Au Tour de France, « la caravane publicitaire est une gabegie écologique »

L'un des véhicules de la caravane publicitaire du Tour de France en 2014, lors d'une étape dans le Jura. - Wikimedia Commons/CC0 1.0/Spielvogel
L'un des véhicules de la caravane publicitaire du Tour de France en 2014, lors d'une étape dans le Jura. - Wikimedia Commons/CC0 1.0/Spielvogel
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Pollutions SportsLes goodies et échantillons « recyclables » distribués au public du Tour de France ne sont que du « greenwashing sans intérêt », estime Thomas Bourgenot du RAP, qui milite contre l’agression publicitaire.
De Bilbao, en Espagne, s’élancent samedi 1er juillet les 176 coureurs du Tour de France 2023. Vingt-et-une étapes au programme, plus de 3 400 km, une trentaine de cols à grimper pour les cyclistes… ainsi que pour les centaines de véhicules qui les accompagnent.
Car, comme chaque année, le Tour sera précédé de sa caravane publicitaire : 150 véhicules tenant davantage des chars de carnaval que des voitures traditionnelles, décorées à l’effigie de la trentaine de marques qui accompagnent l’évènement. Le long des routes, où sont attendus plus de dix millions de spectateurs, la caravane abreuvera le public de musiques, slogans publicitaires et de ses fameux « goodies ». Des échantillons et produits que les marques lanceront à la foule par millions : l’organisateur du Tour prévoit que 10 millions de goodies seront ainsi jetés le long du parcours. Un forte réduction, par rapport aux 18 millions d’exemplaires de l’édition précédente, justifiée par souci de sobriété écologique.
Ne faudrait-il pas aller encore plus loin ? Troisième évènement sportif le plus suivi au monde, le Tour de France peut-il se permettre de se faire porte-étendard de la surconsommation en mettant en exergue sa caravane publicitaire, au moment où l’urgence écologique devrait nous pousser à la sobriété ? Le matraquage publicitaire, vecteur majeur de nos pollutions et surconsommations, pourrait-il être banni de ce moment de fête populaire majeur de l’été ? Le point avec Thomas Bourgenot, chargé de plaidoyer de l’association Résistance à l’agression publicitaire (RAP).
Reporterre — Les marques de la caravane du Tour rivalisent de promesses sur leurs offres de « goodies écoresponsables » ou recyclables. Ces efforts vous paraissent-ils suffisants ?
Thomas Bourgenot — Comme pour tout produit vanté comme « recyclable », l’un des problèmes est de savoir à quel point il est effectivement recyclé, d’autant plus pour un produit qui n’est peut-être même pas consommé, comme le sont ces échantillons distribués sans discernement. L’effet pervers avec la communication publicitaire, c’est que la mise en avant de vertus, ici le côté « recyclable », permet de laisser penser que le produit n’a pas d’impact et peut donc être consommé à l’infini. Or, le recyclage ne peut être fait à l’infini, il demande beaucoup d’énergie et émet des gaz à effet de serre et des pollutions non négligeables, que ce soit en transport des déchets ou dans l’opération de recyclage elle-même.

Le meilleur déchet est celui que l’on ne produit pas, d’autant plus quand celui-ci est jeté dans la nature sans savoir s’il sera ramassé, effectivement utilisé, et éventuellement bien acheminé vers les centres de tri. Afficher des goodies recyclables en pointant les individus comme responsables des déchets fait penser aux entreprises créatrices d’emballages à usage unique qui culpabilisent leurs consommatrices et consommateurs du faible taux de recyclage avec des campagnes annuelles à ce sujet. On retrouve d’ailleurs certains sponsors du Tour de France associés à ces campagnes de culpabilisation…
Jeter des goodies à partir d’un véhicule motorisé sans se soucier d’où ils atterrissent, s’ils sont consommés, ramassés ou recyclés, sous le seul prétexte qu’ils sont « recyclables » est clairement du greenwashing sans intérêt, si ce n’est celui des marques qui peuvent associer leur image à celle du Tour de France.
« Il paraît difficile d’imaginer une manifestation plus vertueuse »
Pourrait-on imaginer une mutation de la caravane publicitaire en une manifestation plus vertueuse, qui profite à bon escient de la couverture médiatique du Tour ?
Il paraît difficile d’imaginer une manifestation plus vertueuse, sauf à revoir drastiquement les sponsors, leurs modes de transport et la gabegie qui consiste à jeter des déchets dans la nature sans se soucier d’où ils finissent. Une caravane publicitaire, à vélo, faisant la promotion de produits bio, locaux, paysans (donc pas de viandes ou de confiseries industrielles par exemple), des mobilités actives et j’en passe, serait certainement plus « vertueuse », mais complètement illusoire au regard des logiques économiques qui prédominent dans ce type d’évènements. Quand bien même le Tour aurait la volonté politique d’être cohérent avec la promotion du vélo et/ou d’un monde « soutenable », il ne trouverait aucun acteur économique de ce type pour le financer actuellement.
Faudrait-il alors prôner l’abolition pure et simple de la caravane du Tour de France ?
Telle qu’elle est actuellement, la caravane consiste en des centaines de véhicules qui circulent pour s’associer à cette « fête du sport » l’assimilant en fait à une « fête des sponsors ». Cet état de fait n’est pas l’apanage du Tour de France, puisque c’est le cas de tout événement sportif d’ampleur mondiale comme le Tour, mais on parle ici d’une caravane publicitaire exclusivement motorisée pour, soi-disant, faire la promotion du vélo, alors qu’une partie de la caravane promeut des marques automobiles ou des services associés (pneus, assurances ou compagnies pétrolières...).
Si l’objectif du Tour de France était de valoriser la pratique du vélo en tant que mode de transport, il faudrait effectivement supprimer la caravane publicitaire telle qu’elle est pratiquée puisque, de fait, elle consiste en un défilé d’une demi-heure de véhicules motorisés dont la plupart vantent la mobilité motorisée…