Au Testet, l’Etat piétine la loi sur l’archéologie

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SivensLa France de M. Valls est-elle la Russie de Poutine ? Au Testet, Reporterre révèle que la législation protégeant le patrimoine archéologique a été totalement oubliée, malgré des preuves évidentes d’un patrimoine conséquent. L’Etat avait déjà « oublié » l’autorisation de défrichement.
Cette révélation sur l’illégalité de la destruction intervient alors que, depuis lundi, la police intervient de nouveau très violemment sur le site.
- Toulouse, correspondant
Le projet de barrage du Testet a totalement ignoré les procédures en matière de fouilles archéologiques préventives. C’est Eric Yebdri, archéologue au bureau de Béziers de l’INRAP (Institut national de recherches archéologiques préventives) qui nous révèle que depuis la loi de janvier 2001, qui réglemente l’archéologie préventive, tous les projets d’aménagement doivent être au préalable présentés au service régional de l’archéologie, une branche de la Direction Régionale des Affaires Culturelles.
« La grande majorité des fouilles archéologiques en France sont réalisées dans le cadre des projets d’aménagements », explique-t-il. Autoroutes, aéroports, réseaux ferroviaires, centres commerciaux, lotissements, tout projet d’envergure doit normalement passer sur le grill des services archéologiques via la procédure de « diagnostic archéologique », une étude d’impact préalable qui permet de mieux connaître le terrain et de juger de la pertinence de fouilles plus approfondies. Pour le chercheur, « L’ensemble de ces opérations d’archéologie préventives ont fait avancer à pas de géant les connaissances que nous avions sur les périodes anciennes dans tout l’hexagone. »
Où est le diagnostic archéologique du Testet ?
Ce travail préalable peut changer la donne : à Toulouse par exemple, les travaux de fouille archéologique ont retardé de plusieurs mois la construction des nouveaux bâtiments universitaires du centre-ville après la découverte de vestiges gallo-romains
La loi de 2001 a été complétée par une circulaire du 24 novembre 2004 : « La saisine du préfet de région par l’aménageur en vue de la prescription d’un diagnostic archéologique se fait sous forme d’une déclaration obligatoire de l’aménageur à un moment où le projet est déjà suffisamment calé, soit, à titre indicatif, après obtention de l’autorisation au titre de la loi sur l’eau ou un an à six mois avant l’enquête parcellaire. »
Au Testet, malgré une saisine en 2008, les services de la Direction régionale des Affaires culturelles de Midi-Pyrénées n’ont pas jugé nécessaire d’effectuer un diagnostic, comme l’explique à Reporterre le conservateur du Service régional d’archéologie (SRA) de Midi Pyrénées, Michel Vaginay : « Nous avons bien été saisi d’une demande de renseignements en 2008. Nous avons évalué cette requête et au regard des éléments fournis à ce moment-là en matière d’archéologie, nous n’avons pas prescrits d’opérations archéologiques. » M. Vaginay précise que « doivent s’articuler en permanence les besoins respectifs entre les acteurs économiques et les services du patrimoine. Au final, sur mille dossiers en moyenne chaque année, seuls 10 à 12 % seulement font l’objet d’une prescription. ».
Seul hic : ce ratio concerne l’ensemble des demandes, particulier, entreprises et acteurs publics. Eric Yebdri s’interroge : « Comment se fait-il que le SRA intervienne pour parfois bloquer un permis de construire pour un particulier dans son jardin, tandis que ce projet de barrage s’étendant sur quarante hectares, avec forage en profondeur, un investissement public de plusieurs millions, ne suscite aucune étude ? »
Conservateur ignorant, préfet juge et partie
Le comble est que la zone dispose d’un intérêt archéologique évident. Une recherche dans les archives du Bulletin de la Société Préhistorique de France permet de dénicher sans difficulté un article scientifique de Bernard Betirac, daté de 1950 portant sur les « Stations préhistoriques des alluvions pliocènes entre Tarn et Aveyron ».
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L’article mentionne explicitement des traces archéologiques dans la forêt de Sivens :
« En pleine forêt de Sivens, je pouvais me rendre compte que malgré l’humus déposé depuis des siècles, les sables et graviers du Pliocène avaient toujours tendance à donner des clairières et je pouvais recueillir des silex taillés sur un sol vierge de culture. » (Bulletin de la Société préhistorique de France, 1950, tome 47, n°5, p. 216).

