulation américaine serait en cours de finalisation, assure l’entreprise Archer, qui compte lancer des vols tests habités au-dessus de la Silicon Valley en 2024.

Les eVTOL sont une des stars de ce rendez-vous annuel du monde aéronautique. © Jérémy Paoloni / Reporterre

Pour son concurrent allemand Volocopter, l’ambition est aussi d’obtenir l’autorisation du régulateur européen rapidement, pour lancer ses premiers vols l’été prochain, à l’occasion des Jeux olympiques de Paris. Quant au chinois Ehang, il serait paré pour des vols en Chine dès la fin de cette année.

« On va rendre du temps aux gens »

D’un stand à l’autre, les représentants de ces entreprises d’aéronefs nouvelle génération reprenaient en chœur le même discours, empreint de technosolutionnisme : « Combien de temps avez-vous perdu dans les bouchons pour venir au Salon ? Construire de nouvelles routes est trop long et trop compliqué. En passant par les airs, on aide à résoudre le problème du trafic », expose Brian Gump, qui travaille pour Archer. La start-up n’espère rien de moins que de concurrencer Uber. « On va rendre du temps aux gens, qu’ils pourront passer avec leur famille ou à faire de nouvelles rencontres », ose même un ingénieur d’Airbus.

« Les derniers kilomètres » : voilà le secteur que comptent investir les eVTOL, c’est-à-dire les besoins de transport entre un aéroport et un centre-ville, ou entre deux points d’intérêts séparés par une distance modeste. Car ces taxis volants n’auront qu’une autonomie de quelques dizaines de kilomètres. Chaque prototype mise sur une technologie qui lui est propre : aile pivotable, nombreux rotors miniatures… Tous ont en commun de multiplier les petites hélices, ce qui permet d’être moins bruyant, et de profiter des progrès des batteries électriques – pour être plus léger et moins polluant. Ainsi peuvent-ils offrir la même souplesse de vol qu’un hélicoptère tout en en réduisant les nuisances et le coût, et donc en permettant le survol plus acceptable des zones urbaines.

Le taxi volant sans pilote d’EHang : il serait paré pour des vols en Chine dès la fin de cette année. © Jérémy Paoloni / Reporterre

En théorie du moins. Car l’optimisme affiché par les constructeurs, destiné à rassurer des investisseurs plutôt inquiets, ressemble un peu à la méthode Coué. « Bien sûr que tous les problèmes ne sont pas réglés. L’industrie des eVTOL des années 2020 ressemble à celle de l’automobile des années 1920. Tout n’est pas parfait, mais on ne fait que commencer », assure Andreas Perotti, directeur marketing Europe de EHang, dont le prototype d’eVTOL est aussi autonome, sans pilote, « pour plus de sécurité ». L’analogie avec l’industrie automobile est aussi reprise par Archer, dont le PDG, Adam Goldstein, imagine un développement exponentiel de l’usage des taxis volants, et des « centaines de milliers » d’eVTOL au-dessus de la côte ouest-américaine d’ici les Jeux olympiques de… 2028, à Los Angeles.

Nuisances sonores au décollage

Pour donner corps à de telles perspectives, l’industrie s’emploie d’abord à rassurer les éventuels riverains, et martèle que les nuisances sonores seront minimes. « Nous sommes 80 % moins bruyants qu’un hélicoptère », dit-on du côté du stand de Eve, un eVTOL dont l’habitacle est présenté comme adaptét aux fauteuils roulants et aux vélos, « pour être accessible à tous et faciliter l’intermodalité urbaine ». En vol de croisière, la plupart des futurs taxis volants peuvent effectivement miser sur des ailes pour assurer la portance de l’engin, ce qui limite considérablement la dépense énergétique et le recours aux hélices, donc le bruit. Le véritable enjeu se situe lors du décollage et de l’atterrissage, lorsque les rotors tournent à plein régime.

« Combien de temps avez-vous perdu dans les bouchons pour venir au Salon ? », dit Brian Gump, qui travaille pour Archer. © Jérémy Paoloni / Reporterre

C’est ce qui inquiète le plus les associations de riverains en lutte contre les nuisances aériennes. « J’ai assisté à des essais l’an dernier et le bruit est très gênant au décollage. Et on va sans doute installer les zones d’atterrissage et de décollage près des autoroutes et des aéroports, c’est-à-dire près d’habitants déjà confrontés aux bruits aériens. Ce sont toujours les mêmes qui subissent les nuisances », déplore en marge du salon Dominique Lazarski, présidente de l’Union européenne contre les nuisances aériennes.

Dans les allées feutrées du Bourget, les constructeurs sont assez silencieux sur la question. Seul EHang nous donne une estimation chiffrée pour le décollage : « 74 décibels (dB), c’est beaucoup moins qu’un camion ! », rassure Andreas Perotti. C’est vrai, mais pas de beaucoup. Le niveau sonore d’un camion est évalué entre 75 et 85 dB par l’observatoire du bruit BruitParif, contre 55 à 70 dB pour une voiture particulière. Sans compter que l’eVTOL EHang est bien plus petit, et donc discret, que beaucoup de ses concurrents. Si la vision d’Adam Goldstein se réalise, et que les eVTOL volent par dizaines de milliers au-dessus des citadins d’ici la fin de la décennie, cette densité aérienne risque d’accroître d’autant la pollution sonore.

