Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

ReportageLuttes

Chantier de l’A69 : Thomas Brail, six jours sans manger pour sauver les arbres

Le militant Thomas Brail a entamé une grève de la faim pour protester contre l'abattage des arbres nécessaire au chantier de l'autoroute A69.

Dans le Tarn, le militant grimpeur Thomas Brail en est à son sixième jour de grève de la faim. Le but : empêcher l’abattage massif d’arbres le long du chantier de l’autoroute A69 Toulouse-Castres.

Saint-Germain-des-Prés (Tarn), reportage

« Je dois limiter mes efforts. » Assis à l’ombre sur une chaise de camping, une bouteille d’eau citronnée à la main, Thomas Brail ralentit son flot de paroles. Le militant entame sa sixième journée de grève de la faim, une promesse qu’il s’était faite si les sept platanes de Vendine (Tarn), le long du chantier de l’A69, étaient coupés. Or dans la nuit du 1er septembre, les opposants aux travaux n’ont pas réussi à barrer la route aux forces de police déployées en masse autour des arbres. Voilà plusieurs semaines qu’ils multiplient pourtant les actions, se perchent dans les arbres et campent sur place.

À Saint-Germain-des-Prés, proche de Vendine, Thomas Brail se tient désormais derrière d’imposants pins parasols, à leur tour menacés. Trois tentes ont été hissées sur les branches les plus robustes et quatre grimpeurs s’y relaient jour et nuit pour les protéger. De là-haut, on aperçoit les engins de chantier du constructeur NGE. Camions, grues et voitures par dizaines s’activent sur des terre-pleins bétonnés construits au beau milieu de champs de blé. Les travaux de l’autoroute s’accélèrent de partout. La superficie totale de l’emprise de cet axe routier représente plusieurs centaines d’hectares, dont 316 de surfaces agricoles. Soit l’équivalent de plus de 570 terrains de foot.

L’un des sept platanes abattus. © Patrick Batard / Hans Lucas / AFP

Mais Thomas Brail, porte-parole du GNSA, le Groupe national de surveillance des arbres, infatigable militant, garde le moral. « Quatre recours ont été déposés contre ce chantier. On doit laisser à la justice le temps de faire son travail. Je continuerai ma grève jusqu’à la suspension des travaux. Les pompiers pourront venir me chercher, on pourra me perfuser, mais je n’arrêterai pas. » Une mesure radicale ? « Peut-être mais j’en ai assez de ne pas être écouté. En me battant pour les arbres, je me bats pour l’avenir de mon fils. » Le militant s’est déjà perché plusieurs semaines sur un platane, ce qui lui a valu une garde à vue de vingt-quatre heures fin mai.

La promesse du concessionnaire Atosca de replanter le long du tracé cinq fois plus d’arbres qu’actuellement le laisse pantois. « Il faudrait d’abord qu’ils recensent le nombre d’arbres actuels. Et puis les arbres qu’ils veulent abattre sont centenaires, ils savent s’adapter à la sécheresse, sans parler du refuge exceptionnel qu’ils offrent à la biodiversité. Rien ne pourra jamais les remplacer. »

« Les arbres qu’ils veulent abattre sont centenaires »

À quelques kilomètres de là, à Cuq-Tolza, une autre commune affectée par le chantier, le Bar à Cuq est devenu la cantine des ouvriers de NGE. Ces derniers ne veulent pas s’exprimer. Les habitués, eux, assument pleinement leur opposition au projet. « Une enquête d’opinion a révélé que l’écrasante majorité des habitants n’en veulent pas, pourquoi persistent-ils à nous l’imposer ? » s’énerve Christian, un retraité. Tous regrettent que ce projet vieux de trente ans, « anachronique », soit encore d’actualité. « C’est absurde, poursuit son amie Marie-Jo. On a besoin d’eau, on a besoin d’agriculteurs et ce projet avec tout le béton qui sera coulé va au contraire assécher nos terres. » Une centaine d’agriculteurs sera expropriée.

Un appel international pour trouver des « frères d’arbres »

« Tout ça pour un axe construit en parallèle d’une nationale déjà existante », fulmine Alain Hébrard, un médecin à la retraite membre du collectif La Voie est libre (LVEL), opposé au mégaprojet. Il vient de saisir le Conseil d’État avec l’espoir de suspendre les travaux. Le groupe vient aussi de dévoiler un projet alternatif baptisé « une autre voie » pensé par Karim Lahiani un urbaniste et paysagiste tarnais. Il y est question d’aménager l’actuelle RN126 avec des espaces dédiés au vélo. Ce serait la première véloroute nationale. « Cela ne veut pas dire que nous allons pouvoir faire Toulouse – Castres à vélo. Mais cet aménagement prendra compte des courtes distances », a indiqué Karim Lahiani lors de la présentation du projet fin août dans un cinéma de Toulouse.

Quant à Thomas Brail, il n’a pas prévu de rentrer chez lui. « De toute façon, je dors mieux dans les arbres. » Il a été reçu lundi 4 septembre par un secrétaire du cabinet de Carole Delga (Parti socialiste) et attend à présent d’être reçu par la présidente de la Région occitane.

Depuis le 1er septembre, l’interdiction d’abattre les arbres pour cause de nidification des oiseaux a été levée. Plus rien n’empêche Atosca d’avancer. Des milliers d’arbres sont menacés et le GNSA est bien déterminé à occuper la totalité des abords du chantier — soit 53 kilomètres. Un défi de taille, même pour Thomas Brail, connu pour être resté perché une semaine dans un arbre sur le Champ de Mars, à Paris. Il vient de lancer un appel international pour trouver des « frères d’arbres » autrement dit de nouveaux grimpeurs. « On attend des Belges et des Allemands. Le mouvement va prendre. Notre cause est juste. J’ai confiance. »

Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois de septembre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende