Comment fonctionne le Giec, qui publie son nouveau rapport ?

Située en Sibérie orientale, la République de Sakha (le nom officiel de la Iakoutie) a vécu en 2021 les plus graves feux de forêt de son histoire. - © Antoine Boureau / Reporterre
Située en Sibérie orientale, la République de Sakha (le nom officiel de la Iakoutie) a vécu en 2021 les plus graves feux de forêt de son histoire. - © Antoine Boureau / Reporterre
Un nouveau rapport du Giec portant sur les stratégies d’adaptation au changement climatique va être publié lundi 28 février. Quels enseignements en tirer ? Comment ces rapports sont-ils fabriqués ?
Lundi 28 février 2022, à midi, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec) dévoilera le deuxième volet de son sixième rapport d’évaluation (intitulé « AR6-WG2 »). Celui-ci a été préparé par le groupe de travail no 2, dont la mission porte sur les conséquences du changement climatique et les manières de s’y adapter. Reporterre vous éclaire sur cette publication, en cinq points.
1 • Quelle différence entre le rapport du groupe de travail no 2 et les autres ?
Depuis sa création en 1988, le Giec publie tous les cinq ans à peu près des « rapports d’évaluation » (Assessment Report) décrivant l’état des connaissances scientifiques sur le changement climatique. Depuis 1988, le Giec a publié cinq rapports d’évaluation sur l’état des connaissances scientifiques et socioéconomiques permettant de comprendre les risques liés au réchauffement climatique d’origine humaine. Le premier est paru en 1990, le deuxième en 1995, le troisième en 2001, le quatrième en 2007 et le cinquième en 2014.
Les rapports d’évaluation sont composés de trois parties, publiées successivement. AR6 ne déroge pas à cette règle :
- La synthèse du groupe de travail no 1, consacrée à l’état des connaissances scientifiques sur le climat, a été publiée le 9 août 2021. Celle-ci, édifiante, montre que le changement climatique s’accélère et s’intensifie inexorablement. « Pour ce faire, les scientifiques utilisent des modèles sophistiqués pour prévoir les changements de température, de pluviométrie, en fonction de différents niveaux d’émissions de gaz à effet de serre », explique à Reporterre Paul Leadley, écologue professeur à l’Université Paris-Saclay.
- Celle du groupe de travail no 2, dont il est question lundi 28 février, porte sur « les conséquences, l’adaptation et la vulnérabilité des sociétés humaines et des écosystèmes face au changement climatique », dit Paul Leadley, qui a participé à ce volet dans le cadre du cinquième rapport d’évaluation du Giec.
- La synthèse du groupe de travail no 3, « qui esquisse les différentes solutions pour atténuer le changement climatique », résume M. Leadley, est attendue dans quelques semaines.
2 • Quel sera le contenu de ce rapport ?
Les informations inscrites dans ce rapport sont sous embargo jusqu’à lundi. Quelques grandes tendances se dessinent. « Ce rapport va mettre à jour les connaissances sur le risque climatique pour toutes les grandes régions et sur une diversité de sujets : les écosystèmes, la santé humaine, les infrastructures, la sécurité alimentaire... », a affirmé Alexandre Magnan, auteur du groupe 2 et chercheur à l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri-Sciences Po), lors d’un point presse. « Une plus grand importance sera données aux conséquences du changement climatique sur les inégalités et les injustices, avec des auteurs plus jeunes, plus féminins qui viennent des sciences sociales », complète François Gemenne, l’un des auteurs du rapport, joint par Reporterre.

Ces conséquences du changement climatique seront présentées selon différents niveaux de réchauffement, 1,5 °C, 2 °C, et 4 °C par rapport à l’ère préindustrielle et selon différents pas de temps. Mais, a insisté Alexandre Magnan, « le futur, c’est maintenant ». « Les impacts du changement climatique sont déjà largement détectables » : mortalité des humains confrontés aux vagues de chaleur, effondrement des coraux, amenuisement de la pêche dans les hautes latitudes...
Ce volet sera également l’occasion de faire le point sur la mise en œuvre de l’adaptation à l’échelle globale et à l’échelle régionale. Il s’agit de « la capacité de résister, de répondre et d’être résilient face à des évènements extrêmes mais aussi de la capacité d’anticiper un changement plus graduel », explique Alexandre Magnan, dont l’expertise porte justement sur l’adaptation au changement climatique. « Nous avons analysé et nous présenterons l’efficacité potentielle d’une grande gamme d’options d’adaptation », précise-t-il, tels que les systèmes d’alerte, les digues ou les migrations. Les auteurs devraient aussi clarifier les limites de cette adaptation.
3 • Comment le rapport a-t-il été élaboré ?
Sa rédaction a impliqué 270 auteurs principaux, coordinateurs et éditeurs de toutes nationalités et de divers domaines, parmi lesquels huit scientifiques travaillant en France. Tous sont bénévoles.
Ces experts ne font pas de recherche « proprement dite », dit Paul Leadley : « Leur mandat est d’évaluer les informations scientifiques disponibles pour dégager clairement les éléments qui relèvent d’un consensus de la communauté scientifique, ainsi que ceux qui sont plus incertains ou font dissensus. » Le rapport a donc pour mission d’« établir une expertise collective scientifique sur le changement climatique ».
Reporterre vous présente les neuf étapes de la production de ce rapport, qui représentent plusieurs années de travail, « cinq, six ans » selon François Gemenne :

