Au Camp climat, de nouveaux militants ont gaiement préparé les luttes à venir

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Climat LuttesFormer une nouvelle génération de défenseurs du climat, voici l’objectif du Camp climat, organisé début août par Alternatiba, les Amis de la Terre et ANV-COP21. Pendant 12 jours, près de 600 personnes se sont formées à la désobéissance civile. Bonne humeur et énergie, pour le combat climatique.
- Maury (Pyrénées-Orientales), reportage
On ne naît pas militant écologiste, on le devient. Telle pourrait être la devise de la seconde édition du Camp climat, organisé du 4 au 15 août à Maury, dans Pyrénées-Orientales, par Alternatiba, les Amis de la Terre et ANV-COP21. Près de 600 personnes ont participé à 223 sessions de formation pour apprendre à désobéir et à se mobiliser pour coordonner une action. Ils ont testé diverses techniques de blocage face aux policiers, appris à communiquer face à la presse, à gérer une éventuelle garde à vue, à devenir clown militant, etc. Dans le public, beaucoup de néophytes, comme l’explique Sylvine Bouffaron, l’une des organisatrices. « Une bonne partie des participants ne connaissait pas nos organisations. Cela veut dire que nous avons touché d’autres cercles, ce qui nous renforce et nous donne de l’énergie pour nos futurs projets. On est en train de construire une base très solide de militants. » Parmi les nouvelles têtes, beaucoup ont été sensibilisées grâce aux réseaux sociaux, comme Facebook, où elles ont notamment visionné les vidéos de Vincent Verzat, dont le blog « Partager c’est sympa » séduit chaque semaine des milliers d’internautes. Présent au Camp climat, Vincent Verzat a publié une vidéo pour expliquer les enjeux de l’événement : elle a reçu 317.000 vues en 10 jours.
Dans les commentaires, les internautes expliquent être séduits par son ton pêchu et drôle qui tranche avec le catastrophisme habituel des publications traitant du dérèglement climatique.
À Maury, on a également croisé des anciens de Nuit debout, dont certains étaient plus « cortège de tête » que « bisounours ». Curieux, ils sont venus écouter les débats et s’intéresser aux méthodes d’action non violente, même si certains s’avouent assez amers face au « dogmatisme de la non-violence » prôné par les organisateurs. « Ils sont tellement obsédés qu’ils en deviennent excluants. Par exemple, au media center, le terme “diversité des tactiques” était interdit sur les réseaux sociaux. J’ai peur que cela ne les isole d’autres composantes de la lutte », regrette un participant. De son côté, Jon Palais, cofondateur d’Alternatiba et d’ANV-COP21, ne varie pas dans son discours, rappelant souvent les consignes d’une mobilisation non violente : agir à visage découvert, ne pas commettre de dégradations non prévues, ne pas rendre les coups, même si on est frappé, s’écarter et se dissocier des manifestants violents. « La violence peut parfois être nécessaire pour éviter une violence plus grande, mais elle n’est jamais juste. Elle déshumanise celui qui la subit et celui qui l’exerce », assure celui qui est devenu célèbre lors du procès des Faucheurs de chaises à Dax en janvier 2017.

La « simulaction » constitue le point d’orgue du rassemblement
Entre vignes et collines, au pied des Pyrénées, le village de Maury offre un cadre idyllique pour les participants au Camp climat. Présent à la session d’ouverture, le maire, Charles Chivilo, a prêté l’ensemble des installations de la commune, de la salle des fêtes à l’école, ainsi qu’un vaste espace dans les hauteurs pour installer le camping, le parking et la scène de spectacle. « Le conseil municipal nous a été d’une grande aide, confirme Jacques, qui s’occupe de la logistique. Mais nous avons entendu dire que quelques habitants ont été perturbés par notre venue. » Il faut dire que la région est tenue par le Front national depuis les dernières législatives, remportées de justesse par Louis Aliot devant la candidate du Modem, Christine Espert.

Pourtant, malgré nos recherches, nous n’avons pas réussi à trouver de mécontents. Au café du village, les habitués sont, au pire, désintéressés et, au mieux, bienveillants. Si aucun n’a participé aux projections de film organisées par le Camp, malgré les affiches placardées dans les rues, personne ne montrait une quelconque animosité envers les militants. Lors de la brocante organisée le dimanche 13 août, en même temps qu’une grande « simulaction », les badauds étaient étonnés face aux groupes de militants qui s’entraînaient à la désobéissance civile, mais compréhensifs dès lors qu’on leur en expliquait les enjeux. « C’est votre avenir qui se joue. Il faut être actif », assure une vieille dame. « Je trouve cela très bien. C’est dans l’air du temps et c’est le temps de réagir », souffle sa voisine.

