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Luttes

BNP-Paribas, championne de l’évasion fiscale, sous la pression des faucheurs de chaises

Ce jeudi matin, la banque française était à nouveau la cible des faucheurs de chaises. L’enjeu : qu’elle rapatrie son argent caché dans les paradis fiscaux pour les mettre au service de la protection du climat.

Assiégée et « dessiégée », en même temps. Ce jeudi 3 décembre, la BNP Paribas a vu son siège parisien de l’Opéra, à Paris, pris d’assaut par près de deux cents militants tandis que, peu avant, d’autres subtilisaient plusieurs sièges dans l’une de ses agences, près de Bastille. Des actions non-violentes pour dénoncer le rôle de la banque dans l’évasion fiscale et le changement climatique. Reportage en duplex.

9 h 58 – Un larcin très politique

Le métro ralentit à la station Bastille. Pierrot lève le bras en jetant des coups d’œil à droite et à gauche dans le wagon, d’où sortent simultanément, l’air détaché, la vingtaine de militants. Jeunes ou vieux, hommes et femmes avancent par petits groupes pour éviter d’attirer l’œil.

Le temps de l’Escalator, on ajuste les derniers préparatifs. Le sourire aux lèvres, l’adrénaline du petit coup monté entre copains se fait plus pressante. Il va falloir faire vite. Les portiques de sortie franchis, chacun enfile le maillot de l’équipe qu’il représente. Par là, un T-shirt des Amis de la Terre. Par ici, les gilets jaunes fluorescents d’ANV-COP 21. Le pas s’accélère. Quelques mètres plus loin, la bouche du métro voit émerger les Arsène Lupin du climat au grand jour.

9 h 59 – « Qu’ils nous rendent notre pognon »

Pendant ce temps, au 16 du boulevard des Italiens, où siège la banque BNP-Paribas, les trottoirs prennent des allures de Paris-Plage. Devant les hautes portes du géant financier, crocodiles et palmiers gonflables dansent au-dessus de la foule. Militants de longue date ou novices, les citoyens sont nombreux à avoir répondu à l’appel d’un groupe d’ONG, parmi lesquelles Attac et Bizi !.

Patrick Viveret, Claude Alphandéry et Pierre Larrouturou

L’opération « Prenons le siège de la BNP ! », annoncée publiquement, se déroule à visage découvert. Hubert est venu « demander aux banquiers qu’ils nous rendent notre pognon ». La banque détient plusieurs filiales dans des paradis fiscaux comme les Îles Caïman. Pour Dominique Pilhon, porte-parole d’Attac, « ce sont ainsi des milliards d’euros qui nous échappent, alors qu’ils pourraient servir à financer la transition écologique et sociale ».

Se frayant un chemin à travers les pancartes et la quinzaine de journalistes, Txetx Etcheverry joue les chefs d’orchestre : « Il faudrait se resserrer devant l’entrée de la banque. » Un ruban de signalisation entoure le groupe, délimitant une « zone d’évasion fiscale ». Derrière eux, sur l’entrée massive de la BNP, un panneau officiel affiche « fermé ». Les militants s’installent tranquillement sur les marches, sous l’œil attentif des forces de l’ordre.

Txetx Etcheverry fait le compte des 1.500 milliards d’euros qui pourraient servir au climat :

Txetx Etcheverry, d’Alternatiba, à propos des Îles Caïman « qui ne sont pas des gentils crocodiles ».

10 h 01 – « Une simple réquisition citoyenne de chaises

À quelques kilomètres de là, près de Bastille, l’organisation minutieuse porte ses fruits et les activistes sont pile à l’heure dans l’escalier qui débouche sur le boulevard Beaumarchais. Face à eux, l’agence BNP-Paribas fait l’angle avec le boulevard Richard-Lenoir. En file indienne, ils s’élancent d’un pas décidé en direction du sas d’accueil. Le ballet peut commencer : l’une, postée à l’entrée pour observation, deux autres gardent les grilles pour éviter un enfermement impromptu, et trois médiateurs prennent la parole pour expliquer calmement le but de l’opération aux deux clients impassibles.

Seul le guichetier se montre un peu plus farouche et bouscule les intrus en tentant de faire obstruction. Il vocifère : « Non, vous ne touchez à rien ! On appelle les flics ! » Les militants répondent sur un ton pédagogique : « On ne touche pas à vos effets personnels, c’est une simple réquisition citoyenne de chaises. » Un peu plus loin dans le couloir, une employée se montre plus détendue et rassure son collègue, qui obtempère finalement, malgré lui.