Et plus loin, on trouve une carte des lieux dans lesquels l’ a trouvé des silex daté du paléolithique et la liste détaillée, dans laquelle on trouve mention des lieux suivants :
« Forêt de Sivens. — Traces au voisinage de la crête Sud de la route, cote 262, Nord de la Jasse, etc. Lisle-sur-Tarn. Barat-Haut. — Sud de l’ancien moulin. Commune Lisle-sur-Tarn. Les Barrières. — Dispersion autour du village. Communes Salvagnac et Puycelci » , soit les lieux même avoisinant la zone humide du Testet.

« Les récoltes de B. Betirac sont la documentation la plus complète et la plus variée intéressant la préhistoire des alentours de Montauban », expliquait l’un de ses pairs au moment de son décès.
Mais le conservateur régional d’archéologie affirme « ne pas savoir de quoi il en retourne ».
En fait, une pirouette juridique lui permet de se défausser. Car en 2003, l’archéologie préventive a été réformée, alors que Jean-Pierre Raffarin était premier ministre. La réforme, outre la mise en concurrence des fouilles, a donné au conservateur le seul pouvoir de faire une proposition au Préfet, qui lui seul, décide d’effectuer ou non les études préalables.
Cela n’a pas empêché le Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet d’adresser un courrier au Préfet du Tarn pour lui demander des explications sur l’absence de diagnostic archéologiques préventif. Il n’a pour l’heure reçu aucune réponse.
C’est à croire qu’en la matière, tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains d’une personne, le Préfet, qui, à la fois juge et partie sur le fond du projet, décide également du bien fondé de recherches archéologiques sur les projets qu’il promeut. Pas étonnant qu’une telle confusion des genres aboutissent à la conduite aussi brutale d’un projet comme celui du barrage de Sivens.
Au Testet, contrairement à Notre-Dame des Landes où l’Etat a fini par admettre qu’il fallait examiner tous les recours juridique avant de réaliser le projet, la patience n’a pas cours. Trois recours y sont toujours en attente de jugement sur le fond. Mais ce mardi, débuteront les travaux de décapage, premier étape d’un chantier qui rendra désormais irréversible la destruction de la zone humide du Testet.
UNE NOUVELLE JOURNEE DE VIOLENCE ET D’ABUS POLICIERS

Une semaine seulement après l’arrêt des interventions quotidiennes, l’assaut policier a repris ce lundi matin sur la zone humide. Accueillis par un barrage de cinq voitures, les forces de police ont tout bonnement commencé la journée en brisant les vitres et sortant de force les personnes des lieux.
Les policiers se sont ensuite déployés sur toute la zone, prenant d’assaut tous les campements. Fidèle à ce qui devient une habitude, les brutalités physiques sont assorties de violences psychologiques, du saccage des lieux, les affaires personnelles dans les différents lieux étant piétinées et brûlées sans aucune retenue. Le campement principal a lui aussi été évacué, seules quelques personnes restaient dans des caravanes ou dans l’unique arbre encore debout sur l’espace ravagé par les machines deux semaines auparavant.
À midi, une énorme explosion se fait entendre. Il s’agit de deux bouteilles utilisées pour la cuisine dans les campements et qui ont été neutralisées par les forces de police, comme le veut la procédure classique.
Un peu plus tard dans l’après midi, c’est la ferme de la Métairie neuve qui fait l’objet des assauts policiers. « Ils nous ont tellement gazé que l’air était totalement irrespirable, c’était encore plus fort qu’il y a deux semaines », témoigne Claude, zadiste. Après cette démonstration de force, les gendarmes ont fini par se replier sans incendier cette fois les effets personnels
Au soir, hormis la Métairie Neuve réoccupée, tous les campements étaient évacués. À la fin de la journée, on recense un blessé par flashballs, évacué en urgence, une personne dans une voiture le matin ayant reçu un éclat de vitre dans l’œil et surtout des dizaines de personnes touchées par les gaz lacrymogènes utilisés à outrance.
Ben Lefetey, porte parole du collectif, synthétise : « C’est une démonstration de force qui vise à faire craquer les gens. » Mais cela n’entame pas la détermination du Collectif : « La Commission européenne est saisie et pourrait condamner dans les prochains jours la France sur le projet de Sivens pour le non-respect de la directive sur l’eau, ce qui pourrait suspendre également les financements européens FEADER à hauteur de deux millions d’euros ». Avec d’autres membres du collectif, M. Lefetey rencontrera mercredi les experts envoyés par le ministère de l’Environnement « pour que ceux-ci puisse se prononcer au plus vite ». Mais cette fois, difficile de voir ce qui pourra stopper les travaux de décapage qui devraient commencer ce mardi matin, avec une semaine d’avance sur le planning du chantier.