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EnquêteHabitat et urbanisme

Bâtir dans son jardin, une alternative aux gros projets immobiliers

Construire sur son terrain, dans son jardin ou à la place de son parking. Partir d’espaces déjà urbanisés pour bâtir de nouveaux logements est une autre manière d’envisager les projets immobiliers. Et de lutter contre l’artificialisation des terres.

[3/4 — Pour l’écologie, en finir avec la « maison avec jardin »] De nouveaux pavillons individuels sont construits chaque année et grignotent les espaces naturels. Pour préserver le climat et la biodiversité, des alternatives aux maisons neuves existent : utiliser les logements vacants, promouvoir les habitats collectifs... Une enquête en quatre volets.



Densifier, c’est n’est pas seulement construire de gros projets dans des Zones d’aménagement concerté (Zac) ou des grandes tours. Cela peut aussi passer par des plus petits projets. C’est en tout cas ce que prône Villes vivantes, avec des solutions de « densification douce avec les habitants », comme l’explique son directeur et fondateur, David Miet. Cette entreprise créée en 2013 développe notamment le concept Bimby, pour « build in my backyard » (« construire dans mon jardin »). Cela consiste à accompagner des particuliers dans des projets de logements sur des terrains leur appartenant, dans des quartiers pavillonnaires, pour éviter d’urbaniser de nouveaux espaces. Les architectes, urbanistes et paysagistes de Villes vivantes accompagnent également des propriétaires dans la reconfiguration de bâtiments existants ou la création d’extensions pour faire de nouveaux logements. Ces actions se font en partenariat avec des collectivités. « Nous venons d’achever une première opération à Périgueux [Dordogne], qui, en cinq ans, a permis la création de 250 nouveaux logements, soit l’équivalent d’un gros lotissement », relate-t-il.

Une dizaine d’autres projets ont été réalisés ou sont en cours un peu partout en France. Comme à une quarantaine de kilomètres de Rennes, avec le Syndicat d’urbanisme du Pays de Vitré, qui réunit les collectivités Vitré Communauté et Roche aux fées Communauté. Dans ces territoires où il y a une forte demande en logements, « les élus se préparaient depuis plusieurs années aux enjeux autour du foncier que l’on voit arriver avec la loi Climat [qui fixe des objectifs de réduction de l’artificialisation], explique Laurie Limoux, responsable de l’organisation. Après avoir recensé les dents creuses du territoire [c’est-à-dire les espaces non construits entourés de parcelles bâties], une enquête de terrain auprès des habitants avait permis d’identifier des propriétaires de grandes parcelles en centre-bourg, qui ne pouvaient plus forcément entretenir leurs jardins, qui pouvaient être intéressés par la démarche ». C’est ainsi qu’est venue l’idée de faire appel à Villes vivantes pour mettre en place une opération Bimby.

« Cela nous fera un espace de moins à entretenir »

À Retiers, dans le Pays de Vitré, Maryvonne et Marcel ont par exemple bénéficié de l’accompagnement de l’entreprise pour vendre une partie de leur terrain, et leur garage de 150 m², qui sera transformé en maison. Retraités depuis 2008, ils n’avaient plus usage de ce bâtiment qui servait surtout pour l’entreprise d’électricité de Marcel. Ils vont faire construire un autre garage plus petit pour ranger leur voiture. L’entreprise les a aidés en modélisant les différents scénarios de travaux possibles, et dans la réalisation du plan de leur futur garage, afin de le rendre cohérent avec le projet de future maison.

Elle les a accompagnés dans les démarches administratives et l’organisation de la vente. S’ils avaient déjà le projet en tête au moment de se décider en 2021, ils rapportent que cette aide a été très utile. « Cela nous fera un espace de moins à entretenir et moins de travail dans le jardin », explique Maryvonne, qui nous reçoit avec son mari dans leur grande maison coquette. Il leur restera tout de même 320 m² de terrain, et une partie de leur résidence où se trouvait la boutique d’électricité tenue par Maryvonne, qui sert aujourd’hui de lieu de stockage.

