Reportage — Déchets nucléaires
Bure : l’assaut des gendarmes

Durée de lecture : 6 minutes
- Bure (Meuse), reportage
Le village de Bure se détache dans le ciel limpide de la Meuse. En ce début d’après-midi, jeudi 22 février, les rues baignées d’une bise glaciale semblent vides, tout paraît calme. Aux abords de la mairie, un cordon de gendarmes forme une barrière compacte, infranchissable pour la petite foule d’une trentaine de personnes massée devant. Derrière, une grande bâtisse est entourée de camions bleus. La Maison de la résistance, surnommée BZL pour « Bure zone libre », accueille depuis 2004 les opposants au projet d’enfouissement de déchets radioactifs Cigéo. Propriété des associations antinucléaires, elle est devenue un lieu de rencontre et de refuge.

Ce jeudi 22 février, une trentaine de militants s’y sont réunis après l’expulsion du bois Lejuc le matin. Cette forêt, à quelques kilomètres du village, est habitée depuis juin 2016 par les opposants, qui veulent ainsi retarder les travaux de défrichement nécessaires au projet d’enfouissement. Ils y ont construit des cabanes confortables, dans les arbres et au sol. Mais ce matin à l’aurore, une dizaine d’habitants ont été expulsés par près de 500 gendarmes mobilisés pour l’opération, dont certains spécialisés.
Apprenant l’événement, nombre de militants — vieux, jeunes, nouveaux venus ou habitants historiques — vivant dans les villages alentours ont accouru à BZL. Pensant être en lieu sûr pour discuter de la suite. Sauf que les gendarmes étaient présents en masse autour de la vieille demeure, et que le ton est monté. En milieu de matinée, les militaires sont entrés dans la maison en forçant les portes, d’après eux « pour retrouver les auteurs de destructions ». Des fenêtres de la mairie ont en effet été cassées.
À l’intérieur, les militants regroupés à l’étage se sont assis et accrochés les uns aux autres. Pendant plus de trois heures, les gendarmes les ont évacués un par un, non sans violence. Certains ont été emmenés vers un commissariat du département — pour vérification d’identité principalement, et certains pour outrage —, d’autres ont été relâchés. Ceux-ci rejoignent, émus et choqués, le petit attroupement formé près de la mairie, qui les accueille à grand renfort de café chaud. Ceux qui sont embarqués passent près de leurs camarades de lutte, qui leur lancent des hurlements de loup et des cris de soutien. D’après nos observations, celles et ceux qui sont embarqués sont « inconnus » des services de police. « Ils gardent ceux qu’ils ne connaissent pas, pour les ficher », dit un opposant.

« J’ai accouru dès que j’ai pu en apprenant la nouvelle à la radio, témoigne Dominique [*], tout juste sorti de la maison. Quand les flics sont entrés, nous sommes restés ensemble, nous nous sommes accrochés bras dessus, bras dessous, et nous avons tenté de parler avec les gendarmes. On a même glissé quelques blagues. Eux nous ont tous filmés attentivement, ils comparaient avec des photos qu’ils avaient, et désignaient ainsi ceux qu’il fallait emmener. » Éprouvé, il sirote son café sans quitter des yeux les mouvements des gendarmes.
Dix minutes plus tard, un autre opposant sort de la maison, solidement escorté par deux gendarmes. « Vous créez les conditions d’amplification de la lutte, leur lance-t-il. Ce n’est que le début de la bataille ! » Des appels à mobilisation ont été relayés partout en France. « C’est l’État et l’Andra qui sont responsable du pourrissement de la situation, ajoute-t-il, indigné, une fois libéré. Que valent quelques jets de pierre face à la violence de la répression policière et le harcèlement judiciaire dont nous faisons l’objet ? »
- Écoutez le témoignage de Sylvain au moment de sa sortie :
Sylvain.
À ses côtés, la députée France insoumise Caroline Fiat, approuve : « Le droit de s’opposer et le droit de manifester sont des libertés fondamentales ». Élue de Meurthe-et-Moselle, elle a aussi sauté dans sa voiture aux premières heures, sans bonnet mais avec son écharpe tricolore, « afin de constater et dénoncer les violences policières qui pourraient être commises ». « J’ai vu des gens menottés, mais quel mal ont-ils fait ce matin ? S’opposer à un projet d’État n’est pas un délit ! » La députée s’est vue refuser l’accès à la maison par le commandant de gendarmerie.
- Écoutez Caroline Fiat :
Caroline Fiat à Bure.
Nous nous rendons ensuite au nord du bois Lejuc, dont l’accès est interdit par deux fourgons de gendarmerie. « C’est une journée sensible, nous ne pouvons rien vous dire », nous expliquera-t-on. Quant à l’accès au bois, on nous conseille de tenter notre chance du côté de Mandres-en-Barrois, plus au sud. En chemin, nous croisons un jeune agriculteur en train de préparer les aliments pour ses vaches. « Je suis bien déçu qu’il n’y ait plus personne au bois. Pendant l’occupation, on pouvait y aller se promener. Et puis, le projet n’avançait pas. Maintenant, qui sait ce qui va arriver. Je commence à regretter d’avoir repris la ferme familiale, car l’avenir n’est pas rose ici : être agriculteur dans un lieu plein de déchets nucléaires, ça ne fait pas rêver. »
En passant près de Mandres, où le secrétaire d’État Sébastien Lecornu devait peut-être passer, nous rencontrons Juliette Geoffroy, pore-parole du Cedra (collectif contre l’enfouissement des déchets radioactifs) : « On nous appelle hier pour nous dire que le ministre veut nous rencontrer vendredi matin, qu’il faut ouvrir le dialogue et la concertation. Comment peut-on parler de concertation après ce qui vient de se passer ? On veut nous diviser, nous séparer entre bons et mauvais opposants, entre ceux qui sont illégaux et ceux qui restent dans la légalité. Mais la question n’est plus là : nous sommes tous ensemble, un mouvement d’opposition riche et hétérogène, qui utilisons tous les moyens légitimes en notre possession pour faire entendre notre voix ! » Il n’y aura donc pas d’entrevue vendredi avec M. Lecornu, mais un rassemblement de toutes les associations d’opposants devant la préfecture de Bar-le-Duc.
Grâce aux indications d’un habitant du bois, nous parvenons à rejoindre le bois Lejuc à la tombée du jour. Là, au pied du Grand Chêne, un arbre centenaire qui accueillait quelques heures auparavant une maisonnette sur ses plus hautes branches, un amas de branches, de planches, de matelas et d’ustensiles de cuisine. « Ici, c’était ma maison pendant un an et demi ; que de beaux moments nous y avons vécu », sourit Sylvère* (prénom changé).
Près du chêne, les bulldozers sont passés sur le chemin, mettant à bas les chicanes construites ça et là. Mais sur la route fraîchement dégagée, à part quelques chevreuils profitant du crépuscule, il n’y a pas âme qui vive. Les gendarmes semblent concentrés aux orées du bois.
Quant aux opposants, ils se sont retrouvés à BZL, « libérée » de la présence policière depuis 16 h. Histoire de préparer la réponse. Dans l’immédiat, il s’agit de soutenir les camarades toujours au commissariat. De recueillir les témoignages de cette journée. De relayer des appels à mobilisation et de préparer l’accueil des comités de soutien qui pourraient arriver dans les jours à venir.
Et de réfléchir à la suite. Pour toutes les personnes rencontrées ce jeudi, outre l’émotion et la colère, c’est la détermination qui domine : « On ne lâche rien, le bois sera réoccupé, rien n’est fini, tout ne fait que commencer. »
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Reportage radio 22 février à Bure.