4 • Qu’est-ce qui garantit la fiabilité de ce rapport ?
Qu’est-ce qui garantit la robustesse des informations contenues dans ce rapport ? « C’est toujours là-dessus que les détracteurs du Giec tentent de nous attaquer », regrette, auprès de Reporterre, l’océanographe Jean-Pierre Gattuso. Il est l’un des auteur du rapport spécial sur les corrélations entre la crise climatique et les évolutions constatées dans les océans et la cryosphère, préparé par le groupe 2 et publié en 2019.
Pourtant, affirme François Gemenne, « le processus est extrêmement sophistiqué et rigoureux : il est inattaquable ». « Les auteurs de chaque chapitre peuvent s’adjoindre des contributeurs si la moindre expertise manque », dit Jean-Pierre Gattuso. De plus, en cinq ou six ans de travail, « au moins la moitié est consacrée à des périodes de relecture », estime François Gemenne. « Le rapport est ouvert aux commentaires de l’ensemble de la communauté. Pour ce deuxième volume, nous en avons reçu 17 000 ! Les auteurs sont obligés de répondre à chacun d’eux, en justifiant la rectification, ou non, du rapport pour en tenir compte. »
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Quelle est l’influence des gouvernements sur le contenu final du rapport, une fois qu’ils l’ont commandé ? « Elle est nulle : les scientifiques ont le dernier mot », assure Paul Leadley. En revanche, les 195 États membres du Giec ont leur mot à dire sur le résumé à l’intention des décideurs, qui est une synthèse des messages principaux contenus dans le rapport. « Ces deux dernières semaines, le résumé a été lu et approuvé ligne par ligne, en présence des représentants des gouvernements, afin de trouver des formulations qui conviennent à tout le monde », dit Jean-Pierre Gattuso. En cas de litige, « la session peut être interrompue le temps que des auteurs et des représentants trouvent un compromis, qui peut aller jusqu’à la suppression du passage concerné. Mais les gouvernements ne peuvent de toute façon pas demander de modifications qui iraient à l’encontre du contenu du rapport. »
Selon le site d’information Climate Home News, qui cite « des sources proches des négociations » lors de la session d’approbation du résumé aux décideurs qui a débuté le lundi 14 février, les États-Unis se sont opposés à l’utilisation du terme « pertes et dommages ». Ce terme désigne les conséquences irréversibles générées par des catastrophes climatiques soudaines ou les phénomènes à occurrence lente, comme la montée du niveau des mers ou la désertification des sols. Les nations riches veulent éviter cette mention car elles refusent l’idée de fournir, en compensation de leur responsabilité historique dans le changement climatique, des financements spécifiques aux pays en développement qui subissent ces pertes. Ce terme sera-t-il finalement sauvegardé par les auteurs et les États concernés ?
5 • Ce rapport sera-t-il utile dans la lutte contre le changement climatique ?
Que faut-il encore attendre des rapports du Giec ? « C’est vrai qu’on peut donner le sentiment de se répéter, qu’on a déjà montré maintes fois que la situation était grave, dit Jean-Pierre Gattuso. D’un rapport à l’autre, la science est plus précise, fouillée, mais le message général ne change pas : il y a urgence à agir. » Néanmoins, ces rapports « servent de fondations aux grands accords internationaux sur le climat, comme l’Accord de Paris, qui ensuite infusent les politiques publiques. »
« Le changement climatique est un problème global, ces rapports sont indispensables car ils donnent, justement, un socle de connaissance et une direction globale pour y répondre », dit Paul Leadley. Pour l’écologue, à titre d’exemple, la mise en place en 2012 de l’IPBES (Plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques), le « Giec de la biodiversité », a complètement modifié les discours sur la biodiversité. Alors que « quand il revenait à chaque pays de faire ses propres évaluations, c’était le chaos ».
Comment faire pour que ces rapports aient plus d’écho ? Selon François Gemenne, « il serait peut-être plus utile de faire des rapports plus courts, sur des sujets précis qui font controverse dans la société, pour trancher de vrais choix politiques. Mais le Giec est un très gros paquebot. Il a tellement peur d’être accusé d’interventionnisme politique qu’il est un peu attentiste et peut cautionner, parfois, une certaine forme d’immobilisme. » « Cette posture n’est pas tenable face à l’urgence », juge-t-il.