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ReportageGrands projets inutiles

Autoroutes, entrepôts : dans le Centre, des terres agricoles coulées sous le béton

Dimanche 20 février, à Mer (Loir-et-Cher).

Autoroute, pont sur la Loire, zone logistique… Les opposants à plusieurs projets jugés inutiles et imposés ont manifesté de concert, dimanche 20 février, dans la commune de Mer, dans le Loir-et-Cher.

Mer (Loir-et-Cher), reportage

« La dernière fois qu’autant de monde s’est rassemblé ici, ça devait être à la Libération ! » Dimanche 20 février, la petite commune de Mer, dans le Loir-et-Cher, a été tirée de sa paisible routine. Devant le café de la gare, dont la vitrine exhibe une fresque mettant en scène Johnny Hallyday, une foule de près de deux cents militants s’est formée. Quelques drapeaux écologistes flottaient au gré des bourrasques de vent, bientôt rejoints par ceux de la France insoumise. « Je les avais posés dans mon coffre au cas où il y aurait compétition », s’amuse un homme à la moustache soigneusement taillée. Une guéguerre bon enfant, rapidement désamorcée par ses initiateurs : cette manifestation sera apolitique ou ne sera pas.

L’horloge de la place indique 11 heures passées. Emmitouflés sous leurs capuches, les manifestants sont venus de toute la région. Ils attendent que passe l’averse pour dévoiler leurs pancartes et banderoles les plus colorées. L’une dit non à la construction d’un pont. Une autre à celle d’un hangar. Une autre encore dénonce la privatisation d’une route. Une, enfin, appelle à protéger la Loire. Difficile de s’y retrouver dans ce foisonnement de protestations.

Un jeune homme empoigne le micro et saute sur la plus haute marche d’un escalier. Sur son manteau, est dessiné le visage du révolutionnaire Che Guevara : « Combien de temps va-t-on continuer à produire toujours plus en détruisant la planète ? lance Noé Petit, 18 ans. Nous sommes nombreux, dans la région, à lutter contre des projets inutiles et écocides, qui ne sont bons qu’à soutenir le tout-logistique, le e-commerce et les grandes multinationales. Alors rassemblons-nous et faisons nous entendre ! » Dans la foule, une vieille dame chuchote, admirative : « Il est bien, ce petit jeune. » Quelques minutes plus tard, la première grande marche des luttes locales du Centre-Val de Loire peut commencer.

« Ce chantier détruira pas moins de 660 hectares de terres fertiles »

En queue de cortège, Nicole, septuagénaire, affiche un large sourire. Décoiffée par le vent, cette ancienne institutrice a parcouru plus de 130 kilomètres depuis son village d’Eure-et-Loir pour participer à ce rassemblement. « J’étais militante avant même 1968, alors il en faut plus pour me dissuader. » Avec quatre amis, elle est venue crier sa colère concernant la transformation en autoroute de la nationale RN 154, qui relie Orléans à Rouen. « Ce chantier détruira pas moins de 660 hectares de terres fertiles. Qu’est-ce qu’il lui prend, à Jean Castex, de vouloir refaire tout plein d’autoroutes ? »

Dimanche 20 février, à Mer (Loir-et-Cher). © Emmanuel Clévenot/Reporterre

Jean-Paul partage le même combat que Nicole : « Les céréaliers ont leur part de responsabilité. Ils vendent leurs terres pour tirer le pactole à court terme, mais ne pensent plus à l’importance de préserver les espaces agricoles », s’agace-t-il avec sa compagne. Depuis de longues années, il lutte pour la réouverture de la ligne Chartres-Orléans, fermée en 1942. « La liaison ferroviaire existe. Il suffirait de la remettre en état et, terminé ! Plus besoin d’autoroute. »

Escorté par la gendarmerie, le cortège poursuit son chemin dans le centre du village. Ancien directeur d’un petit hôpital de jour, Paul-Albert combat la construction d’un projet de pont sur la Loire, à Mardié, à l’est d’Orléans. « Pour soulager la circulation, à savoir un quart d’heure le matin et le soir, ils ont rasé une dizaine d’hectares de bois ancien et soixante hectares de terres agricoles. Sans parler de l’impact irrémédiable sur les zones humides », enrage le membre de l’association La Loire vivra. Son chapeau est orné d’une plume blanche. À ses yeux, si le conseil départemental s’entête tant sur ce projet écocide, c’est avant tout pour relier entre elles les zones logistiques sans passer par les autoroutes. « C’est un cadeau du contribuable au transport routier ! »

« Le fric à tout prix »

La horde de manifestants s’arrête à l’entrée du marché. Là, un sac de pommes de terre à la main, une dame secoue la tête. « Hier, nous avons manifesté à Blois, pour nos libertés et contre le passe vaccinal. Ils auraient pu se joindre à nous au lieu de faire leur petite manif de leur côté. » Le jour de la marche n’a pourtant pas été choisi au hasard. Le 20 février était la journée mondiale de la justice sociale. « Nos luttes respectives traitent certes des questions environnementales, mais elles impliquent aussi des notions d’humanité, de bien-être, d’emplois… C’est indissociable », dit Vanessa, derrière sa banderole.

Dimanche 20 février, à Mer (Loir-et-Cher). © Emmanuel Clévenot/Reporterre

Devant elle, Malo, son fils de huit ans, court dans tous les sens. Le poing serré, il brandit une pancarte aussi grande que lui sur laquelle il a dessiné un entrepôt barré d’une croix rouge : « Je ne veux pas qu’ils construisent ça à côté de ma maison ! » Il s’agit là d’une troisième lutte, la plus locale, née à Mer même. Une première plateforme logistique, c’est-à-dire un lieu où convergent les colis de différents fournisseurs avant d’être expédiés, a déjà été construite. Trois autres projets similaires menacent. Ils seraient synonymes de dizaines d’hectares de terres bétonnés et près de 3 000 camions défileraient alors chaque jour dans la ville de 6 000 habitants. « C’est ma génération et les suivantes qui vont subir l’impact de ces absurdités, pas les quelques hommes qui sont en train de les mettre en place », déplore Noé Petit, le fondateur de l’association À bas le béton.

Malo, 8 ans. © Emmanuel Clévenot/Reporterre

Ces projets de plateformes font écho à la quatrième lutte représentée dans le cortège, portée par la voix de Jean-Michel Garibal : « Au nord de Vierzon, un terrain de 20 hectares a été vendu à un opérateur qui compte y construire un grand hangar logistique. Évidemment, la communauté de communes lui ouvre les bras puisqu’il assure pouvoir créer entre 300 et 400 emplois. Le fric à tout prix ! »

Jean-Michel Garibal. © Emmanuel Clévenot/Reporterre

Privatisation de routes, construction de ponts, de contournements, de plateformes logistiques pharaoniques… Tous ces projets répondent à une même politique de développement économique hors sol, destructrice et inutile. En façonnant cette coopération régionale inédite des luttes locales du Centre-Val de Loire, les différents collectifs entendent remporter ensemble des batailles et lancer un signal aux élus locaux : « Nous n’attendons plus de discours et de délais, d’accusation de vos prédécesseurs et de renvois à vos successeurs, mais des actions concrètes. »

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