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Mégabassines

Blessés à Sainte-Soline : les secours ont-ils été freinés par les forces de police ?

Selon les divers témoignages d'observateurs et journalistes, la première ambulance n'a pu prendre en charge de blessés qu'une heure et demi après la blessure qui a provoqué le coma d'un manifestant.

La prise en charge tardive des blessés graves de Sainte-Soline a-t-elle été causée par les forces de l’État ? De nombreux observateurs parlent d’« entraves » mais la préfecture et le Samu nient toute obstruction.

Les manifestants blessés lors de la mobilisation contre les mégabassines du 25 mars ont-ils été pris en charge tardivement ? Le débat fait rage, trois jours après la fin de cette manifestation qui a fait, selon les organisateurs, 200 blessés dont 40 graves parmi les manifestants. Selon les « Soulèvements de la Terre » et la Ligue des droits de l’Homme, les forces de l’ordre ont « entravé » l’intervention des secours, en dépit de la gravité de l’état des blessés, et ce alors même que ceux-ci se trouvaient à distance des affrontements.

À l’heure où nous écrivons ces lignes, S., un homme d’une trentaine d’années gravement atteint à la tête par une grenade explosive, se trouve entre la vie et la mort. Une deuxième personne, touchée à la trachée, se trouve dans le coma. La préfecture et la communication du Service d’aide médicale urgente (Samu) des Deux-Sèvres parlent de conditions d’intervention dangereuses et nient la thèse de l’obstruction.

Une heure et demie d’attente pour une ambulance

Selon les « Soulèvements de la Terre », S. a été blessé aux alentours de 13 h 30 aux abords de la bassine, où avaient lieu les affrontements entre les manifestants et les gendarmes. Au minimum dix appels auraient été passés au Samu et au numéro d’urgence européen (le 112) entre 13 h 35 et 14 h 50, affirment-ils dans un communiqué. L’ambulance ne serait arrivée qu’à 15 h 10, soit plus d’une heure et demie après le premier appel à l’aide des manifestants. Un délai extrêmement long, compte tenu de la gravité de ses blessures.

Les gendarmes ont tiré plus de 4 000 grenades sur les manifestants.

Selon le témoignage d’une médecin urgentiste présente à la manifestation, restée au chevet de S. en attendant les véhicules de secours, il présentait un traumatisme crânien grave, « avec une plaie du scalp hémorragique et des constantes faisant redouter un choc hémorragique », nécessitant une prise en charge « immédiate ».

Une situation qui ne faisait « pas obstacle à l’intervention »

Selon la Ligue des droits de l’homme, qui avait envoyé 22 observateurs sur le terrain, cette attente serait imputable aux forces de l’État. Lors d’une conversation téléphonique à laquelle ont assisté trois avocats de l’association, le Samu aurait indiqué « que le commandement sur place leur avait donné l’ordre de ne pas intervenir ». La situation ne faisait pourtant « pas obstacle à l’intervention du Samu », estime l’association dans un communiqué.

« C’était largement après la fin des heurts », affirme à Reporterre le secrétaire général adjoint de la Ligue des droits de l’homme, Lionel Brun-Valicon. S., poursuit-il, se serait trouvé à ce moment-là à « 200 mètres » du dispositif de gendarmerie entourant la bassine, et à 500 mètres des manifestants. À bonne distance, donc, d’éventuels projectiles.

« C’était très calme autour »

Selon les dires de Lionel Brun-Valicon, corroborés par ceux de la médecin urgentiste évoquée plus haut, une équipe de médecins militaires et deux officiers de la gendarmerie seraient venus sur les lieux où se trouvaient S. peu avant l’arrivée du Smur. « C’est un élément qui permet de montrer que c’était très calme autour. Les manifestants ont laissé les médecins militaires prendre en charge le blessé », explique-t-il à Reporterre.

Lionel Brun-Valicon affirme, par ailleurs, avoir échangé avec des pompiers qui cherchaient à accéder à une voie carrossable où se trouvaient d’autres personnes moins gravement blessées. Ils lui auraient expliqué « qu’ils avaient l’ordre de ne pas rentrer sur le dispositif tant qu’il n’était pas sécurisé ».

30 000 personnes ont manifesté contre la mégabassine de Sainte-Soline, selon les organisateurs.

Cette version des faits est cependant réfutée par le Samu des Deux-Sèvres, qui se dit « à la disposition de la justice ». « Nous n’avons pas été obstrués dans l’exercice de notre fonction, mais [avons] bien assuré les soins dans des circonstances particulièrement dangereuses pour nos équipes », soutiennent-ils sur Twitter. Envoyer une ambulance transportant de l’oxygène en zone d’affrontements, précisent-ils, « n’est pas recommandé avec le risque d’explosion […] Au vu de la situation, nous avons pris le risque de l’envoyer sous protection pour prendre en charge les victimes. »

Médecin urgentiste au Centre hospitalier de Niort, Mathieu Violeau soutient auprès de Reporterre que le Samu des Deux-Sèvres « a bien fait son job en acheminant et anticipant la prise en charge des victimes. » Un autre soignant de Niort contacté par Reporterre, qui préfère rester anonyme, assure également qu’il n’y a eu aucune obstruction des secours.

