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ChroniqueAgriculture

Je voulais que la terre me fasse vivre

Mathieu Yon, maraîcher bio dans la Drôme, cultive une petite surface, qu'il loue.

Il a choisi les chemins de traverse pour entrer dans « l’histoire et la condition paysanne ». Mathieu Yon, notre chroniqueur, raconte son installation comme maraîcher bio dans la Drôme.

Mathieu Yon. © Enzo Dubesset / Reporterre
Le néopaysan Mathieu Yon est chroniqueur pour Reporterre. Il vous raconte régulièrement les joies et les déboires de son installation dans la Drôme en tant que maraîcher biologique en circuit court.


Face à la déprise agricole et aux chiffres affolants de la disparition des paysans, comment prendre le contre-pied, pour tenter d’ouvrir d’autres voies ? Il y a en France de plus en plus de fermes à reprendre, et pourtant de moins en moins d’installations agricoles : 12 500 en 2020. À l’échelle d’un pays comme la France, ce chiffre paraît dérisoire. Il en faudrait 20 000 par an, pour que le renouvellement des générations puisse se faire.

Pourtant, on parle beaucoup de « reprises » et de « soulèvements » de la terre, signe qu’une vie paysanne fait encore vibrer. Alors, pourquoi y a-t-il aussi peu d’installations ? La faute au temps de travail ? Au manque de rémunération ? Aux difficultés d’accès au foncier ?

Toutes ces raisons sont valables et abondamment documentées. Il existe néanmoins des chemins de traverse pour entrer dans l’histoire et la condition paysanne. Car il s’agit bien d’une histoire, dans laquelle il faut accepter d’entrer, et pas seulement d’une activité économique. Je vais vous raconter comment je m’y suis pris, et je préfère le dire d’emblée : mon parcours et ma méthode ne sont pas généralisables ou exemplaires. Mais ils sont possibles, et peut-être souhaitables pour celles et ceux qui veulent être pris par la terre, et pas seulement la regarder se perdre dans des mains invisibles.

Je ne suis pas issu du milieu agricole, j’ai simplement grandi à la campagne. N’ayant pas de terre, et ne pouvant pas prétendre à la « dotation jeune agriculteur » (DJA), faute de diplôme agricole, ma capacité à devenir paysan semblait compromise. Pourtant, j’étais pratiquement certain que le métier de paysan était fait pour moi. Cultiver un petit bout de jardin pour me nourrir n’était pas suffisant : je voulais que la terre me fasse vivre, qu’elle me donne un revenu, un monde, une fierté.

Moisson dans la Drôme.

Je suis devenu maraîcher parce que j’aime le froid qui arrive en automne, j’aime dépendre des éléments, guetter les nuages et entendre la pluie tomber sur la serre pendant la récolte des épinards, de la mâche ou des blettes. J’aime passer ma journée dans les champs, et sentir ma pensée plonger dans le sol.

Cela fera peut-être sourire (sans moquerie je l’espère) les collègues paysans : mon installation m’a seulement coûté 20 000 euros. L’objectif était de réduire son coût afin d’augmenter mon revenu, tout en veillant à ne pas manquer de matériel.

Je vous présente donc ma ferme :

  • deux serres d’occasion de 8 mètres sur 30 à 2 500 euros chacune ;
  • le film plastique pour les couvrir à 1 500 euros ;
  • un motoculteur neuf à 3 000 euros ;
  • un réseau d’irrigation au goutte-à-goutte souple pour 1 500 euros ;
  • une pompe thermique à 700 euros ;
  • un semoir Sembner quatre rangs à 100 euros ;
  • deux motteuses pour faire mes plants ;
  • une tondeuse, un pulvérisateur électrique, des outils manuels, des rouleaux de voile P17, de plastique, des filets anti-insectes, des sacs de fertilisation…

Et surtout, le plus important, une bonne approche technique et agronomique, qui, une fois maîtrisée, ne coûte plus rien.

« Mon approche élimine quasiment le travail de désherbage »

Mon approche est simple et efficace. Elle consiste à alterner les cultures repiquées (notamment les légumes fruits et feuilles) sur bâche plastique ou paillage naturel et sans aucun travail du sol avec les cultures semées pouvant nécessiter un travail du sol (les légumes racines par exemple). Cette alternance cultures couvertes / non couvertes, élimine quasiment le travail de désherbage, ce qui n’est pas rien en maraîchage biologique. Le conseiller technique qui m’a formé disait souvent : « Le but du maraîcher, c’est de planter et de récolter. » Mon travail consiste donc à réduire toutes les actions entre la plantation et la récolte. Entendons-nous bien : je fais toujours ce qu’il y a à faire, mais je ne fais pas ce qu’il n’est pas nécessaire de faire. L’art du maraîcher, c’est de discriminer les actions utiles et les actions inutiles. L’échec ou la réussite de nombreuses fermes maraîchères dépend de cette capacité à juger d’une situation, et à prendre la bonne décision. Voilà pour l’aspect technique.

Un hectare de culture, loué 140 euros par an

Concernant le foncier, j’ai là aussi fait un choix : je ne suis pas propriétaire des terres que je cultive. Je suis en fermage sur un hectare, et je paie un loyer annuel de 140 euros. Ce montant est encadré par la préfecture. Pour une activité maraîchère sur petite surface, cette somme n’est pas un frein, mais un atout. D’autant plus que le « bail à ferme » de neuf ans renouvelable est très protecteur pour le paysan : les propriétaires pourront reprendre l’usage de leur terre si et seulement si un membre de leur famille s’installe comme agriculteur sur ces mêmes terres. Ce choix de la location a une raison très simple : en renonçant au luxe de me payer une ferme avec un terrain attenant, j’ai fait l’économie de 400 000 euros et d’un prêt sur vingt-cinq ans. J’habite donc dans une petite maison de village, peu onéreuse, à deux kilomètres de mon champ. Et cela me va très bien.

Il existe de nombreuses voies pour devenir paysan. Ceux qui reprennent la ferme de leurs parents héritent des terres, mais aussi des dettes. Les « nima », comme on les appelle (non issus du milieu agricole) ont des difficultés pour accéder au foncier, mais aussi plus de liberté dans les orientations données à leur ferme. Aucun modèle n’est parfait. Pour ma part, j’ai fait le choix d’un investissement faible, d’une surface cultivée limitée : pour à la fois réduire mon temps de travail (je suis à 35 heures par semaine) et augmenter mon revenu. Ce modèle fonctionne bien. Sans aide bénévole ou salariée, et sans être épuisé à la fin de la saison, je considère que je gagne ma vie correctement (à peine un Smic).

Pourtant, mon modèle a une faille : c’est la fragilité de ma protection sociale. Si je me blesse au travail, tout s’écroule, car les indemnités de la sécurité sociale agricole (MSA) en cas d’accident ou de maladie s’élèvent à 30 euros par jour. Elles ne couvriront donc pas le coût d’un salarié agricole. Ceux qui ont traversé une telle situation ont réussi à s’en sortir grâce à un réseau de solidarité entre les paysans, les voisins et les clients. C’est pourquoi, même si les paysans sont parfois seuls dans leur champ, ils ne doivent jamais être isolés des autres.

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