Au Mondial de l’auto, on fait mine d’être écolo

Une Peugeot E-208 en lévitation dans sa sphère transparente. - © Scandola Graziani / Reporterre
Une Peugeot E-208 en lévitation dans sa sphère transparente. - © Scandola Graziani / Reporterre
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TransportsOn trouve de minimodèles, qui pèsent à peine 500 kilos, et de nombreux SUV surpolluants... Au Mondial de l’automobile, à Paris, les voitures électriques sont les stars. Et le greenwashing partout.
Paris, reportage
« Revolution is on. » Soit : « La révolution est en marche. » Ce n’est pas le cri de ralliement de manifestants en cette période de grèves mais le slogan du Mondial de l’auto 2022, qui a lieu du 17 au 23 octobre. Sur l’affiche s’expose un véhicule au design futuriste recouvert par un voile multicolore. Un voile d’incertitude sur ce que sera la voiture de demain. Pour en savoir plus sur cette « révolution », on est allé (à vélo) au Mondial, au parc expo de Porte de Versailles.
Un immense écran d’affichage circulaire nous accueille. Le Salon de l’auto, qui a lieu tous les deux ans, est devenu le temple de la voiture électrique, véritable mascotte de cette édition 2022. Le marché de l’électrique est effectivement en plein boom : entre janvier et août 2022, les voitures électrifiées (électriques et hybrides rechargeables) représentaient 20,1 % des ventes de voitures en France. Sur la même période, les ventes de voitures 100 % électriques neuves ont représenté 12,2 % des immatriculations.
L’ennui, c’est que le 100 % électrique semble autant à la mode que les SUV [1](41 % des immatriculations (soit 637 000 ventes) en février 2021, contre 9 % en 2011). Il n’en fallait pas plus pour lancer des... SUV électriques. Ces engins de près de deux tonnes ont colonisé le parc expo, formant une armada de SUV classés A : la meilleure note en émission de CO2. On les retrouve notamment chez Dacia, Renault, ou Sérès, dans des coloris « brun terracotta » ou « bleu astral ». Pourquoi ne pas installer la même technologie dans une berline plus légère, demande-t-on à un directeur commercial. La réponse fuse : « Mais mademoiselle, si vous faites déjà zéro émission de CO2, vous ne pourrez pas faire moins de zéro émission de CO2 ! »
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Pourtant, selon une note de l’Ademe d’avril 2022, plus de la moitié des particules fines émises par les véhicules routiers récents ne proviennent plus de l’échappement, mais de l’abrasion des pneus et des freins.
La note cible principalement les véhicules électriques dont la masse est importante du fait de la batterie, ce qui nécessite d’élargir des pneus, et in fine, augmente les émissions de particules fines liées au contact entre les pneus et la chaussée. D’où l’intérêt de diminuer la masse des voitures électriques. Et donc de ne pas produire des SUV.
De plus, des voitures plus légères supposent moins d’extraction de métaux pour les batteries et l’auto.
La petite berline électrique de Peugeot fait un carton
Tous les constructeurs automobiles ne font pas dans le king size. Peugeot par exemple, fait un carton avec sa E-208, de la taille d’une petite berline. C’est d’ailleurs la voiture électrique qui obtient le meilleur score de vente au premier semestre 2022 avec 9 712 exemplaires vendus. D’autres ont même visé le « micro » comme la marque Microlino qui présente sa gamme de voiturettes électriques. 2,44 mètres de long, 1,5 mètre de large, 500 kilogrammes avec la batterie : la microvoiture entre dans la catégorie des quadricycles lourds. Un bon intermédiaire pour réduire à la fois les émissions de CO2 et de particules fines. Problème : malgré son look à l’italienne et ses couleurs estivales, elle ne convainc pas les potentiels acheteurs. « C’est un peu zarbi quand même, je ne me vois pas conduire un truc pareil… » souffle un visiteur. Et sa femme de renchérir : « Pour aller à la plage à la rigueur, mais 15 000 euros, ça fait cher la sortie plage ! »

