Comment l’architecture va s’adapter au réchauffement climatique

Projet de rénovation d’un immeuble de bureaux de la rue Dareau (XIVe arrondissement de Paris). - © Viguier architecture urbanisme et paysage.
Projet de rénovation d’un immeuble de bureaux de la rue Dareau (XIVe arrondissement de Paris). - © Viguier architecture urbanisme et paysage.
Durée de lecture : 8 minutes
Habitat et urbanisme AlternativesL’exposition « Conserver, adapter, transmettre » présente des mues écolos de bâtiments parisiens. Entre végétalisation, matériaux biosourcés et ouverture au soleil, petit aperçu de la capitale du futur.
Paris fait sa mue écolo… mais sans casser la baraque. On pourra voir comment dans l’exposition « Conserver, adapter, transmettre », présentée jusqu’au 5 mars au Pavillon de l’Arsenal, centre de documentation de l’urbanisme parisien. Sous sa belle voûte métallique, cette ancienne fabrique de poudre présente 44 projets architecturaux qui privilégient la rénovation à la destruction-reconstruction, pour adapter les bâtiments aux nouvelles normes écoresponsables.
Un moindre mal, car construire a un coût écologique exorbitant. Un immeuble neuf, par exemple, « nécessite 70 fois plus de matériaux et produit 5 fois plus d’émissions de gaz à effet de serre qu’une réhabilitation », précisent la présidente du Conseil national de l’ordre des architectes, Christine Leconte, et l’urbaniste Sylvain Grisot dans Réparons la ville !
Ces 44 projets, annonciateurs du prochain Plan local d’urbanisme bioclimatique (2024) de la Ville de Paris, sont répartis dans l’exposition en sept sections, qui présentent des leviers d’économie d’énergie possibles : « reprogrammation », « réemploi », matériaux « biosourcés », « végétalisation »… Maquettes et photos avant-après (simulations en 3D) permettent de mieux saisir ces nouvelles pratiques, et de se demander si elles vont changer la vie des urbains un peu, beaucoup, à la folie… ou pas suffisamment pour répondre à la gravité de la crise écologique.

On reprogramme, enfin !
Il était temps que le secteur du bâtiment hâte le pas vers la sobriété énergétique, car c’est un des plus gros producteurs de gaz à effet de serre : quasiment 40 % des émissions mondiales (constructions et usages) et 25 % des émissions françaises. Le carbone s’y cache partout : matières premières utilisées, énergie consommée, transports… Premier levier de taille : reprogrammer, c’est-à-dire conférer de nouveaux usages aux bâtiments désaffectés — c’est le cas de 70 % des projets présentés à la Ville de Paris aujourd’hui.
Tous les types d’édifices sont concernés : des plus prestigieux, comme l’Hôpital Saint-Vincent-de-Paul, ancien hospice du XVIIᵉ siècle reconverti en écoquartier, à la tour des Poissonniers, métamorphosée en petite « ville en pantoufles », selon le mot de l’architecte Philippe Madec, avec logements étudiants, potagers à la verticale, salles de musicologie, de sport… Sans oublier les « immeubles pour automobiles », devenus obsolètes depuis que seuls 35 % des Parisiens possèdent une voiture.

Importants leviers aussi de réduction de la consommation des ressources : le « réemploi » ou la « réutilisation ». Le réemploi consiste à utiliser des matériaux issus des destructions du chantier en cours pour construire nouveaux murs ou fenêtres ; la « réutilisation » prévoit, elle, la récupération de matériaux provenant d’autres chantiers et déposés dans l’énorme stock de déchets du BTP (environ 46 millions de tonnes produites par an, contre 30 pour les déchets ménagers).
La marge de manœuvre est grande, car la pratique peut s’étendre à bien des éléments, comme les faux planchers, les équipements sanitaires, les chemins de câbles…, suggère l’architecte Guillaume Meunier dans le catalogue de l’Arsenal. Mais le taux national de réutilisation n’est encore que de 1 %.
Esthétique de la « couture »
Pourtant, l’exposition le montre, cette contrainte du réemploi appartient déjà à une nouvelle perception de la ville, comme les cloisons qui facilitent la redistribution des espaces intérieurs (en bureaux ou logements, selon les besoins), les espaces mi-commerciaux, mi-culturels dans les cours d’immeubles, censés créer des îlots de vie. Elle a même sa saveur.
Lorsque des architectes laissent apparents des matériaux réemployés ou soulignent d’une couleur particulière des étages ajoutés, c’est un peu comme s’ils mettaient à nu la mémoire du bâtiment. Une esthétique dite « de la couture » qui valorise les évolutions, et peut parler davantage à nos sensibilités mutantes qu’un bel immeuble sans aspérités.

