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EnquêteQuotidien

Île-de-France, Centre-Val de Loire et Normandie : la saturation de Paris perturbe les trains des régions voisines

Délaissé jusqu’aux années 2000, le réseau francilien est vétuste malgré le nombre exceptionnel de voyageurs qu’il transporte chaque jour. Pour faire face à l’augmentation du trafic, le nombre de trains a été augmenté mais pas les voies disponibles… ce qui pénalise les régions périphériques de Normandie et de Centre-Val de Loire.

Après la publication de notre carte inédite sur l’état du train en France, Reporterre vous livre le détail région par région. Après le premier volet mardi (Bourgogne–Franche-Comté, Grand-Est et Provence-Alpes-Côte d’Azur), le second mercredi (Auvergne-Rhône-Alpes, Occitanie et Nouvelle-Aquitaine), voici le troisième volet avec les régions Île-de-France, Centre-Val de Loire, Normandie, affectées par le centralisme parisien et la vétusté de son réseau. Les autres régions seront étudiées demain vendredi.


CONSULTER L’ÉTAT DES LIGNES DE CHEMIN DE FER DANS VOTREGION

La carte des lignes de chemin de fer menacées

La carte en plein écran est DISPONIBLE ICI


15 cm de neige… Et seulement un train sur deux en moyenne sur le réseau Transilien, la SNCF qui conseille aux voyageurs de reporter leurs déplacements, le RER A perturbé, le RER B interrompu entre la gare du Nord et l’aéroport Charles-de-Gaulle, environ 700 personnes hébergées dans les gares Montparnasse et Austerlitz. Les voyageurs à destination de Caen, Rouen, Le Havre, en Normandie, retardés de plusieurs heures, voire pour certains contraints de dormir à Paris.

Après les pannes qui se sont enchaînées depuis juillet dans les gares parisiennes — Montparnasse en juillet et décembre, Saint-Lazare en novembre, Bercy et Austerlitz le 23 décembre —, le réseau francilien semble arrivé à un point de rupture. Fragile car insuffisamment entretenu, saturé, son état pénalise non seulement les Franciliens mais aussi les habitants des régions alentour. Le centralisme à la française s’exprime aussi dans le ferroviaire. Les régions Centre et Normandie, dont les lignes les plus fréquentées sont celles les reliant à Paris, le savent bien. Pourtant, dans le même temps, les liaisons qui leur permettraient d’éviter la capitale ne sont pas encouragées.

 

EN ÎLE-DE-FRANCE, LESEAU PROCHE DU POINT DE RUPTURE

Le réseau francilien transporte à lui seul les trois quarts des voyageurs empruntant les « trains du quotidien » en France. 3,2 millions de voyageurs circulent via 7.000 trains par jour. La SNCF gère l’essentiel de ce réseau, seuls des tronçons des RER A et B sont pilotés par la RATP, qui s’occupe également des bus, tramways et métros, qui n’entrent pas dans notre sujet. « En Île-de-France, les problématiques sont un peu différentes, les lignes ne sont pas menacées de fermeture mais le réseau est très fréquenté aux heures de pointe et les retards sont très fréquents », indique Marc Pélissier, président de l’Association des usagers des transports d’Île-de-France (AUT).

« 15 % des linéaires et plus de la moitié des appareils de voie ont dépassé leur durée de vie », relevait une étude de l’École polytechnique fédérale de Lausanne sur le réseau en 2015. Le réseau est d’une « grande fragilité », note encore l’association en cette période d’intempéries.

