Ces arbres d’ornement qui cachent une forêt d’ennuis

Des bourgeons de charme, un arbre utile pour les oiseaux qui doit être planté en automne. - Pxhere/CC0
Des bourgeons de charme, un arbre utile pour les oiseaux qui doit être planté en automne. - Pxhere/CC0
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QuotidienL’automne est la saison idéale pour procéder aux plantations d’arbres et arbustes. Mais il n’est pas facile de choisir parmi la jungle d’espèces vendues en jardinerie, où le pire peut côtoyer le meilleur.
Les plants de cyprès, charmilles, photinias ou bambous sont au garde-à-vous dans leurs pots. Dans cette jardinerie de l’enseigne Botanic à Nevers (Nièvre), ils attendent preneur pour pouvoir enfin s’épanouir en pleine terre. Et l’automne est la saison idéale pour être plantés ! La terre est encore assez chaude et l’arbre peut développer son système racinaire avant les grands froids pour une meilleure reprise au printemps. D’où le fameux dicton : « À la Sainte-Catherine [le 25 novembre], tout bois prend racine. »
En cette mi-septembre, la Sainte-Catherine est encore un peu loin, et les allées du magasin neversois sont calmes. Marc, pépiniériste et vendeur, s’affaire devant son ordinateur. Quand on lui demande ce qu’il conseillerait pour la plantation d’une haie cet automne, il avertit d’emblée : « Attention, si vous habitez en lotissement, certaines espèces comme le thuya, le laurier ou le cyprès sont parfois interdites, notamment dans l’habitat social. » Ces variétés peuvent atteindre plusieurs mètres de haut et créer des conflits de voisinage, sans compter la gestion des déchets verts qu’elles impliquent.

Pour Claire-Hélène Delouvée, paysagiste-conceptrice et directrice du Conseil d’architecture, d’urbanisme et de l’environnement (CAUE) de Nevers, la plantation d’arbustes et d’arbres de grande taille au jardin est ce qui pose le plus problème : « On vend des végétaux qui vont pousser trop haut. Ce qui implique d’intervenir souvent pour la taille. Soit on le fait soi-même, et on s’épuise à entretenir son jardin, soit on fait appel à un prestataire, et ça a un certain coût. Sans compter les déchets verts à évacuer. On peut les composter, mais, par exemple, la décomposition des feuilles du laurier palme (Prunus laurocerasus) est très difficile. »
Elle regrette que de nombreuses jardineries n’informent pas assez sur la silhouette et les dimensions maximales des arbres qu’elles vendent. Un laurier palme non taillé peut dépasser les 5 mètres, un thuya atteindre les 30 mètres.
Gare aux arbustes envahissants et néfastes pour la flore locale
Et si on décide de ne pas tailler ses lauriers palme, ils vont monter rapidement en fleurs et les oiseaux disséminer les graines. Or, cette colonisation peut porter atteinte à la flore locale. C’est ce que l’agglomération de Lamballe, dans les Côtes-d’Armor, a découvert il y a six ans. « Quasiment aucun sous-bois n’est épargné par les pousses. Dans certaines zones, il s’est vraiment beaucoup implanté, détaille Rozenn Guillard, responsable du service bocage et biodiversité de la collectivité Lamballe terre et mer. Comme il ne perd pas ses feuilles en hiver, il a tendance à étouffer les strates herbacées et les arbustes. Il empêche notamment les fleurs printanières, comme la jacinthe des bois, de se développer. »