Redonner la main à l’usager sur les dispositifs techniques
Pour réduire la consommation d’énergie, les architectes écolos développent le plus possible les « dispositifs passifs » : espaces intérieurs traversants, grandes hauteurs sous plafond, stores en extérieur (pour éviter que les vitrages n’emmagasinent la chaleur du soleil), balcons en façade recouverts de casquettes (sortes de parasols en dur), triples vitrages, façades plissées, puits de lumière, réservoirs d’eau de pluie… Qu’ils favorisent la ventilation, la lumière naturelle ou le confort thermique sans climatisation, ces dispositifs permettent aux usagers de reprendre la main sur les systèmes électriques et numériques.
Parmi les propositions originales, les bow-windows à inclinaison choisie de la tour Natixis, qui permettent de maîtriser les apports solaires estivaux et de valoriser, autant que possible, les apports hivernaux, tout en offrant de larges vues sur la ville.

D’origine végétale ou animale (bois, chanvre, terre, paille, liège, lin, laine de mouton…), les matériaux « bio-sourcés » sont utilisés pour ériger ou isoler : ils régulent la température l’été grâce à leur structure poreuse (pour les végétaux), et réduisent grandement les besoins en chauffage l’hiver.
Autre gros avantage : ils concourent au stockage du carbone atmosphérique pendant la durée de vie du bâtiment. On les voit peu en façade dans l’exposition, respect du patrimoine oblige, mais ils donnent désormais lieu à des concours internationaux comme le TerraFibra Award, qui valorise les créations en fibres végétales et terre crue, si agréables aux yeux avec leurs lignes arrondies et leurs couleurs chaudes…
Des architectes et urbanistes pressent aujourd’hui le gouvernement de baisser la TVA de ces matériaux bio et géosourcés [1], car ils restent plus onéreux que les matériaux liés à la pétrochimie. « La baisse de leur coût est décisive pour en massifier l’emploi », ont-ils plaidé dans une pétition diffusée en janvier, avant le vote de la loi relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables.
Écologiques, les terrasses végétalisées ?
Enfin la « biodiversité » verdit les projets à qui mieux-mieux, pour dépolluer l’air et rafraîchir l’atmosphère l’été. Balcons et potagers à la verticale l’accueillent en pots, cours et patios sont garnis de petits arbres ou fougères. La végétation en pleine terre est rare, du fait du manque d’espace au sol et dans le sous-sol, gorgé de réseaux en tous genres (métro, électricité, égouts…). On a donc souvent la triste impression d’une végétation chétive, utilitaire ou d’agrément. Nouvel emblème des villes riches, la terrasse-bar verdie fleurit sur les toits.
Selon l’architecte Sébastien Fabiani, cette biodiversité peut n’être que d’apparat : « Pour être écologique du point de vue de la rétention des eaux pluviales ou de l’isolation thermique, il faut des épaisseurs de terre de 50 à 70 centimètres, voire 100, pour accueillir des plantes performantes. Pour les terrasses sur les toits, cela suppose donc d’augmenter les capacités de portance des planchers et des toitures, ce qui représente une grande consommation de matière, explique-t-il. De plus, il manque souvent à ces installations les dispositifs de récupération d’eau permettant d’arroser abondamment. »

On espère que la « ferme urbaine » prévue au sommet du bâtiment PDR, barre de bureaux plantée en surplomb de la gare Montparnasse, sera pensée au mieux de ces contraintes. Mais au-delà de l’aspect pratique, ce type d’espace, « iconique », selon ses promoteurs, suffira-t-il pour changer la relation des Parisiens à la nature ? Leur permettra-t-il d’affronter ensemble des températures estivales de 40 degrés ?
L’architecture, qui a une fonction motrice dans le façonnement des modes de vie, ne devrait-elle pas chercher davantage que la simple « qualité de vie » ? Défendre des espaces de biodiversité profus, là où la débitumisation est possible ? Développer, au rez-de-chaussée des immeubles d’habitation, d’autres espaces communs que les coworkings et les commerces, pour réduire les consommations d’énergie et d’espace ?
Imaginez que les architectes incitent les citadins à une convivialité anticonsumériste en mettant en partage une laverie, une cuisine, des ateliers de réparation, un jardin, sur le modèle des habitats participatifs… Et pourquoi pas une chambre d’amis pour accueillir, sait-on jamais, une personne mal lotie en période de canicule — il y en a tant, entre celles qui vivent sous les toits et celles qui n’en ont pas ? Ne rentrerions-nous pas ainsi plus vite dans une transition écologique et solidaire active ?