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EnquêteQuotidien

Bretagne, Hauts-de-France, Pays de la Loire : tant bien que mal, les régions financent le chemin de fer

Alors qu’elles n’en sont pas propriétaires, les régions sont mises à contribution pour l’entretien des voies ferroviaires. Si cela permet des réouvertures de lignes, ce système est vite limité, comme le montre les exemples des Hauts-de-France, Bretagne et Pays-de-la-Loire.

Après la publication de notre carte inédite sur l’état du train en France, Reporterre vous livre le détail région par région. Après le premier volet mardi (Bourgogne–Franche-Comté, Grand-Est et Provence-Alpes-Côte d’Azur), le second mercredi (Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine), le troisième jeudi (Île-de-France, Centre-Val de Loire, Normandie). Ce vendredi, nous publions le dernier volet, consacré aux régions Bretagne, Hauts-de-France, Pays de la Loire.


CONSULTER L’ÉTAT DES LIGNES DE CHEMIN DE FER DANS VOTREGION

La carte des lignes de chemin de fer menacées

La carte en plein écran est DISPONIBLE ICI


Alors que le réseau ferroviaire français est deux fois plus vieux que celui de l’Allemagne, comment financer le rattrapage nécessaire ? Les régions Bretagne, Pays de la Loire et Hauts-de-France sont comme les autres confrontées à cette question. Elles investissent pour maintenir des lignes à flot, mais ces trois cas montrent qu’aller chercher des fonds pour les lignes secondaires reste très difficile… Il faut faire des choix. L’abandon de certaines lignes se profile. Mais est-ce la seule solution ?

LES HAUTS-DE-FRANCE, HÉRITIERS D’UNSEAU IMPORTANT MAISTUSTE

La région dispose de l’un des réseaux les plus denses d’Europe, héritage de l’époque industrielle. Sur 2.600 km de voies, plus de 500 subissaient des ralentissements en 2016, 13 lignes sont signalées comme « sensibles », avec un risque de fermeture si aucun chantier de réfection n’est engagé. La SNCF chiffre l’investissement nécessaire à 465 millions d’euros sur les dix ans à venir.

Les Hauts-de-France ont donc fait le tri. Les lignes reliant Saint-Pol-sur-Ternoise à Étaples, Arras, Béthune et celle de Beauvais-Abancourt-Le Tréport devraient dans les années qui viennent toutes repasser en vert sur notre carte, après travaux. Lourches-Valenciennes, Abbeville-Le Tréport et Hirson-Laon-Crépy-en-Valois restent pour l’instant dans l’incertitude.

Point commun de ces lignes, ce sont des « UIC 7 à 9 », c’est à dire des lignes capillaires, moins chargées que les axes principaux. Pour les rénover, c’est à la région de mettre la main à la poche, bien que l’infrastructure ne lui appartienne pas. Ainsi, pour la réfection des lignes de l’étoile ferroviaire de Saint-Pol-sur-Ternoise, le total de 75,5 millions d’euros nécessaires se répartit entre la région qui en apporte 50 %, l’État qui met 41,5 % et SNCF Réseaux qui met 8,5 %. « C’est comme si l’appartement était refait à neuf et que le locataire payait la majeure partie des frais », explique à Reporterre Jean-Yves Petit, de l’association NosterPaca.

« On est coincé, estime Michel Neugnot, élu chargé des transports à l’Association des régions de France. Dans le contrat passé entre l’État et SNCF Réseau, il est inscrit que pour les lignes 7 à 9, SNCF Réseau ne peut contribuer à leur financement au-delà de 8,5 %. L’argent doit donc être trouvé ailleurs. Mais au niveau de l’Agence de financement des infrastructures [Afitf], la priorité est aux nœuds ferroviaires, il n’y a plus d’argent pour les lignes 7 à 9. »

L’engagement de l’État a été (un peu) moins difficile à obtenir concernant les Intercités. Les Hauts-de-France récupèrent la gestion de Paris-Saint-Quentin-Cambrai/Maubeuge et Paris-Amiens-Boulogne-sur-mer à partir de 2019. Ces lignes connaissent retards et suppressions de trains, en plus d’être équipées d’un matériel vieillot. L’accord trouvé prévoit que l’État les équipe de nouvelles rames, pour un montant total de 400 millions d’euros, et dote la région de 15 millions d’euros chaque année pour financer le fonctionnement de ces lignes.