Il est déjà trop tard : d’autres activistes ont profité de la distraction pour s’emparer des premières chaises venues. Le coordinateur général orchestre le rappel de sortie. En une minute chrono, peut-être moins, tout s’est joué et une partie de l’équipe est ressortie avec le butin. Le ballet est terminé, sans fausse note. Vite, sans précipitation, efficace efficace.

10 h 02 – « Si les citoyens ne se bougent pas, rien ne se fera »

« La prise de la Bastille s’est parfaitement déroulée ! » Boulevard des Italiens, l’annonce est salué par un grand hourra. Devant le parterre de journalistes, Txetx Etcheverry affiche un large sourire. « Nous sommes venus dire à la BNP : “Tant que vous ne fermerez pas vos filiales, nous continuerons à mettre la pression” ».

Écharpe bleu blanc rouge sur sa doudoune marron, Pierre Larrouturou ne cache pas non plus sa satisfaction. Citant le président états-unien Roosevelt, il rappelle qu’« il est plus dangereux d’être gouverné par l’argent organisé que par le crime organisé ».

Deux hommes grisonnants s’approchent à petits pas de l’assemblée. L’ancien résistant Claude Alphandéry et le philosophe Patrick Viveret sont « les premiers receleurs de chaises ». Depuis le lancement des opérations de fauchages, début 2015, les militants ont récupéré plus de deux cents sièges, qu’ils stockent au sein d’associations ou chez des personnalités. « On pourrait faire tellement mieux de l’argent des banques, pour l’éducation, le logement, le climat, explique Claude Alphandéry. Et si les citoyens ne se bougent pas, rien ne se fera. »

10 h 03 – « Pour quelle raison pourrait-on bien tirer la sonnette d’alarme ? »

Pendant ce temps, à Bastille, la moitié de l’équipe repart direction Richelieu-Drouot et le siège de la BNP, sous le regard placide du Monsieur RATP, qui ne semble pas remarquer les trois objets nouveaux transportés difficilement par-dessus les tourniquets. Une chaise-accoudoir, un fauteuil et un siège de bureau. Les couloirs du métro paraissent plus longs, on se relaie pour porter les sièges, qui s’avèrent utiles pour se dissimuler des caméras de surveillance.

Sur le quai, le panneau indique quatre minutes d’attente, le temps de recouvrer ses esprits et de se féliciter du succès du plus gros morceau de l’opération. À moins d’un improbable retournement – « pour quelle raison pourrait-on bien tirer la sonnette d’alarme ? » s’amuse Wandrille, qui imagine des scénarios de science-fiction en voyant arriver une dame avec une cage à lapin – la situation semble bien en main. D’ailleurs, pas besoin de cette attitude faussement détachée au moment de pénétrer dans la rame avec les sièges, les lecteurs lèvent à peine la tête de leur journal. Comme si de rien n’était.

10 h 18 – « La désobéissance civile est une nécessité »

Quelques stations plus loin, on touche au but. Bart’, qui a suivi toute l’opération par téléphone avec Pauline en superviseuse, attend sur le quai. La présence nombreuse de policiers qu’il annonce n’entame en rien la satisfaction de la mission accomplie. Avec brio. La voie est dégagée. Il est temps de gravir les dernières marches pour mener, en héros-receleur solidaire, les derniers symboles de la lutte, sous les applaudissements de la foule.

« Le peuple récupère ses biens, ce qui lui appartient ! » s’exclame José Bové, venu lui aussi soutenir les faucheurs de chaises. À ses côtés, Éric Coquerel, du Parti de gauche, rappelle combien « il est important, voire essentiel, de désobéir en ces temps de restriction des libertés ». Un avis partagé par Dominique Pilhon : « La désobéissance civile est une nécessité face à des actions illégitimes. »

10 h 35 – Malgré la répression policière

Les organisateurs sonnent l’heure de la dispersion. Les deux-cents participants rejoignent petit à petit les bouches de métro. Pour tous, « c’est une réussite ». Malgré l’interdiction de manifester pendant la COP 21, malgré la répression policière de dimanche dernier, « les citoyens continuent à se mobiliser pour le climat, à travers des actions non-violentes », se félicite Txetx Etcheverry. Les quelques deux cents chaises réapparaîtront quant à elles dimanche 6 décembre, à Montreuil, à l’occasion d’un Sommet citoyen pour discuter du financement de la transition écologique.

Pour Txetx Etcheverry, les citoyens peuvent peser sur la marche de ce monde. Par exemple, en changeant de banque...

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