La « simulaction » constitue le point d’orgue du rassemblement. Une mise en pratique en conditions réelles de toutes les leçons apprises pendant ces 12 jours de formation. Dans le scénario pensé par les organisateurs, Maury est renommé « Mauranne », siège social de la multinationale « Morfal », un géant pétrolier qui souhaite exploiter des gisements offshore au large de l’Australie et déboiser toute la colline du village pour installer un centre de formation. À l’occasion de ses 70 ans, Morfal convie à Mauranne d’éminents experts climatosceptiques ainsi que le ministre de l’Environnement, Nicolas Culot, pour un grand congrès. L’objectif des militants : perturber ce sommet à tout prix.

Pendant 2 jours, 330 participants ont organisé différents groupes d’action en fonction des affinités. Les « gay pinsons » préparaient un procès public de Morfal, qui ne respecte pas ses engagements de réduction de gaz à effet de serre. Les « dalmatiens » se sont attelés à convaincre les « faux » congressistes d’arrêter l’exploitation pétrolière. « Les bisounours » ont mené des actions directes à côté des clowns militants. L’équipe juridique a détaillé les bases légales de l’action et donné les conseils en cas d’arrestation.

Revigorer les troupes pour la rentrée, qui s’annonce chargée
Dans cette grande pièce de théâtre militante, les rôles ont été distribués en fonction des goûts et des niveaux d’engagement. Car tout le monde n’est pas prêt au contact physique avec les forces de l’ordre, même non violent. Plantée en rang d’oignons devant le « faux » centre des congrès, une « polisse » plus vraie que nature repoussait les manifestants à coup de — faux — jets de lacrymos. « Ce n’était pas très sympa de jouer le rôle d’un CRS, s’exclame Hadrien, l’un des militants-figurants. On a presque de l’empathie pour eux, car ils s’ennuient beaucoup, ils ont chaud, et n’ont n’a pas trop le loisir de bouger. » Les scènes étaient si criantes de vérité qu’un badaud — un peu naïf — s’est approché pour scander avec les opposants : « À bas la police ! »

Pendant toute la matinée, une équipe de vidéastes et photographes militants était à pied d’œuvre pour garder une trace de l’exercice, publier une vidéo de l’action et relayer les images au centre média, à l’arrière, qui alimentait divers comptes Twitter créés pour l’occasion ainsi que le mot-dièse #morfalclimatique. « La réussite d’une action de désobéissance civile non violente repose à 50 % sur la communication. C’est quelque chose qui se travaille et pour laquelle il est important de s’entraîner », assure Sylvine Bouffaron.

Après une longue matinée de lutte, les participants étaient fatigués mais satisfaits d’avoir pu se frotter à la réalité du terrain. « Je vois dans leurs yeux la volonté de continuer et d’entreprendre des actions dans les mois qui viennent. Dans tous les cas, nous recroiserons ces personnes tôt ou tard », assure Gabriel Mazzolini, l’un des organisateurs. Dans la salle des fêtes qui sert de point d’accueil, certains remplissent déjà des formulaires d’adhésion.

Nul doute que le Camp climat aura permis aux Amis de la Terre, à Alternatiba et ANV-COP21 de revigorer leurs troupes pour la rentrée, qui s’annonce chargée. Pendant tout l’automne, plusieurs villes organiseront leur village des Alternatives. À Paris, ce sera le 30 septembre et le 1er octobre place Stalingrad. Reporterre y participera et animera le grand débat du dimanche.
En 2018, les militants reprendront le guidon de leurs vélos « quadruplette » et « triplette » pour un nouveau tour des alternatives, à l’image de celui organisé en 2015, où les cyclistes avaient avalé 5.630 kilomètres sur les routes de France, de Belgique et d’Allemagne. Un événement capital pour diffuser les idées et la philosophie d’Alternatiba, explique Jon Palais : « Ce tour est l’occasion de mettre un coup de projecteur et de rassembler ceux qui partagent la même vision des choses. C’est un excellent outil de mobilisation de masse et de mise en réseau pour faire émerger toutes celles et ceux qui militent pour le climat. »