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COP27

COP27 : l’Égypte, un hôte vraiment pas écolo

Le Caire, en Égypte, en 2015.

Pays hôte de la COP27, l’Égypte présente des politiques climatiques très insuffisantes pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Les projets réalisés, eux, servent avant tout à légitimer le pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi.

Alors que l’Égypte accueille la COP27, dont l’objectif vise à prendre des décisions importantes contre le réchauffement climatique, le pays d’Abdel Fattah al-Sissi est loin d’être un bon élève en la matière. Ses efforts sont « très insuffisants », selon le dernier rapport du Climate Action Tracker.

Si l’Égypte a ratifié l’Accord de Paris en 2017, ses différents objectifs pour 2030 ne permettront pas de réduire ses émissions de gaz à effet de serre. Les politiques actuelles égyptiennes se traduiront au contraire - si tous les pays suivaient la même voie - par un réchauffement climatique de 3 °C, selon le Climate Action Tracker, loin de l’objectif de l’Accord de Paris de limiter le réchauffement à 1,5 °C par rapport au niveau préindustriel.

« C’est une grande déception, déplore Mia Moisio, qui dirige le Climate Action Tracker au New Climate Institute. Les émissions [de l’Égypte] continueront d’augmenter de manière très importante d’ici à 2030. Il reste encore beaucoup à faire. »

Une politique climatique incohérente

Les politiques climatiques de l’administration d’Abdel Fattah al-Sissi se traduisent ainsi par un certain nombre d’incohérences. Alors qu’en août dernier, le gouvernement a annoncé le début d’une campagne visant à planter 100 millions d’arbres dans tout le pays, des milliers de mètres carrés d’espace vert ont été détruits au Caire pour y construire autoroutes, cafés et parkings. Par ailleurs, alors qu’Abdel Fattah al-Sissi a mis en garde sur les dangers du rétrécissement du Nil, il a ordonné de détourner l’eau du fleuve pour construire une nouvelle capitale au milieu du désert.

La nature autoritaire et la centralisation du pouvoir de l’État expliquent en partie les lacunes de l’Égypte dans sa réponse à la crise climatique, selon Jeannie Sowers, professeure à l’université du New Hampshire et autrice de l’ouvrage Environmental Politics in Egypt : Experts, Activists, and the State. « Les autorités sont bien conscientes des problèmes environnementaux du pays, et des personnes, comme les fonctionnaires, ont déployé de nombreux efforts pour y répondre », précise-t-elle à Reporterre. Mais le pays refuse, selon elle, de s’intéresser aux décisions prises en « autonomie ».

Avec ces projets, « le gouvernement cherche avant tout à redorer son image nationale et à fournir des services de base à sa population pour éviter toute contestation », ajoute Jeannie Sowers.

Le président Abdel Fattah al-Sissi à la COP21 en France, en 2015. Wikimedia Commons/CC BY 2.0/UNclimatechange

Le général militaire devenu chef d’État a cherché à améliorer les infrastructures du pays, allant de la construction d’autoroutes à celle de centrales électriques pour fournir assez d’énergie à toute la population, ou à celle de la plus grande ferme solaire du monde.

La construction de la nouvelle capitale administrative à 45 kilomètres à l’est du Caire s’inscrit dans la même dynamique. Présentée par le président comme une solution durable au problème de la surpopulation du Caire, ses détracteurs y voient une façon de se distancer de la population et de se protéger en cas de soulèvement populaire. « Les Égyptiens n’ont pas besoin d’un nouveau centre administratif fantaisiste, mais de l’assurance qu’ils auront accès à des logements abordables, à la sécurité sociale et à une protection contre les catastrophes naturelles, précise Jeannie Sowers. Il y a une réelle déconnexion entre la priorité du régime, qui est de consolider son pouvoir, et les besoins réels des personnes qui subissent les conséquences du changement climatique. »

Le coût important d’une politique climaticide

La répression des activistes depuis l’arrivée au pouvoir d’Abdel Fattah al-Sissi en 2014 n’a également pas aidé à documenter les effets néfastes des différents projets sur l’environnement. Environ 60 000 personnes sont détenues pour leurs opinions — des défenseurs des droits humains, des opposants politiques, des journalistes, des étudiants ou encore des manifestants.
 
Les différentes politiques avancées par le pays ont un coût environnemental important. Si l’Égypte n’est responsable que de 0,7 % du total des émissions à effet de serre émises mondialement, l’extraction et l’utilisation d’énergies fossiles sont à l’origine des trois quarts des émissions de gaz à effet de serre du pays. Avec une augmentation des volumes de 7,2 millions de tonnes d’exportation de gaz naturel et de gaz naturel liquéfié (GNL) pour 2021 et 2022, l’Égypte conserve sa deuxième place de plus grand producteur de gaz fossile de l’Afrique. 

Le pays ne compte pas s’arrêter là : il a signé un protocole d’accord avec l’Union européenne pour stimuler ses exportations de gaz vers l’autre côté de la Méditerranée. « Il existe une certaine hypocrisie des pays développés en matière de politique climatique. La crise de l’énergie en Europe devrait pousser les pays à moins consommer, mais pousse au contraire les pays africains à produire et exporter plus d’énergies fossiles, précise Mia Moisio. Des pays comme l’Égypte obtiennent des investissements supplémentaires pour subvenir aux besoins de l’Europe. »

« L’Égypte a obtenu des investissements
supplémentaires pour subvenir aux besoins de l’Europe »

L’organisation de la COP27 en l’Égypte a ainsi un double objectif. En accueillant un événement de cette envergure, Abdel Fattah al-Sissi veut légitimer son régime. Avec le Fonds vert pour le climat, alloué aux pays en développement, le gouvernement cherche également à obtenir des fonds à un moment critique. En moins de dix ans, la dette publique a quadruplé et avec les successions de crises liées au Covid-19 et à la guerre en Ukraine, la livre égyptienne a chuté de plus de 20 % depuis le début de l’année par rapport au dollar. Le gouvernement, largement dépendant des crédits étrangers, souhaite ainsi profiter de la conférence pour redynamiser les investissements dans le pays.

« L’Égypte est un favori des bailleurs de fonds, elle a une certaine capacité à mettre en œuvre des projets. Le pays a aussi le talent de transformer ce qui est considéré comme une friche en un projet lucratif qui génère une bonne somme d’argent, indique Jeannie Sowers. Reste à savoir à qui profitent ces projets, et s’ils répondent vraiment aux enjeux environnementaux et de développement. »

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