Surconsommation et effet rebond

Un autre enjeu vient heurter de plein fouet la volonté des start-upers du ciel de faire de leurs eVTOL des moyens de transport « accessibles à tous » : une telle intensification risque de consommer beaucoup d’énergie. L’urgence de la transition énergétique va accroître de manière drastique la demande en électricité et RTE, le gestionnaire du réseau électrique français, prévenait début juin qu’un effort massif de sobriété énergétique serait indispensable. Est-il raisonnable, dans ce contexte, d’encourager de nouveaux besoins ?

« Notre consommation électrique est ridiculement basse », se défend Paul-Franck Bijou, vice-président du développement commercial de Lilium, dont l’eVTOL ressemble plus à un jet qu’à un hélicoptère. « Si notre eVTOL remplace un déplacement par la route, nous consommons moins par passager qu’une voiture électrique et à peine 30 % de plus qu’un train par passager. »

« Si notre eVTOL remplace un déplacement par la route, nous consommons par passager à peine 30 % de plus qu’un train par passager », assure le vice-président du développement commercial de Lilium. © Jérémy Paoloni / Reporterre

Comme ses confrères, le vendeur de taxis volants enjolive les choses. Si l’on se fie à une étude américaine parue en 2021 dans la revue scientifique PNAS, une voiture électrique consomme en moyenne 220 wattheures par passager et par mile parcouru (220 Wh/p-mi). Les eVTOL, eux, auraient une consommation comprise entre 130 Wh/p-mi et 1 200 Wh/p-mi. Une très large amplitude, complexe à évaluer car dépendant notamment de la vitesse de vol, de la distance parcourue et du remplissage réel de l’engin. Le véhicule de Lilium, évalué par les chercheurs, fait toutefois partie des bons élèves et rivalise avec la voiture électrique puisqu’estimé à une consommation moyenne de 218 Wh/p-mi. Bémol important : le décollage étant la phase la plus énergivore des eVTOL, ceux-ci deviennent d’autant plus efficients que la distance parcourue est longue : « Leur consommation énergétique est similaire ou plus faible que celle attendue des voitures électriques après 160 km », estiment les chercheurs. Une distance bien supérieure à l’autonomie et au service proposé par ces taxis volants…

« Le progrès de la société implique forcément plus d’énergie ! »

Quant aux transports en commun, ils seraient largement moins gourmands en énergie. Une navette ferroviaire entre un aéroport et un centre-ville pourrait consommer 160 Wh/p-mi, voire 80 Wh/p-mi si elle est directe, avait par exemple calculé en 2022 l’analyste en aéronautique Bjorn Fehrm, chiffres cohérents avec les propres estimations du secteur. « Dans un monde de plus en plus contraint, il faut mettre les ressources énergétiques au bon endroit, développer les transports en commun. Créer de nouveaux usages énergivores est une aberration », dénonce Charlène Fleury, coordinatrice du réseau citoyen Rester sur Terre.

Et la surconsommation énergétique pourrait être d’autant plus forte que l’emploi d’eVTOL pourrait ne pas se contenter de remplacer d’autres moyens de transport à usage constant, mais engendrer de nouveaux usages. « Le chercheur Aurélien Bigo a montré que nos temps de transport journaliers n’avaient pas changé depuis des décennies : quand les moyens de transport deviennent plus rapides, on se met à habiter plus loin au lieu de se déplacer moins. Veut-on laisser les transports aériens façonner à nouveau l’urbanisme comme les voitures avant eux ? », interroge Charlène Fleury.

Au Bourget, le rêve de sauver le monde par la technologie lui apporte une réponse sans ambages, par l’intermède d’Andreas Perotti, représentant des eVTOL EHang : « Imaginez si les distances n’existaient plus ! On pourrait habiter dans les plus belles campagnes et travailler à Paris. Ce serait un progrès énorme, et le progrès de la société implique forcément plus d’énergie. Il faut l’utiliser avec sagesse mais je ne crois pas du tout qu’il faille aller vers moins de consommation. »

« Le ciel est le dernier espace de vie sauvage en ville... »

L’avenir des taxis volants se retrouve ainsi pris entre deux feux : devenir un transport de masse au risque d’être accusés d’engendrer une surconsommation énergétique irresponsable, ou viser un usage de niche et rendre difficilement supportables socialement les nuisances sonores engendrées. Sans compter les autres conséquences écologiques potentielles, comme le risque d’impacts avec les oiseaux, inquantifiable, nous dit-on sur place, tant que ces engins ne sont pas en circulation, ou le risque de pollution visuelle. « Le ciel est le dernier espace de vie sauvage en ville. Lever les yeux est tout ce qu’il nous reste pour échapper au goudron. Si l’on sature le ciel de drones et de taxis volants, qu’est-ce qu’il nous restera ? », s’inquiète Dominique Lazarski. Dans le vaste hall 5 du salon du Bourget, personne n’avait de réponse à cette question.

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