LAGION BRETAGNE FAIT LA QUÊTE AUPRÈS DESPARTEMENTS ET AGGLOMÉRATIONS

La région Bretagne se réjouit de l’arrivée récente de la grande vitesse, qui met Rennes à seulement 1 h 30 de Paris. De là partent les deux lignes structurantes du réseau breton, Rennes-Brest au nord et Rennes-Quimper au sud. Mais les lignes secondaires, qui affluent vers ces axes principaux, connaissent les mêmes difficultés que celles des Hauts-de-France.

Ces voies, également classées « UIC 7 à 9 », connaissent des destins variés, au gré des financements trouvés. Ainsi, la ligne de Brest à Quimper, dans le Finistère, qui relie en bout de course les deux lignes principales, a bénéficié d’une rénovation, justifiée notamment par la fréquentation importante avant la dégradation du service : 180.000 personnes par an en 2012. La réouverture a eu lieu le 10 décembre 2017.

Financement de la ligne Brest-Quimper.

Les 77,8 millions d’euros nécessaires ont été sortis en majorité par la région Bretagne (31 %), puis par le département du Finistère (25,5 %). En tout, les collectivités territoriales ont financé 61 % des travaux contre 19 % pour l’État et 20 % pour SNCF Réseaux. À noter que le département et les communes qui ont contribué n’ont pourtant pas la compétence des TER.

Ainsi, réunir le budget demande d’aller frapper à de plus en plus de portes. C’est le cas pour Dol-Dinan-Lamballe, dans les Côtes-d’Armor. Les trains sont déjà ralentis sur un tronçon, il faudrait réunir 62 millions d’euros pour la sortir d’affaire. Ainsi, le contrat de plan État région prévoie que l’État en financera 20 %, la Bretagne 40 %, SNCF Réseau 15 %. Les 25 % restants sont à trouver ailleurs. Les Côtes-d’Armor doivent abonder, mais aussi les élus de la communauté de communes Lamballe terre et mer, qui ont voté le financement tout en dénonçant le désengagement de l’État. Les élus de l’agglomération de Dinan ont eux aussi tiqué, puis accepté de contribuer au budget de l’unique ligne de train passant chez eux. Saint-Malo et le département d’Ille-et-Vilaine, qui bénéficieront de la rénovation de la ligne, ont de leur côté décliné l’invitation.

Un train du « tire-bouchon » traversant l’Isthme de Penthièvre menant à la presqu’île de Quiberon (Morbihan), en 2009.

La rénovation de Rennes-Chateaubriant, avec 437.000 voyageurs par an, en majeure partie sur l’Ille-et-Vilaine et se terminant en Loire-Atlantique, traîne encore plus, le nombre de parties prenantes étant encore plus important. 45 % des 40 millions d’euros à réunir doivent être trouvés auprès « d’autres financeurs » que la Bretagne, la SNCF et l’État. La région Pays de la Loire, où se trouve le terminus Châteaubriant, le département de Loire-Atlantique, Rennes Métropole et la communauté de communes de la Roche-aux-Fées sont annoncés parmi les contributeurs.

Mais même si ses contributions sont modestes, reste que rien n’est possible pour l’instant sans l’État. Morlaix-Roscoff, dans le Finistère, n’a pas la chance de figurer dans le contrat de plan État e-région et son avenir semble bien compromis, malgré la mobilisation des élus et associations locales.

LES PAYS DE LA LOIRE NE PROFITENT PAS ENCORE DU TGV

Concernant les difficultés de financement, relevons que le conseil régional des Pays de la Loire en avait marre d’attendre pour la ligne Nantes-Clisson-Cholet : les élus ont décidé d’avancer la part de l’État afin de ne pas retarder les travaux. La liaison sur laquelle circulent 200.000 voyageurs par an risquait de subir des ralentissements.

Autrement, la situation ferroviaire de la région Pays de la Loire aurait dû grandement s’améliorer avec l’arrivée de la ligne grande vitesse (LGV) à Rennes. La réalisation d’un petit tronçon de trois kilomètres en marge de la LGV, la « virgule » de Sablé, permet d’y faire circuler des TER et de proposer aux habitants des liaisons très rapides entre Rennes, Laval, Angers et Nantes depuis juillet 2017. Mais un incident technique a conduit la région à suspendre les circulations fin janvier, et à remplacer les rapides TER par des cars nettement moins rapides… Autre désagrément dû à la grande vitesse, les horaires des TER ont été cadencés pour correspondre à ceux des TGV. C’est la bronca chez les voyageurs régionaux, qui déplorent les horaires inadaptés des lignes Le Mans-Sablé, Tours-Le Mans, Cholet-Angers ou encore Saint-Nazaire-Le Croisic.

