Au Groenland, la fonte des glaces libère du mercure toxique

L'est du Groenland. - © Flickr/CC/Greenland Travel
L'est du Groenland. - © Flickr/CC/Greenland Travel
Durée de lecture : 4 minutes
Climat MondeDes concentrations inquiétantes de mercure ont été observées dans les rivières et les fjords issus des eaux de fonte glaciaire du Groenland, selon une récente étude. Un métal toxique qui s’accumule dans les organismes de la faune et des populations autochtones.
Le réchauffement climatique entraîne la fonte des glaciers et donc une élévation du niveau de la mer, mais pas seulement. Selon une étude publiée lundi 24 mai dans Nature Geoscience, les rivières et les fjords issus des eaux de fonte des blocs de glace du Groenland présentent des concentrations de mercure inquiétantes.
Des scientifiques ont effectué deux expéditions au Groenland, en 2015 et 2018, et ont prélevé des échantillons de trois rivières recevant des quantités substantielles d’eau de fonte de la calotte glaciaire, jusqu’à 800 m3 par seconde. Les échantillons ont été filtrés pour éliminer tout sédiment et mis à l’abri de toute contamination. Les chercheurs ont ensuite analysé la concentration de mercure dans chacun d’eux.
Conclusion : le taux de mercure dissous relevé par les chercheurs est près de dix fois plus élevé que ceux habituellement mesurés dans les rivières (plus de 150 nanogrammes par litre, contre environ 1 à 10 nanogrammes par litre). « Il y a des niveaux étonnamment élevés de mercure dans les eaux de fonte glaciaire que nous avons échantillonnées dans le sud-ouest du Groenland », a déclaré dans un communiqué de presse de l’université d’État de Floride, le biogéochimiste responsable des recherches, Jon Hawkings. C’est un taux record, similaire à celui des rivières les plus polluées par les humains.
« Les fjords de l’Arctique pourraient devenir des points chauds, très concentrés en mercure »
Sauf qu’ici, le mercure serait d’origine naturelle. « La raison de ces concentrations reste encore un peu en suspens, explique à Reporterre Jérôme Fort, chercheur du CNRS au laboratoire Littoral, environnement et sociétés. Jusqu’à présent, on pensait que le mercure était transporté de nos latitudes à l’Arctique grâce aux courants atmosphériques. Mais l’étude suggère qu’il est produit grâce aux propriétés physiques et chimiques du milieu. Il s’avère que dans la structure géologique de la calotte glaciaire, il y a des quantités importantes de mercure. » Un phénomène d’autant plus inquiétant que rien ne peut être fait pour limiter la libération du métal.
Les chercheurs estiment que cette source de mercure exporte des quantités importantes dans les fjords, ces étendues d’eau longues et étroites creusées par les glaciers en mouvement, situés en aval. Cette région du Groenland pourrait exporter jusqu’à 42 tonnes de mercure chaque année, soit environ 10 % de l’exportation mondiale estimée de mercure des rivières vers les océans. « Les fjords de l’Arctique pourraient devenir des points chauds, très concentrés en mercure », complète Jérôme Fort.

Une précédente étude, publiée en 2018, avait révélé que les sols glacés de l’hémisphère Nord représentent la plus grande réserve de mercure de la planète. 1 656 millions de kilogrammes de ce métal y sont présents. 863 millions de kilogrammes se trouvent dans la couche superficielle du sol qui gèle et dégèle chaque année, et 793 millions de kilos sont gelés dans le pergélisol. Au total, cela permettrait de remplir l’équivalent de cinquante piscines olympiques.
Les populations autochtones touchées
Si l’origine anthropique de ce mercure est exclue, la question des conséquences de cet échappement pour les écosystèmes se pose. Car le métal toxique s’accumule dans les organismes de la faune locale : « Lorsqu’il est libéré, le mercure est sous forme inorganique, il n’a pas d’impact sur les espèces, dit M. Fort. Mais dans certaines conditions, il se transforme en méthylmercure, une forme plus toxique. »
Du méthylmercure se retrouve ainsi dans les systèmes digestifs des oiseaux, poissons, phoques, morses, ours polaires ou baleines. Et les populations autochtones de l’Arctique, qui dépendent de la pêche et de la chasse pour se nourrir, présentent une des plus hautes concentrations dans le sang, selon le chercheur du CNRS. « Plus on monte dans la chaîne alimentaire, plus le taux de méthylmercure est important : les organismes accumulent le mercure, les prédateurs ingèrent le mercure des proies, leur mercure est à leur tour ingéré par leurs prédateurs, etc. Et en bout de chaîne, on trouve les populations autochtones de l’Arctique », explique Jérôme Fort.
Or, à fortes doses, le mercure peut avoir des effets sur les organismes. « C’est d’abord un neurotoxique, qui peut impacter le cerveau et affecte la reproduction », indique le chercheur. Chez les enfants, il peut nuire au bon développement du cerveau, affecter la mémoire, leurs capacités langagières et même leurs aptitudes motrices et visuelles. Chez les adultes, des quantités excessives de mercure peuvent entraver la vision, la parole et les mouvements musculaires ; compromettre le système immunitaire et causer de graves problèmes cardiovasculaires.