Maryvonne et Marcel ont bénéficié d’un accompagnement pour vendre une partie de leur terrain, qui sera transformé en maison. © Héloïse Leussier/Reporterre

« Quand nous avons ont fait construire dans les années 1980, nous étions seuls au milieu des champs », raconte le couple. Aujourd’hui, leur habitation est entourée d’autres maisons. L’arrivée de la 2x2 voies Rennes-Angers dans les années 2000, ainsi que l’attractivité de la métropole de Rennes, qui se trouve à 35 minutes en voiture et 40 minutes de train, ont fait grimper le nombre d’habitants de Retiers. Ils étaient environ 3 200 dans les années 1970. Ils sont aujourd’hui 4 600. Maryvonne et Marcel voient d’un bon œil l’installation de jeunes ménages qui viennent « dynamiser » la commune. L’arrivée d’un voisin supplémentaire, qui plus est qu’ils ont choisi, ne leur pose donc pas de problème. Ils comprennent l’intérêt environnemental de cette forme densification. « C’est toujours mieux que d’aller construire sur des terrains agricoles », pointe Marcel. Ce qui ne signifie pas pour autant qu’ils accueillent à bras ouverts tous les projets de construction. « Un square qui se trouvait en face de notre maison a été détruit pour y construire des petites maisons en logement social. La perte de cet espace vert est lamentable », rapporte l’ancien électricien.

Selon David Miet, il y a un potentiel important de développement de la démarche Bimby, dans tous les secteurs urbains où « les voiries et réseaux de ramassage et traitement des déchets sont déjà présents ». « Cela va dans le sens des politiques nationales de réduction de l’étalement urbain et de construction de nouvelles infrastructures », affirme-t-il. Il estime que « de nombreux Français sont prêts à faire évoluer leurs habitats », et que les projets de construction réalisés avec des habitants sont souvent mieux acceptés que ceux décidés sans consultation par des élus et des promoteurs.

Ces projets peuvent par ailleurs permettre d’anticiper des évolutions de vie. « Certaines personnes âgées font réaménager le rez-de-chaussée de leur maison pour mettre un étage en location. D’autres font construire un bâtiment dans leur jardin, pour accueillir des proches dépendants », explique David Miet. Mais pour développer ce potentiel, il faut proposer « une offre de service alternative à la promotion immobilière pour les collectivités » et créer « de nouveaux métiers de la densification avec les particuliers », estime-t-il. « Pour les communes, aujourd’hui, il est plus facile de trouver un aménageur ou un promoteur qui part d’un terrain vierge que des professionnels qui sont capables de développer et de coordonner des centaines de micro projets, comme l’ajout d’un étage à une maison. »

Maryvonne et Marcel prêts à bâtir sur leur terrain. © Héloïse Leussier/Reporterre

« Quand on construit, il y a une perte de végétation »

Si l’on comprend bien l’intérêt de construire dans les zones peu denses pour préserver des terres cultivables, la destruction des espaces verts investis dans des projets de type Bimby n’est toutefois pas sans conséquence sur l’environnement. « Le quartier pavillonnaire, au premier rang des accusés responsables de l’étalement urbain, ne manque pas de terres fertiles à valoriser. Celles-ci accueillent une nature qui joue un rôle spécifique dans l’armature verte des agglomérations », souligne ainsi la géographe Ségolène Darly dans un article. Elle rappelle que la végétation occupe jusqu’à 42 % de la superficie de certaines communes de la première couronne parisienne comme Stains ou Villetaneuse. « On ne peut pas nier que quand on construit, il y a une perte de végétation et de terres non imperméabilisées », reconnaît David Miet. Mais selon lui, cette densification est préférable à un « étalement urbain généralisé », d’autant qu’une « ville dense bien compacte raccourcit la distance à faire pour trouver de la nature ».

Tout en étant convaincu qu’il faut poursuivre la recherche et développement sur des solutions de densification douce, le chef d’entreprise se veut aussi lucide concernant la demande en logement. Selon lui, ce type de solution pourrait ne pas suffire dans les agglomérations où il y a une forte demande, comme Rennes, Nantes, Montpellier, Bordeaux, Toulouse ou Lyon. « Il faudra peut-être réfléchir à ce que certaines villes aient le droit de grandir en faisant du bon étalement urbain en cœur d’agglomération, de manière à ne pas éjecter des populations toujours plus loin de leur lieu de travail. »

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