Tous les appels au Samu sont enregistrés mais Reporterre n’a pour le moment pas réussi à se procurer ces enregistrements qui apporteraient de nouveaux éléments.

Des blessés pris pour cible

Plusieurs députés présents lors de la manifestation affirment quant à eux avoir été pris pour cibles par les gendarmes alors qu’ils tentaient de porter assistance à des manifestants blessés. La zone où ils se trouvaient, disent-ils, était pourtant située à plus de 200 mètres de la bassine et des affrontements. « À un moment, on a vu au loin des quads, raconte à Reporterre l’eurodéputé (EELV) David Cormand. C’est là que nous nous sommes rapprochés des blessés, qui étaient rassemblés sur un chemin, pour les protéger. On anticipait qu’il risquait d’y avoir une charge. »

Les écharpes aux couleurs de l’Europe ou de la France portées par les députés étaient à ce moment-là « bien visibles », détaille-t-il. Les manifestants qu’ils entouraient ne montraient aucun signe d’agressivité et étaient, pour certains, durement touchés : « L’un d’entre eux avait perdu connaissance, une jeune femme avait la face enfoncée au niveau de l’œil, la mâchoire vraisemblablement fracturée et des plaies aux jambes », décrit David Cormand. « Certains étaient allongés sous des couvertures de survie. Beaucoup n’étaient pas transportables dans leur état », confirme la députée (LFI) Marianne Maximi, également présente sur les lieux.

« On criait qu’on était des soignants, des blessés, des élus »

La présence d’élus de la République et de blessés n’a pas empêché le groupe d’être la cible de tirs soutenus de grenades lacrymogènes. « On criait qu’on était des soignants, des blessés, des élus, mais on s’est pris des tirs comme tout le monde », raconte Marianne Maximi. Une photo prise par la députée montre une grenade lacrymogène voler juste au-dessus de leurs têtes. « On ne représentait aucun danger, dénonce David Cormand. Les gens visés n’étaient pas partie prenante des combats, il n’y avait aucune justification de défense ou de protection. »

Les manifestants ont pris le chemin du retour à peine quelques heures après le départ du camp, notamment car les blessés étaient trop nombreux pour pouvoir être pris en charge par les médics présents.

Dans un témoignage écrit envoyé à Reporterre, la secrétaire nationale d’EELV, Marine Tondelier, dit avoir dû courir « dans une grande confusion » pour fuir ces attaques. « Les personnes blessées ont été déplacées à la va-vite, alors qu’il aurait fallu ne pas les toucher et les prendre en charge par les secours », déplore David Cormand, qui se rappelle avoir vu « des blessures de guerre ».

Situation instable ? « Un faux argument. »

Selon leurs témoignages, la prise en charge médicale des blessés a été tardive. « On nous expliquait que le Samu était bloqué, qu’il ne pouvait pas intervenir parce que la situation n’était pas stabilisée », se souvient Marianne Maximi. « Un faux argument », selon l’élue, la zone où ils se trouvaient étant éloignée de la zone d’affrontements.

Entre 14 h 13 et 15 h 16, Marine Tondelier affirme avoir passé cinq appels à la préfète des Deux-Sèvres [1] pour l’alerter sur le besoin urgent de secours, notamment pour la jeune femme évoquée plus haut, qui présentait un traumatisme à la mâchoire, un enfoncement orbital, ainsi que des éclats de grenade dans les membres inférieurs suite aux tirs des policiers en quads.

De nombreuses relances téléphoniques

La préfète aurait demandé à Marine Tondelier de lui assurer que les secours ne seraient pas « pris à partie » par des manifestants, ce que lui aurait confirmé la secrétaire nationale d’EELV. Après plus d’une heure d’attente et plusieurs relances téléphoniques, la préfète lui aurait expliqué que le convoi était bloqué par des black blocks.

L’un des chemins menant au site où se trouvaient les blessés était pourtant « très accessible », selon Marine Tondelier, qui a observé plusieurs véhicules particuliers emprunter cette voie. La jeune femme en question a fini par être évacuée par les secours, et n’est aujourd’hui plus en urgence absolue.

Selon les élus présents, le chemin d’accès des secours était dégagé et ne présentait aucun danger.

Contacté par Reporterre, le service presse du Centre hospitalier de Niort a indiqué ne pas être en mesure de répondre à nos questions dans l’immédiat. La préfecture des Deux-Sèvres, également sollicitée, n’a pas donné suite à notre demande d’informations. Auprès de BFM-TV, elle a cependant déclaré que « les services de secours [étaient] intervenus dans des conditions extrêmement difficiles », et qu’ils avaient été « gênés dans leur progression par les affrontements qui se poursuivaient au plus près de la réserve de substitution. »

Trois jours plus tard, Marianne Maximi et David Cormand se disent encore « très choqués » par leur expérience à Sainte-Soline. « On était dans une opération de vendetta, où l’on prend pour cibles des personnes à l’écart des affrontements simplement parce qu’elles sont là, s’émeut l’eurodéputé. Si on fait le lien avec les interventions des forces de l’ordre à Paris et ailleurs lors des manifestations contre la réforme des retraites, ou pendant les Gilets jaunes… Plusieurs points font une ligne. » La violence policière qu’il a observée pose, selon lui, « des questions sur ce qu’il reste de notre État de droit ».

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