Choses vues au Testet

Durée de lecture : 9 minutes
SivensAu Testet, les gendarmes habillés comme s’ils intervenaient en Irak montent la garde. Le chantier de destruction continue. Les zadistes sont fatigués, mais bien présents, et ne lâchent pas malgré la répression, tandis que la mobilisation grandit dans la région. Rendez-vous le 25 octobre pour une grande manifestation sur place.
- L’Isle-sur-Tarn, reportage
Je suis passé sur la Zad du Testet, dans le Tarn, jeudi 9 octobre. J’y suis resté quelques heures, accompagné de Ben Lefetey, du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, et de quelques autres opposants. Le soir, j’ai participé à un débat public au Café Plum, à Lautrec, à environ une heure de route du lieu du projet de barrage. Le bourg compte environ 1.700 habitants. Près de cent personnes se sont retrouvées dans le Café pour s’informer et discuter de Notre-Dame-des-Landes et du Testet.
On parvient au site par la départementale D 32 dans la vallée du Tescou. Le camp de la Zad (zone à défendre) est installé sur un grand champ, qui est au bout du lac artificiel de trente-deux hectares que veut créer la CACG (Compagnie d’aménagement des coteaux de Gascogne) et divers officiels, dont le président du Conseil général du Tarn, Thierry Carcenac. Une cinquantaine de personnes y vivent, occupant le lieu.

Le camp est organisé autour d’une ferme abandonnée, La Métairie, qui a été restaurée par les zadistes. Ils y rangent leurs affaires, y font la cuisine, s’y réchauffent, y font sécher le linge. Le drapeau « Paix » flotte au-dessus du camp.
On discute un peu avec des zadistes qui sont là. Le paysan Pierre Lacoste nous rejoint. Il est l’un des rares paysans locaux qui s’opposent ouvertement au barrage. Dans la région, peu osent s’élever contre le projet. La FNSEA locale y est favorable, et il ne fait pas bon, pour un agriculteur, être en désaccord avec la FNSEA, qui contrôle nombre d’aides et de subventions.

Le projet de barrage, explique Ben Lefetey, a été conçu au début des années 2000. Selon les études de la CACG – qui est juge et partie, puisqu’elle doit construire le barrage -, il devait répondre aux besoins d’eau des agriculteurs de la vallée et participer au soutien d’étiage pour diluer la pollution d’une laiterie de Montauban. Mais ces arguments ne tiennent plus : depuis 2000, plus de 184 retenues collinaires ont été réalisées dans le bassin, recueillant 4,5 millions de mètres cubes d’eau. De plus, la laiterie Sodial a vers 2006 installé un équipement de dépollution.
En fait, selon Ben Lefetey, s’il y a encore une tension sur l’eau, c’est parce que les irrigants pompent au maximum l’eau du Tescou pour économiser leurs réserves. Mais si, plutôt que de se faire concurrence, ils géraient la ressource comme un bien commun, il n’y aurait pas de problème.
(On trouvera des analyses plus détaillées et bien documentées sur le site du Collectif pour la sauvegarde de la zone humide du Testet, et dans le dossier de Reporterre).
Au dos de la Métairie, une inscription : « L’espoir, c’est comme les cabanes : les grands les détruisent ».

La route par laquelle nous sommes arrivés continue après La Métairie et longe la vallée. Nous marchons à pied dans la direction du lieu où doit être édifié le barrage proprement dit. A quelques centaines de mètres, une butte de terre barre le passage. Au sommet, un gendarme en treillis observe à la jumelle ce qui se passe sur la Zad.

Il s’agit de l’adjudant-chef de la gendarmerie de Gaillac, m’apprendra-t-il plus tard. On ne peut pas passer, sauf les journalistes. Je monte sur la butte et lui tend ma carte de presse. Il la prend, me dit qu’il faudrait que j’ai un casque de chantier pour aller sur les lieux – par mesure de sécurité - et va téléphoner. J’attends sur la butte. En contrebas, les gendarmes.

Ils sont habillés en treillis, comme des soldats. Je suis ignorant de la chose militaire, mais dans les nombreux épisodes de répression des mouvements écologistes dont j’ai été témoin, les gendarmes sont habituellement habillés en bleu sous leur carapace de robocop. Là, cet habit militaire paraît signifier que l’on fait la guerre à la société, pensé-je en mon for intérieur.

Plus tard, Sylvain, un zadiste – nous nous étions déjà rencontrés au Forum qu’a organisé le Mouvement pour une alternative non violente en juillet – me racontera que presque tous les matins, des gendarmes viennent détruire leur campement qui est installé à l’autre bout de la vallée, à la Maison des Druides.
Ils donnent des coups de matraque, crèvent les pneus du camion, brûlent systématiquement toutes les affaires qui sont dans la maison, ou lâchent des grenades lacrymogènes. Tous les matins, Sylvain et ses camarades rangent, réparent et nettoient le lieu. Ils ont aussi caché beaucoup d’affaires aux alentours. Ils sont tenaces, mais c’est dur. L’un d’eux, Pepete, tient le coup en lisant, en faisant de la musique, et en méditant.
Ce lundi 13 octobre, Sylvain me dit au téléphone : "Ils sont de nouveau venus ce matin même, et à nouveau détruit ce qu’ils pouvaient. A la fin du saccage, ils ont fait venir un huissier, pour constater que j’habitais ici et m’ont montré un bidon de vingt ou trente litres d’essence, presque plein. Ils ont prétendu qu’ils l’avaient trouvé ici, comme preuve qu’on prépare des cocktails molotov. Je démens formellement que moi ou d’autres à la Maison des Druides ayons conservé de l’essence. Le bidon a été amené par les gendarmes. Nous sommes à la Maison des Druides un groupe affinitaire dont la ligne est que nous sommes pacifistes et ne jetons rien sur les policiers.
Par ailleurs, l’huissier a refusé de constater que toutes nos affaires avaient été détruites par les gendarmes".
Retour au jeudi 9 octobre. Pendant que je suis sur la butte, Monsieur l’Adjudant-chef téléphone, et Monsieur Lefetey poursuit ses explications pédagogiques, dans l’espoir apparent d’être écouté par les gendarmes. Evoquant le barrage de Fourogue, construit en 1997, et depuis annulé par un tribunal – mais toujours en place -, il affirme que les forces de l’ordre devraient aller interpeller M. Carcenac, président du Conseil général, qui gère ce barrage illégal. Il évoque aussi le déficit du budget de l’Etat français, et assure qu’il serait souhaitable de ne pas gaspiller l’argent public à utiliser les gendarmes pour permettre la réalisation d’un barrage inutile et coûteux.
Au loin, des machines de chantier travaillent sur la zone défrichée.

