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ReportageClimat

Casse-tête chez Auchan : protéger le climat ou consommer ?

Les hypermarchés Auchan ont installé une exposition sur le climat. Reporterre est allé la visiter - et interroger les consommateurs. Le climat ? « On a besoin de consommer ! »

-  Bagnolet (Seine-Saint-Denis), reportage

Tout a commencé par un sympathique communiqué de presse d’Auchan. Son sujet, une exposition pour les enfants intitulée « Vivre avec moins de carbone », faisant le tour des centres commerciaux. Tiens donc, la grande distribution nous inciterait à consommer moins ? Auchan se mettrait à la lutte contre le changement climatique ?

Le paradoxe a soulevé la curiosité de Reporterre. Cela tombe bien, le service communication d’Auchan est ravi que l’on parle de sa bonne action. Rendez-vous un jeudi après-midi à l’hypermarché de Bagnolet, qui vient d’installer l’exposition.

Devant la grande entrée, les deux rangées de panneaux forment une magnifique allée dans laquelle s’engagent les clients. Ici, ils sont 12.000 par jour, un sacré potentiel de personnes à sensibiliser !

Les explications mettent en scène un petit personnage, « M’en fous » : il gaspille la nourriture, n’éteint pas les lumières, et met le chauffage à 25 degrés en hiver, un sacré mauvais élève de l’écologie... Heureusement, on vient lui expliquer avec pédagogie l’impact sur le changement climatique de ce que l’on mange, de l’énergie qu’on consomme, de tous les appareils électroniques que l’on utilise, etc. Alors M’en fous devient « M’en fous plus ». Désormais, il trie ses déchets et utilise un chargeur solaire pour son téléphone portable.

Un bel exemple, qui malheureusement n’a pas l’air d’attirer l’attention des clients d’Auchan. Ils passent, imperturbablement, au milieu de la rangée de panneaux. Seul un monsieur aux cheveux gris s’arrête pour les lire. Je m’approche, il s’emporte. « Cela ne sert à rien il y a neuf personnes sur dix qui ne regardent pas ! De toutes façons, que ce soit Auchan ou un autre qui parle d’écologie, cela ne me concerne pas, je suis trop vieux ! »

Je reste une demi-heure à surveiller les abords des panneaux. Personne d’autre ne s’arrête. Je décide d’intercepter une grand-mère et sa petite fille. « Madame, regardez, il y a une exposition sur le changement climatique faite par Auchan, qu’en pensez-vous ?- Ah, c’est bien, c’est déjà ça, mais eux, est-ce qu’ils font attention ? Il faudrait qu’ils vérifient comment sont fabriqués les produits qu’ils vendent. »

Je poursuis en alpaguant une famille qui sort le caddie bien chargé. « Quand je reviens avec mes courses, tout est emballage », remarque la mère. « Mais on a besoin de consommer ! » répond le frère.

Sentiment : « Qu’est-ce qu’on doit faire ? Ne plus consommer ? »

Je tente une autre famille, qui va entrer. « Une exposition sur le changement climatique à l’entrée d’un hypermarché, cela vous semble-t-il contradictoire ? » Sentiment, le père, prend la parole. « Bien sûr que c’est contradictoire. Mais on doit bien se nourrir, alors qu’est-ce qu’on doit faire, on ne doit plus consommer ? Plus faire nos courses ici ? »

Sur ce, Bernard, vêtu de son petit gilet rouge Auchan, m’interpelle. Responsable de la logistique, il a aussi été volontaire pour présider le comité Développement durable du magasin. Je lui fait remarquer que son exposition n’intéresse, malheureusement, pas les foules. « C’est que la galerie commerçante ne nous appartient pas, alors c’est difficile de placer les panneaux, les magasins ne veulent pas n’importe quoi devant chez eux, explique ce cadre motivé. Mais pour intéresser les enfants, on a des animations en magasin le mercredi et le samedi, avec des coloriages, des gadgets et des questionnaires », nous rassure-t-il.

