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Le réchauffement climatique au Groenland atteint un point de non-retour

Plusieurs récentes études révèlent que la fonte accélérée d’une partie de la calotte glaciaire au Groenland, notamment à l’Ouest, est désormais quasi irréversible. Ces zones menacent en effet de ne plus se régénérer.

Il est peut-être déjà trop tard et ce constat n’a malheureusement rien de théorique. C’est le bilan tiré par plusieurs études minutieuses, publiées récemment dans des revues scientifiques d’envergure internationale. Le Groenland se situe aujourd’hui à un point de bascule, ou du moins s’en rapproche dangereusement. Sa surface s’est réchauffée de 2,7 °C depuis 1982 et sa calotte glaciaire fond déjà sept fois plus vite que prévu, à un rythme jamais observé depuis 12 000 ans. Mais l’ampleur de la catastrophe pourrait être encore bien pire, a-t-on appris ces derniers jours. Une série de phénomènes climatiques aggrave la situation actuelle et nous entraîne sur un terrain inconnu, où les réactions en chaîne risquent d’avoir de graves conséquences.

« Nous sommes au bord du gouffre, alertent les chercheurs Niklas Boers et Martin Rypdal. Chaque année passée sans baisser nos émissions de CO2 augmente de façon exponentielle la probabilité de franchir un point de non-retour », écrivent-ils en introduction de leur rapport publié dans les Actes de l’Académie nationale des sciences des États-Unis (PNAS).

Les chercheurs révèlent dans leur étude que la fonte accélérée d’une partie de la calotte glaciaire, dans l’ouest du Groenland, est désormais quasi irréversible, même si le réchauffement climatique s’arrêtait demain. Elle conduirait automatiquement à une élévation du niveau de la mer de 1 à 2 mètres. À partir du moment où le seuil de température critique aura été dépassé, la glace sera vouée à fondre quoi qu’il en soit. Cela prendra certes plusieurs centaines d’années, mais le phénomène sera inévitable. « Si l’on veut revenir à la hauteur d’origine de la calotte glaciaire, on doit ramener les températures sous les niveaux préindustriels », expliquent les auteurs au Guardian. Une tâche plus que complexe.

Vue aérienne d’une île au large du Groenland.

« Certaines parties de la calotte glaciaire menacent de ne plus se régénérer »

Un cercle vicieux est à l’origine de la situation. Les scientifiques appellent ce phénomène « une boucle de rétroaction positive ». Du fait du réchauffement climatique, la calotte glaciaire voit son altitude diminuer. Sa surface est alors exposée à des températures plus chaudes, ce qui accélère encore la fonte. « En moyenne, si on baisse de 100 mètres de hauteur, on gagne un degré de température, confirme à Reporterre le climatologue à l’université de Liège Xavier Fettweis. À ce stade, certaines parties de la calotte glaciaire menacent de ne plus se régénérer. »

Lundi 17 mai, une nouvelle étude scientifique est venue illustrer une autre rétroaction dangereuse. Depuis les années 2000, le Groenland traverse des conditions météorologiques qui augmentent les effets du réchauffement climatique. Un changement de circulation atmosphérique favorise des conditions anticycloniques et l’ensoleillement. Les tempêtes de neige se font plus rares, et à défaut de neige fraîche, le territoire s’assombrit. Ce léger changement de couleur n’est pas sans conséquence : moins blanche, la surface réfléchit moins la lumière du soleil, ce qui accélère encore son réchauffement.

De la glace fondue devant un village de l’est du Groenland.

Jusqu’à présent, la raison de cet assombrissement restait inconnue. On pensait que la pollution en était potentiellement la cause. En menant des campagnes de prélèvements à travers le Groenland, les chercheurs de l’université de Dartmouth, à l’origine de l’étude, ont invalidé cette hypothèse. Ils ont montré que la situation était liée avant tout à ces nouvelles conditions météorologiques que l’on appelle aussi « blocage atmosphérique ».

« Avec ces cercles vicieux, la fonte des glaces peut s’emballer »

L’enjeu reste à savoir si ces conditions météorologiques sont liées ou pas au réchauffement climatique et si elles vont s’inscrire dans la durée. Le débat n’est pas tranché au sein de la communauté scientifique. Mais il est certain que la météo actuelle au Groenland aggrave la situation. « On estime qu’elle multiplie par deux les effets du réchauffement sur ce territoire. C’est du moins ce que l’on observe depuis le début des années 2000 », souligne Xavier Fettweis.

Interrogé par Reporterre, Gilles Ramstein, chercheur à l’Institut des sciences du climat et de l’environnement (LSCE), pointe lui aussi les risques entraînés par ce type de rétroaction. « Le régime des fontes de glace pourrait s’emballer, dit-il. Par définition, la calotte groenlandaise n’est pas faite pour résister au climat actuel et à la pression en CO2 de 420 parties par million (ppm). Elle va fondre inéluctablement, mais cela devait prendre des centaines voire des milliers d’années. Là, avec ces boucles de rétroaction, cela peut s’accélérer dangereusement », prévient-il.

Pour l’instant, le Groenland est en effet le territoire qui se réchauffe le plus vite au monde. Tout n’est pas perdu, veulent croire néanmoins les climatologues. Une étude de la revue Nature publiée le 5 mai dernier montrait que la limitation de la température à 1,5 °C réduirait de moitié la contribution de la glace terrestre à l’élévation du niveau de la mer au XXIe siècle, par rapport aux promesses actuelles d’émissions. À la charge des politiques maintenant de faire respecter l’Accord de Paris.

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