Enfin, M. l’Adjudant-chef revient et me rend ma carte, disant que je peux aller voir le chantier. Je l’en remercie et m’avance à pied sur la route. Le spectacle est désolant : à droite, des souches et des bois coupés, à gauche, plus loin, la terre à nue, alors que, voici quelques semaines, une forêt vigoureuse l’occupait. La petite rivière du Tescou serpente dans la vallée.

Sur la droite, un chêne isolé, qui semble rescapé du désastre. Une cabane y est installée, dans laquelle campent deux jeunes filles, Claire et Emilie. Nous discutons. Elles disent que c’est dur, que la vie à la Zad n’est pas facile et que le moral n’est pas toujours au plus haut, mais qu’elles tiendront. La cabane est occupée tous les jours, au petit matin. Il y en a d’autres dans les bois de l’autre côté de la vallée.

J’avance sur la route, me rapprochant du chantier. A droite, un engin déblaie des arbres abattus.

Plus loin, sur la gauche, d’autres engins creusent un fossé.

Des gendarmes bloquent aussi la route. Tiens, ils sont en bleu. Apparemment, l’Irak s’arrête sur la route.

Mais l’heure tourne, et je ne peux rester plus longtemps.
Je reviens sur mes pas, et rediscute avec les habitantes de la cabane. Me voilà chargé de transmettre aux gendarmes le message suivant : « Pourriez-vous arrêter de jeter vos déchets de pique-nique dans le Tescou ? »
Message transmis à Monsieur l’adjudant-chef. Celui-ci me dit qu’ils ne sont pas jetés, et me montre, à l’arrière d’une camionnette, les reliefs du repas dans un sac en plastique blanc placé derrière un bouclier. On parle un peu, et il m’explique qu’il y a les gendarmes de Gaillac, et puis des gardes mobiles – ce sont des gendarmes spécialisés dans le maintien de l’ordre, ils sont basés dans différents endroits du sud-ouest. Il m’assure aussi que, durant les affrontements lors du défrichement de la forêt, début septembre, les gendarmes ont reçu de l’acide chlorhydrique, de la peinture – « ça, ça va, cela salit les vêtements, mais bon… » - et des cocktails molotov – « c’est très dangereux, un gendarme a été brûlé sur tout le corps à Notre-Dame-des-Landes ». Je n’ai jamais entendu parler de ce fait. Que le ministère de l’Intérieur ait l’obligeance de nous en communiquer la confirmation, nous le transmettrons aux lecteurs de Reporterre.
Plus tard, en discutant avec des zadistes, on me dira qu’on n’a pas entendu parler d’acide chlorhydrique, et que s’il y a eu des cocktails molotov – au demeurant difficiles à confectionner -, ils ont été lancés pour faire peur, pas pour blesser.
Au demeurant, les témoignages sur les violences physiques exercées par les gendarmes au Testet sont légion.
Dans l’arbre, Emilie dit ainsi que, vendredi 3 octobre, les gendarmes ont tout détruit à la maison des Druides (l’autre Zad), l’ont tabassée et l’ont emmenée en garde à vue au motif qu’elle aurait lancé des pierres alors que, "pacifiste, je n’ai jamais lancé de cailloux".
- Ecouter Emilie :
Il n’y a d’ailleurs pas que les gendarmes. Des personnes favorables au barrage – agriculteurs de la FNSEA ? – ont plusieurs fois organisé des agressions physiques sur des zadistes ou des opposants. Le 14 septembre, Ben Lefetey a été isolé par un grand gaillard qui lui a cassé l’auriculaire (fracture spiroïde). Il porte toujours une attelle pour cette plaie qui a été très douloureuse.

Mais les opposants tiendront bon. Le soir, à Lautrec, Ben Lefetey dira devant la salle comble : « Il faut assumer de prendre des risques. On nous prépare à nous mettre à genoux, à subir. Mais si on laisse faire aujourd’hui le barrage de Sivens, les gens accepteront plus tard les milices et la force militaire. Il faut dire stop, il faut se rassembler. »
De son côté, Sylvain a dit : « Si on n’avait pas le soutien de vous tous, on ne tiendrait pas, sur la Zad. C’est quelque chose de collectif. Merci à toutes les initiatives. Soyons créatifs et joyeux ».
Une grande manifestation de ré-occupation est prévue le samedi 25 octobre sur la zone du Testet.
