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Au Canada, Justin Trudeau tourne le dos à ses promesses environnementales

Le Premier ministre canadien Justin Trudeau avait fait campagne en promettant de respecter l’environnement. Mais il soutient un projet d’oléoduc géant vivement contesté et n’a pas engagé de politique de réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il est aussi ardent défenseur du traité CETA.

-  Moncton (Canada), correspondance

Pour la première fois depuis le début de son mandat, Justin Trudeau a été chahuté, mardi 25 octobre lors d’un sommet de jeunes syndicalistes à Ottawa. Une quinzaine de participants se sont tenus dos tourné au Premier ministre canadien lors d’une séance de questions-réponses. Au Canada, les défenseurs de l’environnement reprochent à Justin Trudeau de ne pas tenir ses engagements en matière d’écologie, après un an au pouvoir.

« Respectez vos promesses ! » ont lancé les manifestants à Justin Trudeau. Le si populaire Premier ministre du Canada, habitué aux bains de foule et aux selfies, affrontait là un de ses premiers revers face à l’opinion publique.

En campagne pour les élections fédérales en 2015, Justin Trudeau avait promis d’agir pour faire du Canada un chef de file en matière de protection de l’environnement.

Dans la salle, Sophie Birks, une étudiante, engagée en écologie, a mis en garde le premier ministre : « Si vous approuvez l’oléoduc, vous allez nous perdre. Vous allez nous perdre en tant que jeunes, nous n’allons pas voter pour vous. »

De jeunes travailleurs tournent le dos à M. Trudeau pendant son discours, pour manifester leur rejet de l’oléoduc géant.

L’oléoduc en question est celui projeté par l’entreprise états-unienne Kinder Morgan. Son ambition ? Doubler l’oléoduc Trans Mountain déjà existant qui relie Edmonton en Alberta à Burnaby, à 1.000 km de là, près de Vancouver, sur la côte ouest. S’il est approuvé, le nouvel oléoduc pourra acheminer chaque jour, dès 2019, 900.000 barils de pétrole, soit trois fois plus qu’aujourd’hui.

Aux manifestants, Justin Trudeau donne une réponse économique : il faut, dit-il aux Canadiens, mener « nos ressources vers des nouveaux marchés ». Selon la compagnie Kinder Morgan, le nouvel oléoduc générerait près d’un milliard de dollars en activités économiques et environ 34.000 emplois par an.

« Je comprends les gens qui disent qu’ils ne veulent pas d’exportation de pétrole, qu’ils ne veulent pas d’économie basée sur les carburants fossiles, mais nous n’en sommes pas là », déclare Justin Trudeau.

Le projet a déjà été approuvé par l’Office national de l’énergie (un organisme de réglementation fédéral) en mai dernier, au prix de 157 conditions et au terme de trois ans d’audiences et de discussions.

Pour l’Association des producteurs de pétrole du Canada, c’est en effet « un premier pas important vers de nouveaux marchés qui va permettre de créer de l’emploi et de la prospérité », en rappelant que le Canada est la 3e plus grande réserve d’or noir au monde.

Kinder Morgan veut tripler la capacité de l’oléoduc Trans Mountain existant.

Le gouvernement de Justin Trudeau doit donner son avis à la mi-décembre. Mais les libéraux semblent plutôt favorables au projet, pressés par certaines provinces productrices de pétrole et le lobby pétrolier d’accepter un projet de pipeline, alors que l’économie est flageolante.

Le projet Trans Mountain est aussi le moins risqué parmi tous ceux à l’étude, face à l’opinion, puisqu’un oléoduc existe déjà sur le parcours. Contrairement au projet Energie Est, de Trans Canada, qui prévoit lui un nouveau tracé sur 1.400 km pour approvisionner les raffineries de l’est du pays en pétrole des sables bitumineux.

Des projets contraires aux objectifs de l’Accord de Paris

Pourtant dès le feu vert de l’Office national de l’énergie, Greenpeace Canada a rappelé que le projet de Kinder Morgan fait face à une opposition grandissante en Colombie-Britannique, la province de Vancouver, où des milliers de personnes ont exprimé leur rejet du projet en raison des risques énormes qu’il entraînerait sur l’environnement et la santé des communautés.

Le maire de Vancouver, Gregor Robertson, a déclaré en août que le projet d’agrandissement de l’équipement ne fait aucun sens d’un point de vue environnemental mais aussi économique. « Le projet Trans Mountain, c’est 600 % d’augmentation de pétroliers dans nos eaux. Les risques de déversement sont trop importants », évalue t-il.

« Nous ne pouvons pas bâtir de nouveaux oléoducs tout en disant vouloir respecter les objectifs de Canada en matière de lutte contre les changements climatiques adoptés à Paris », estime Patrick Bonin, de Greenpeace Canada.

Présent à Paris lors de la Cop 21, Justin Trudeau a annoncé la ratification par le Canada de l’Accord de Paris en octobre.

Pourtant le Premier ministre n’a toujours pas revu l’objectif de son prédécesseur, le conservateur Stephen Harper, d’une baisse de 30 % d’ici 2030 des émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau de 2005. Un niveau peu ambitieux mais qui sera tout de même difficile à atteindre, compte tenu de la progression des émissions canadiennes à un rythme rapide.

Car à peine quelques semaines plus tôt, Justin Trudeau donnait son aval, fin septembre, au projet de gazoduc de Pacific NorthWest LNG, qui va faciliter l’exportation de gaz de schiste vers le marché asiatique. A la clé : 6,5 à 8,7 millions de tonnes d’émission de gaz à effet de serre par an.

Selon un rapport de l’Agence canadienne d’évaluation environnementale publié cette année, ce projet deviendra « un des plus importants émetteurs de gaz à effet de serre au Canada ». En effet, il devrait entraîner à lui seul une hausse de 8,5 % des émissions en Colombie-Britannique et de 1 % à l’échelle canadienne. Des chiffres bien loin des promesses de campagne.


L’OPINION CANADIENNE INDIFFERENTE AU CETA

Au Canada, il n’y a pas de mouvement de contestation d’envergure du CETA, le projet de traité de libre-échange avec l’Union européenne, ou de soutien à la Wallonie, qui s’y oppose vigoureusement. Certains figures de l’activisme au Canada, comme Naomi Klein, ont apporté leur soutien à Paul Magnette, via un message Twitter, en qualifiant sa position de "lutte pour la démocratie". "De nombreux Canadiens vous remercient" a t-elle indiqué. Mais l’opinion publique semble laisser le débat entre les mains des politiques des deux côtés de l’Atlantique. D’ailleurs, pour les politiques québécois au coeur des négociations de l’accord de libre-échange, cette opposition de la Wallonie est seulement due à des problèmes de politique intérieure en Belgique. "En ce moment, l’accord est un peu tenu en otage par des éléments de la politique intérieure de la Wallonie et des relations entre la Wallonie et son gouvernement central", estime Pierre-Marc Johnson, négociateur en chef du Québec.

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