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Battons-nous pour une retraite inconditionnelle, pour tous et toutes

L’auteur de cette tribune appelle de ses vœux une « contre-proposition générale » à la réforme des retraites pour retrouver « le véritable esprit d’une retraite par répartition », soit l’équité de la cotisation et de l’âge de départ et l’égalité de la pension.

Michel Lepesant est « (p)artisan de la décroissance ». Il anime le blog Décroissance, où va-t-on et est l’auteur de Décroissances, où va-t-on ?, aux éditions Utopia, 2013.

Michel Lepesant.

Une grève des transports, c’est l’occasion de réfléchir à l’absurdité du temps quotidiennement perdu dans les trajets. Serait-il utopique d’espérer qu’une lutte contre une réforme des retraites devrait être la meilleure occasion pour poser la question du sens du travail et de la vie sociale ? Car c’est là que nous retrouverions le véritable esprit d’une retraite par répartition qui repose d’abord sur la solidité sociale d’une solidarité réellement partagée : équité de la cotisation et de l’âge de départ, égalité de la pension.

Qu’est-ce que la « retraite » ? C’est une période de la vie, sans travail, mais avec revenu. Voici la question : faut-il accepter de voir dans la retraite la prolongation du travail ?

Et c’est là que réside la véritable force de la réforme actuelle, par la faiblesse idéologique d’une grande partie de ses opposants. Car partisans et opposants de la réforme partagent la même conception de la vie en société, depuis la révolution industrielle voit dans le « travail » le principal pilier de l’intégration sociale. Cela revient concrètement à concevoir la « retraite » comme la prolongation d’une vie sacrifiée au travail. Et de la même façon qu’en 1848, socialistes et libéraux avaient confondu « droit du travail » et « droit au travail », depuis 1945 et encore aujourd’hui, gouvernement, patronat et syndicats s’entendent pour confondre « droit des retraites » et « droit à la retraite ».

Il faut défendre une véritable rupture avec l’idéologie travailliste

Pour la droite, illibérale ou non, vieillotte ou moderne, les mérites du travail doivent trouver récompense à la retraite ; pour la gauche, libérale ou non, archaïque ou moderne, les inégalités du travail doivent trouver compensation à la retraite. En commun, ils ne voient la « retraite » que comme le non-travail après le travail.

C’est bien un néo-travaillisme ultralibéral — celui des « premiers de cordée » — qui anime l’esprit de la réforme macronienne des retraites ; et tout le reste — la « réforme paramétrique » — sera négociable, les délais, les montants, les régimes spéciaux. Or cette idéologie est aussi celle du travaillisme de base des syndicats, fussent-ils opposés à la réforme. Voilà pourquoi le gouvernement, sur le fond, ne battra pas en retraite, car il sait que ses opposants même s’ils résistent à l’individualisation des formes du travail ne défendent pas une véritable rupture avec l’idéologie travailliste. Voilà pourquoi les oppositions se feront balader, faute de disposer d’une contre-proposition qui non seulement devrait réinterroger le sens de la production et de la consommation dans le cadre de la question écologique, mais qui devrait relier la question des retraites à celle de la fin de vie, à celle de la dépendance, mais aussi à celle de la reproduction des inégalités par la succession.

Manifestation contre la réforme des retraites le 5 décembre à Paris.

Une telle contre-proposition générale devrait commencer par réfuter la fable d’une création individuelle de la richesse par le seul travail : comme si certains plus méritants que d’autres créaient de la richesse par leurs seules ressources, comme si les « travailleurs » pouvaient produire sans s’appuyer sur l’inestimable richesse fournie par tous ceux qui n’ont peut-être pas un emploi mais dont les activités constituent le véritable tissu social sur lequel s’adosse toute production économique. Et eux à l’âge de la retraite, que deviennent-ils ? Plus exactement pour rester statistiquement dans la vérité, que deviennent-elles ? Au mieux, une pension de réversion pour venir compléter peut-être une pension acquise par une carrière morcelée…

La production de toute richesse, économique ou non, est toujours une production sociale, commune

Quel pourrait alors être l’horizon d’une réforme des retraites en rupture radicale avec une telle idéologie, qui ouvrirait le champ de la reconnaissance sociale à toutes les activités, qui réduirait drastiquement les inégalités de revenus ? Si l’on tient compte des « très grandes difficultés objectives liées à la mesure de la contribution individuelle », alors il faudrait commencer par reconnaître que la production de toute richesse, économique ou non, est toujours une production sociale, commune. Et par conséquent, il n’y a pas que les seuls « travailleurs » qui contribuent mais tou.te.s et la justice voudrait donc que tou.te.s reçoivent un revenu pour cette contribution, d’un montant égal. Pour financer cela, les cotisations doivent être immédiatement remontées et leur pensions fortement plafonnées.

Aller jusqu’au bout de la logique de l’esprit de la répartition et de la solidarité, c’est revendiquer la mise en place d’une retraite inconditionnelle, d’un montant unique et égal pour tou.te.s (dont la principale variation devrait intégrer l’espérance réelle de vie).

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