Parmi les lignes les plus critiques, l’association relève en priorité le RER A, qui avec plus d’un million de voyageurs par jour est la ligne la plus fréquentée d’Europe. « La partie SNCF (Nanterre - Poissy/Cergy) a une infrastructure en mauvais état, précise Marc Pélissier. De plus, le changement de conducteur SNCF-RATP à Nanterre-Préfecture est mal vécu par les usagers qui patientent de longues minutes. » Le RER B, juste derrière en matière de fréquentation, a bénéficié de travaux en 2013, mais ses bénéfices n’ont pas été durables. « La situation s’est à nouveau dégradée en 2016-2017 », remarque le président de l’AUT. « La ligne partage le tunnel Châtelet - gare du Nord avec le RER D, d’où un goulot d’étranglement, car SNCF et RATP arrivent très rarement à faire circuler les 32 trains prévus par heure. » L’hypothèse d’un élargissement de ce tunnel reste pour l’instant lointaine. Autre problème, les wagons à un seul étage ne contiennent pas assez de voyageurs, de nouvelles rames sont attendues… mais seulement en 2025.

Le RER C, lui, est à l’arrêt jusqu’au vendredi 9 février en raison de la crue de la Seine. Tous les étés, les travaux d’entretien des voies sur la partie parisienne longeant la Seine nécessitent la fermeture de la ligne pendant un mois. « L’infrastructure est vétuste mais des travaux d’ampleur sont enfin engagés jusqu’à 2025. En attendant, les espoirs d’un meilleur fonctionnement restent limités », estime Marc Pélissier.

Le réseau ne va pas mieux en grande banlieue. Exemple extrême, la ligne P, qui s’éloigne jusqu’aux confins de l’Île-de-France, n’est pas électrifiée en totalité. Vétusté, manque de matériel : les problèmes sont là similaires à ceux des autres régions. La location de deux rames doit améliorer les choses, en attendant les travaux…

Les principaux chantiers ferroviaires en Île-de-France en 2018.
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    Les principaux chantiers ferroviaires en Île-de-France en 2018.

Bref, des gares saturées qui ont montré leurs limites, des tronçons problématiques qui en plus des transiliens accueillent des trains venus de toute la France… Le réseau d’Île-de-France a besoin d’un bon coup de neuf.

LA NORMANDIE TENTE D’EN FINIR AVEC LE « MOYENGE »

Début janvier, le président de la région Normandie, Hervé Morin, n’a pas mâché ses mots pour décrire la situation ferroviaire : « La Normandie, c’est un scandale, c’est honteux, c’est le Moyen-Âge (…) Ce sont des trains qui tous les jours sont en retard, ce sont des trains où on nous dit qu’il y a dix wagons, mais il n’y en a que sept, ce sont des trains où il n’y a pas d’eau. Voilà ce que la SNCF nous sert tous les jours ! » protestait-il sur Public Sénat.

C’est aussi la situation décrite par les associations d’usagers de plusieurs lignes vitales pour la région, et très fréquentées : celles la reliant à la capitale. Paris-Granville, ligne nationale mais partant de Paris-Montparnasse, souffre de mauvaises décisions concernant le choix des locomotives et des wagons utilisés. Ainsi, les retards persistent malgré la rénovation de la ligne.

Les liaisons du Havre, de Trouville-Deauville et Cherbourg à Paris ont le même problème, auquel s’ajoute un autre, encore plus compliqué à régler : elles ont de plus en plus de mal à partager avec les trains franciliens les deux seules voies permettant de circuler entre Mantes-la-Jolie et Paris-Saint-Lazare. Ce tronçon permettant l’arrivée dans la capitale est saturé, et les trains pouvant difficilement se doubler, il suffit d’un incident pour provoquer retards et annulations en cascade. La solution sur la table est la construction de la « ligne nouvelle Paris-Normandie ». Le rapport du Conseil d’orientation des infrastructures remis au gouvernement la semaine dernière (le rapport Duron) préconise de réaliser prioritairement le tronçon Paris-Mantes, à partir de 2023, d’après le scénario privilégié par le gouvernement.

Le hall de la gare Saint-Lazare, à Paris. La saturation du réseau jusqu’à la gare de Mantes-la-Jolie (Yvelines) provoque de nombreux retards.

Autre effet de la proximité avec Paris, ces lignes fréquentées peuvent pousser à l’abandon des autres. Les syndicats de cheminots locaux dénoncent les fermetures de gare, la baisse du nombre de personnels et, en définitive, la « déshumanisation » du service.