De manière générale, malgré la grande messe qui lui est consacrée, l’auto électrique a du chemin à faire dans le cœur des Français. Lors d’une table ronde organisée sur la grande scène du Mondial de l’auto, le directeur du pôle mobilités de l’institut de sondage Ipsos indique que « les Français sont peu nombreux à considérer que la voiture électrique a un impact sur le réchauffement climatique. Seuls 10 % citent le véhicule électrique dans les actions pour lutter contre le dérèglement climatique, loin derrière économiser l’eau, recycler les matériaux, ou même manger moins de viande. Ils ne font pas encore le lien entre le passage à l’électrique et la décarbonation. »
Parmi les personnes rencontrées au salon, la plupart comprennent pourtant très bien le lien, mais restent très critiques quant aux nombreuses « failles » de la voiture électrique. C’est notamment le cas d’un groupe de jeunes entre 18 et 20 ans qui font la queue au stand de Vilebrequin, une chaîne Youtube consacrée à la passion de l’automobile suivie par plus de 2 millions de personnes. Pour eux, il est hors de question d’envisager d’acheter un véhicule électrique. L’un est étudiant à l’Estaca, une école d’ingénieurs des transports, et cite « les composants des batteries qu’on va chercher dans des mines sur d’autres continents, et qui ne font que déplacer le problème des ressources. » Selon ces futurs ingénieurs, la solution serait de diversifier les alternatives et pas de s’enfermer dans un nouveau « dogme » du tout électrique. Ils concluent : « Et sinon, y a le vélo aussi ! »

Face aux réticences, il y a le bonus écologique de 6 000 euros qui passerait à 7 000 euros en 2023, selon les annonces d’Emmanuel Macron [2]. Un cadeau du gouvernement pour inciter les Français à se tourner vers des véhicules électriques. C’est notamment ce qui a poussé Mo, la quarantaine, à venir découvrir les nouveaux modèles au Salon de l’auto. Rencontré au stand de la nouvelle marque chinoise BYD (Build Your Dream), il tente d’obtenir des informations sur l’autonomie des batteries. Mais les hôtesses, habillées et coiffées à l’identique, sont sollicitées de tous les côtés. Fraîchement débarquée en France, la marque Build Your Dream, en français « construisez vos rêves », vend effectivement du rêve : attirés par son immense dispositif publicitaire et ses trois modèles de voitures électriques, les visiteurs se ruent pour les essayer.
Les prix font rapidement revenir à la réalité : 70 000 euros pour le modèle haut de gamme, 35 000 euros pour la « citadine classique » qui est... un SUV. Même avec le bonus écologique, Mo aura du mal à se payer une voiture à ce prix. Il réfléchit plutôt à la solution du leasing — un anglicisme qui désigne la location d’une voiture sur une période donnée. Et s’interroge : « Dans dix ou vingt ans, est-ce la voiture électrique sera toujours d’actualité ? Moi je pense qu’on sera passé à l’hydrogène. C’est ça l’avenir. »
Voitures à hydrogène : la course à la technologie
Quelques véhicules à hydrogène sont justement exposés au salon. La marque française Hopium a notamment fait le buzz avec sa voiture à hydrogène Hopium Machina Vision : une puissance de 500 CV avec 1 000 kilomètres d’autonomie, pour 3 à 4 minutes de temps de recharge. Posée sur un présentoir tournant dans un espace blanc immaculé, la voiture aux lignes futuristes fait forte impression dans ce décor volontairement neutre. Le « concept-car » — le véhicule ne sera commercialisé qu’en 2025 — sera vendu 120 000 euros.

Chez Alpine, une marque de voitures de sport qui appartient au groupe Renault, on a aussi son petit bijou à hydrogène : l’Alpine Alpenglow, du nom d’un phénomène optique présent dans les Alpes au soleil couchant. L’Alpine Alpenglow fonctionne avec un moteur à combustion d’hydrogène : l’hydrogène remplace directement le carburant, alors que chez Hopium, il sert à produire de l’électricité. Présenté comme une énergie verte, la production d’hydrogène est pourtant fort polluante : en produire un kilogramme génère 10 kilogrammes de CO2.
Cette course à la technologie se déploie également dans les décors pharaoniques des exposants. L’heure n’est toujours pas à la sobriété : chez Peugeot, une E-208 lévite dans une immense sphère transparente. Chez Renault, un écran géant diffuse des publicités en continu. Sans compter les néons, spots et autres éclairages gourmands en électricité. Dans ce gouffre énergétique qu’est le salon de l’automobile, la mise en avant des arguments écologiques se résume à du greenwashing.