En région Île-de-France, c’est le cotonéaster, arbuste d’ornement à baies rouges buissonnant, qui est problématique : « Une dizaine d’espèces de cotonéaster ont été recensées dans des anciennes carrières. Elles sont devenues très envahissantes sur ces sols dégradés et impactent la flore en place », déplore Sébastien Filoche, directeur scientifique au Conservatoire botanique national du bassin parisien.
Le buddleia, plus connu sous le nom d’« arbre à papillons », se reproduit lui aussi très facilement dans les milieux perturbés (zones de friches, bords de routes, pavés, etc.). « Il continue d’être vendu en jardinerie, et ne présente pas de problème à condition de le planter dans son jardin, loin d’une friche », souligne Sébastien Filoche. Il existe une liste européenne de plantes invasives préoccupantes et interdites à la vente, mais ces variétés n’en font pas encore partie.
Une nouvelle appétence pour les haies mélangées
Les clients, eux, ont plutôt des préoccupations d’ordre pratique et esthétique, constate Marc, le vendeur de Botanic, et leurs exigences se révèlent parfois inconciliables : « Les gens veulent souvent des arbustes aux feuilles persistantes, qui poussent vite, assez occultant pour cacher la vue des voisins, et qui fleurissent. Or il n’y pas tant d’espèces qui permettent ça. » Il remarque une appétence nouvelle pour les haies mélangées. Un changement appréciable car pendant des décennies, la tendance était plutôt aux alignements de thuyas ou de troènes. Mais les clients ont fini par comprendre les limites de ces haies monovariétales, souvent appelées « béton vert ».
« Les haies de buis ont été dévastées ces dernières années par la pyrale du buis. Même chose avec les thuyas touchés par la maladie [le phytophthora cinnamomi, un champignon, est responsable du brunissement et du dépérissement des thuyas]. Quand le client voit sa haie de 120 m mourir peu à peu, il réfléchit au moment de replanter. »

Claire-Hélène Delouvée plaide vivement pour les haies diversifiées et fustige les plantes à la mode, telles que le photinia : « Comme on plante cet arbuste en grande quantité et serré, il peut devenir plus sensible aux épidémies. C’est idiot. » Il faut dire que les pépiniéristes auraient parfois tendance à privilégier des végétaux faciles à produire. « Avec le thuya, le taux de réussite est proche de 100 % », souligne la paysagiste.
Des arbustes utiles pour les oiseaux, mais peu prisés des clients
Quand la jardinerie propose une offre plus diversifiée, encore faut-il convaincre le client d’aller vers des espèces moins connues. Marc explique que son magasin a un partenariat avec la Ligue pour la protection des oiseaux (LPO) pour mettre en avant des variétés recommandées pour le bien-être de la faune ornithologique. « Mais celles-ci ne rencontrent pas forcément un grand succès auprès du public. »
Ainsi, le charme, dont le branchage est fort utile à la nidification des bêtes à plumes, ne conserve pas ses feuilles vertes l’hiver. Le pyracantha, aussi appelé « buisson ardent », qui fournit des baies aux grives et aux merles en automne a, lui, mauvaise réputation en raison de ses épines — qui protègent pourtant les fauvettes et rouges-gorges des prédateurs.

De plus en plus d’initiatives mettent en avant les variétés locales, plus adaptées au climat et au sol. La marque Végétal local de l’Office français de la biodiversité a été créée en 2015 à l’initiative des Conservatoires botaniques nationaux, l’Afac-Agroforesteries et Plante & Cité. Les 91 producteurs qui adhèrent actuellement à cette démarche proposent quelque 700 variétés sauvages dont les graines ont été récoltées dans leur zone géographique.
« Les espèces locales n’ont pas le temps de s’adapter »
Autre initiative intéressante : l’association des Croqueurs de pommes œuvre depuis de nombreuses années à perpétuer des variétés anciennes d’arbres fruitiers adaptées à chaque territoire, notamment via des « bourses aux greffons ».
Les clients sont aussi à la recherche d’arbres qui résistent mieux aux sécheresses, de plus en plus fréquentes, et économes en eau, note le vendeur de la Nièvre. Il cite le succès du chalef (Elaeagnus), une plante très robuste et à feuilles persistantes qu’on trouve à l’origine en bord de mer.
« Avec le changement climatique, on est quasiment obligé d’introduire des espèces qui ne sont pas locales, constate Claire-Helène Delouvée. Le réchauffement va trop vite, les espèces locales n’ont pas le temps de s’adapter. Il faut désormais aider le végétal à se constituer en allant chercher de nouvelles graines. » Et penser dès maintenant à semer les jardins du futur...