Les liaisons avec les autres régions sont elles aussi, en conséquence, non prioritaires. La liaison de Caen à Rennes, en cours de rénovation, pourrait être coupée en deux au niveau de Granville. D’une ligne nationale, on reviendrait alors à des TER. Idem pour la ligne allant de Caen au Mans puis Tours. Cette liaison permet aux Normands de récupérer les TGV vers l’ouest et le sud sans passer par Paris. Mais les horaires peu pratiques et le nombre dérisoire de trains découragent les voyageurs…

La gare d’Évreux (Eure), en Normandie.

Et concernant les lignes régionales ? « Ici, il y a eu énormément de suppressions de trains dans les années 1970, alors il n’y a plus grand-chose à supprimer », estime Daniel Grebouval, président de la Fédération nationale des associations d’usagers des transports (Fnaut) Normandie. Aujourd’hui, la région fait ce qu’elle peut pour améliorer le service : Fécamp est de nouveau relié par le train au reste de la région, la ligne entre Serqueux et Gisors est actuellement fermée, mais pour une bonne cause, il s’agit de l’électrifier.

CENTRE-VAL DE LOIRE, TOURNÉE VERS PARIS, AUTRIMENT DE SES LIGNESGIONALES ?

Là aussi le flot de voyageurs allant travailler à la capitale perturbe trop souvent le trafic. La ligne TER Paris-Chartres, qui affiche 15.000 usagers chaque jour, collectionne les retards. C’est le tronçon Paris-Rambouillet, donc francilien, qui sature, de même que la gare Montparnasse à l’arrivée. La situation en est au point que la région Centre-Val de Loire a annoncé, fin novembre, qu’elle suspendait ses versements à la SNCF pour cette ligne « jusqu’au rétablissement d’un service normal et efficace ». À noter que la ligne poursuit jusqu’au Mans, les usagers en provenance de cette ville étant aussi pénalisés.

Côté Intercités, la région a repris depuis le 1er janvier la gestion de Paris-Orléans-Tours, Paris-Montargis-Nevers et Paris-Bourges-Montluçon. Comme pour Paris-Chartres, la situation est très tendue sur Paris-Montargis avec des trains bondés, et toujours ce problème de saturation à l’approche de Paris. « Il n’y a que deux voies vieillissantes, une pour chaque sens de circulation, qui accueillent à la fois le Transilien, et les trains Intercités Paris-Nevers et Paris-Lyon », explique à Reporterre Jean-François Hogu, président de la Fnaut Centre-Val de Loire. « Le nombre de trains Transiliens est important, et ça passe comme ça peut. Il ne faut pas qu’il y ait d’incident en ligne car il n’y a pas de possibilité de garer les trains. Si un seul a un problème, tous sont touchés. »

À l’intérieur même de la région, la situation est variable d’une ligne à l’autre. La ligne Tours-Loches paraît en grand danger alors que les investissements sur la route parallèle passent avant l’entretien de la ligne de chemin de fer. En revanche plusieurs chantiers de modernisation et même une ouverture de ligne entre Orléans et Châteauneuf-sur-Loire sont programmés, de nouvelles rames viennent d’être commandées.

À noter que la liaison entre Orléans et Chartres, deux pôles régionaux majeurs, n’existe pas par le train pour les voyageurs… Encore un coup de la centralisation ?

En plus des régions Centre-Val de Loire et Normandie, les zones correspondant à l’ex-Bourgogne, l’ex-Picardie et l’ex-Champagne-Ardennes sont aussi pénalisées par les difficultés de circulation autour de Paris. Espoir d’amélioration pour ces régions périphériques de Paris, un vaste plan de modernisation du réseau francilien et des gares parisiennes est lancé depuis quelques années, mais le retard sera long à rattraper. Les effets bénéfiques sont attendus pour 2025, calcule le rapport de l’École polytechnique fédérale de Lausanne. Si les projets de lignes nouvelles du Grand Paris ne retardent pas la rénovation du réseau existant…

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