Quel est le message de l’exposition ? « Nous voulons alerter nos clients sur le climat, nous avons un vrai rôle d’éducation, nous devons leur montrer qu’il ne faut pas jeter les piles par le fenêtres, insiste-t-il. Et nous voulons aussi les sensibiliser à ce qui se passe sur le magasin », poursuit fièrement Bernard. Il évoque les ruches sur le toit, dont le miel est vendu aux clients ; les urnes pour récolter les bouchons de bouteilles, qu’une association récupère et revend pour financer du matériel pour enfants handicapés ; le nouveau matériel des rayons boulangerie et boucherie, moins énergivore ; les frigos et congélateurs aux portes désormais fermées, là aussi pour moins gâcher ; les associations qui récupèrent les invendus, même la nourriture pour chiens et chats, etc, etc. « Et si on le fait, c’est qu’il y a un retour sur investissement. Le bénéfice est à la fois écologique et économique. Mais les clients ne sont pas forcément informés sur tout ce qu’on fait », regrette-t-il.

Bernard : « Nous voulons alerter les gens sur le climat »

Mais puisqu’Auchan est si écolo, pourquoi, par exemple, ne pas retirer des rayons les produits particulièrement mauvais pour la planète ? « Non, certains clients pourraient être mécontents, il faut contenter tout le monde », avance Bernard. Les inciter à moins consommer alors ? « Ce n’est pas moins consommer, mais mieux consommer. Si un produit est importé, c’est marqué sur l’étiquette, ils sont informés », poursuit-il. Il se concentre, puis reprend : « Ici, on est un magasin à promotions. Par exemple on fait la foire à 1 euro, ce sont des produits importés d’Asie, de mauvaise qualité, avec une mauvaise empreinte écologique, mais ça marche super bien ! C’est difficile d’éduquer les gens, vous savez, ici, on a 35 ethnies différentes. »

Enfin, Bernard, un haut lieu de la consommation tel qu’un hypermarché peut-il se poser en défenseur de la planète ? Il réfléchit un instant, se lance : « Non, ce n’est pas contradictoire. Que vous preniez une usine de pneus ou un supermarché, il y aura toujours une empreinte écologique ! »

Certes, mais voyons Bernard, êtes-vous vraiment au courant de tout ce que fait Auchan pour sauver la planète ? De tous ses projets de centres commerciaux qui viennent enfin donner une utilité aux terres agricoles en périphérie des villes ? Un petit tour sur Reporterre aurait pu t’informer, pourtant (http://www.reporterre.net/Manifestation-contre-la-premiere).

Par exemple, au nord de Paris, juste à côté de l’aéroport de Roissy, Auchan porte un projet de centre commercial sur 80 hectares de terres agricoles qui vont devenir des boutiques, des restaurants, des hôtels et même une piste de ski. Comme preuve que cet ensemble baptisé Europacity sera écolo, la présentation du projet annonce un toit végétal.

Auchan s’investit aussi à Cavaillon, dans le Vaucluse : là c’est 45 hectares de champs qui vont devenir ce qui sera, on n’en doute pas, un haut lieu de la consommation responsable.

Il faut aussi ajouter qu’Auchan, c’est le même groupe que Décathlon, avec ses villages Oxylane, ses villages du sport. Il y en a un qui recouvrirait 24 hectares de terres à Montpellier avec des enseignes comme Truffaut. Et encore un de 16 hectares à côté d’Orléans. Tout ça, pour nous sensibiliser aux sports de plein air et nous ouvrir à la nature, sans doute ?

Surtout, il ne faut pas oublier les quatre petits hectares de la ferme des Bouillons, à côté de Rouen. Cet été, Auchan a réussi à chasser le collectif de jeunes utopistes qui voulaient continuer de cultiver ces terres là. Ces rabat-joie disaient que ce sont des terres agricoles, qu’elles sont proches de la ville, qu’elles pourraient permettre de faire de l’agriculture de proximité, et surtout de construire un autre modèle alimentaire et agricole, plus respectueux de la nature et des Hommes.

Mais M’enfousplus répondra peut être que, ce qu’ils avaient oublié, c’est qu’Auchan est déjà là pour nous nourrir. Quoi de mieux que prendre sa voiture, son caddie, de caser les enfants aux animations climat du mercredi chez Auchan pendant qu’on fait les courses ? Rien de plus confortable, après tout, de se satisfaire des petits gestes qui sauvent la planète, mais de ne jamais dénoncer les grands qui la détruisent.

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