Les liaisons des Pays de la Loire avec les régions voisines ne sont pas faciles non plus. Nous vous avons déjà raconté les déboires de Nantes-Bordeaux dans notre volet sur la Nouvelle-Aquitaine, et ceux deCaen-Le-Mans-Tours du point de vue normand.

Autre dossier, le lien ferroviaire entre Nantes et Rennes, pourtant deux capitales de région proches et agglomérations bien peuplées, est lui aussi à repenser. Deux lignes de chemin de fer les relient. La voie la plus courte en kilomètres, côté est, a été coupée en deux. Les Pays de la Loire ont réhabilité la ligne de Nantes à Châteaubriant avec un tram-train tout neuf depuis 2014. Mais cela élimine tout espoir de voir des trains poursuivre jusqu’à Rennes, puisque l’équipement n’est pas le même que pour les trains classiques. Côté ouest, une ligne propose des Nantes-Rennes directs, mais ils prennent plus de temps que la route, la ligne étant plus longue… Les trains ont du mal à se remplir.

Il existe un projet pour améliorer la liaison : celui des Liaisons nouvelles Ouest Bretagne-Pays de la Loire, programmé pour renforcer les liens entre Rennes, Nantes et la pointe bretonne. Un passage par l’aéroport de Notre-Dames-des-Landes, désormais abandonné, était programmé. Mais le dossier n’avance plus depuis déjà début 2017, et le projet a été jugé comme non prioritaire par le rapport Duron. Cette fois-ci, les élus n’hésitent pas à se tourner vers l’État et avertissent le gouvernement, l’incitant à ne pas abandonner une deuxième fois la zone, après sa décision concernant le projet d’aéroport. Ils demandent à l’inverse des compensations, dont les aménagements ferroviaires pourraient faire partie. Mais là encore, il faudra chercher de nouveaux financements. Seules les études pour ces liaisons nouvelles étaient financées dans le contrat de plan État région.

Bref, « nous sommes dans l’impasse », avertit Michel Neugnot au nom des régions de France. « Nous avons repris la compétence ferroviaire en 2002, elles ont développé l’offre. Mais on arrive au bout d’un modèle économique. Depuis quelques années, le nombre de voyageurs stagne et les coûts augmentent : la remise à niveau des infrastructures, les péages demandés par SNCF Réseau. Les usagers ne financent plus que 25 % du coût d’un voyage en TER contre 30 % auparavant. Pourtant, ils pensent que le service est cher, les trains pas réguliers et qu’il n’y a pas assez de trains… »

Pour s’en sortir, Michel Neugnot est « personnellement » favorable à une distinction entre les lignes secondaires, certes, mais placées sur des trajets bien plus longs (Lyon-Bordeaux, par exemple) qui les rendent indispensables pour maintenir certaines liaisons, et les lignes secondaires « indépendantes », dont la disparition ne condamne pas des pans entiers du réseau. « Pour elles, c’est à chaque région de faire son choix en responsabilité, mais il faut se poser la question de ce que l’on en fait. On pourrait en faire des voies vertes ouvertes aux véhicules autonomes par exemple. » Une proposition qui va dans le sens du rapport Duron.

D’autres espèrent encore sauver le maillage ferroviaire. « On pourrait mettre en place d’autres normes d’entretien pour les lignes UIC 7 à 9, qui supportent moins de charges et n’ont donc pas besoin des mêmes critères que les autres. Cela coûterait moins cher », suggère Jean-Yves Petit. Le rapport Duron propose également des pistes de sources de financements nouveaux pour les infrastructures. La TICPE (taxe intérieure sur la consommation des produits énergétiques) augmentant, les nouvelles ressources pourraient « financer les modes alternatifs », propose le document. Reste à définir quels sont les modes alternatifs de transport. Par ailleurs, les poids lourds traversant le territoire français pourraient aussi être taxés. Là encore, où cette ressource pourrait-elle aller ? « Au gouvernement de faire les arbitrages », lance Michel Neugnot, renvoyant la balle à l’exécutif.

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