Comment le gouvernement a truqué les chiffres électoraux au détriment d’EELV

La manipulation statistique opérée par le ministère de l’Intérieur n’a pas tenu longtemps : Europe Ecologie Les Verts (EELV) représente bien plus que les 2 % annoncés. Et les alliances avec le Parti de gauche obtiennent de bons résultats. De quoi alimenter le débat stratégique du parti écologiste.
« Aïe aïe aïe… ». La stupeur n’aura duré que quelques minutes, dimanche soir 22 mars, au siège d’EELV. Très rapidement, la soupe à la grimace devant les résultats du premier tour diffusés sur grand écran, a laissé place à la colère contre la présentation fallacieuse par le ministère de l’Intérieur des chiffres des différents partis.
Amorcé en début de semaine, le débat a conclu sans ambiguïté : le score officiel d’EELV, annoncé à 2,03 %, n’a rien à voir avec la réalité.
Voici le véritable bilan comptable d’EELV au premier tour des départementales :

On y constate que quand :
- EELV s’est présenté de manière autonome, il a obtenu 9,7 % des suffrages exprimés ;
- EELV s’est allié avec le Front de gauche, ils ont obtenu 13,6 % ;
- EELV s’est allié avec le PS, ils ont obtenu 27 % ;
- EELV s’est allié avec le PS et le PC, ils ont obtenu 30,5 %.
Pourquoi une telle différence entre le résultat officiel et les vrais chiffres ?
L’explication réside dans le changement opéré par la loi du 17 mai 2013, qui transforme les élections cantonales en élections départementales, et modifie leur mode de scrutin, qui est devenu binominal, c’est-à-dire avec deux candidats ensemble et non plus un seul. Comment alors comptabiliser les votes pour les paires de candidats qui ne sont pas du même parti ?
Qu’a fait le ministère de l’Intérieur pour parvenir à 2 % ? Il a rapporté le score des listes autonomes d’EELV à l’ensemble des voix exprimées au niveau national. Ce qui évacue près de deux tiers des candidatures d’EELV qui se sont faites en alliances : sur le millier de canton sur lesquels se présentaient des candidats EELV, seul 337 s’avéraient être des candidatures autonomes. « On utilise un numérateur qui n’a rien à voir avec le dénominateur, cela n’a pas de sens » explique Joël Gombin, chercheur en sciences politique.
Pour lui, la nomenclature du ministère pose problème : « Le nuancier ne permet pas une lecture fine, et majore le score de gros blocs au détriment des sous-ensembles. Il aurait fallu une étiquette par candidats plutôt qu’une étiquette par binôme ».
Car, afin de contourner l’apparente difficulté comptable, le ministère de l’Intérieur a procédé par groupement. Comme l’a pointé Le Monde, près de six désignations différentes ont au total caractérisé les alliances d’EELV, avec les résultats suivants :

L’infographie ci-dessus, réalisée par Reporterre, permet de comprendre le tour de passe-passe opéré par le ministère de l’Intérieur : sur les 395 alliances avec le Front de gauche, 32 seulement ont été in fine comptabilisées sous l’étiquette EELV, soit 8,1%... Cela a permis de « sous-estimer le score du Front de Gauche, effacer le score d’EELV et de rendre invisible les alliances et les rassemblements », selon Éric Coquerel, coordinateur général du Parti de gauche.
Le gouvernement évacue Nouvelle Donne
La manipulation a même été jusqu’à nier l’étiquette à un parti. C’est ce qui est arrivé à Nouvelle Donne, absent de toutes les listes de résultats. Son président, Pierre Larrouturrou, en est scandalisé : « Ces méthodes de voyou ont permis à Manuel Valls de mélanger des chiffres qui n’avaient rien à voir pour dire que tout allait bien. Les électeurs qui ont voté pour Nouvelle Donne n’ont pourtant certainement pas voté pour le Parti socialiste ! ».
Nouvelle Donne, présent dans 31 départements, revendique un score de 5,8 % lorsqu’il est parti sur des listes autonomes, un score qui double presque lorsqu’il s’agit de liste de rassemblement.
Ce parti a décidé de déposer un recours auprès du Tribunal administratif contre le ministère de l’Intérieur : « Nous sommes reconnus comme un parti à parti entière par la Commission des comptes, nous avons une député. Il faut absolument empêcher le même scénario pour les prochaines élections, à savoir les régionales », nous dit Pierre Larrouturrou.
Le PS veut l’éclatement d’EELV
L’intérêt du Parti Socialiste à cette supercherie est double. Elle masque la réalité de son affaiblissement pour le reporter sur ses possibles rivaux : « Balkaniser l’offre alternative au PS permet de faire croire qu’elle n’existe pas, qu’elle n’est pas audible, etc. C’est une condition importante du récit politique qu’essaye de construire Manuel Valls », dit David Cormand, spécialiste des élections à EELV.
Mais il s’agit aussi, dans un contexte de rupture voire de scission au sein d’EELV, de renforcer l’opposition des deux blocs qui semblent s’y dessiner : d’un côté, les partisans de la participation au gouvernement font valoir que les meilleurs résultats des écologistes sont à mettre au crédit des alliances avec le Parti Socialiste. De l’autre, ceux qui tirent vers un rassemblement avec les forces du Front de gauche et de Nouvelle Donne estiment que la dynamique s’est dirigée vers ces listes communes.
En valeur absolue des voix exprimées – en tenant compte du fait que les alliances avec le Front de Gauche étaient trois fois plus nombreuses qu’avec le PS – le score final d’EELV reflète le dilemme face auquel il fait face, comme le démontre le schéma ci-dessous :

Il indique que, sur 1 580 000 voix recueillies par EELV seul ou en alliance,
- 33,7 % l’ont été dans une alliance avec le Front de gauche ;
- 31,4 % dans une alliance avec le PS ;
- 3,3 % dans une alliance avec le PS et le PC ;
- 27,5 % dans une candidature autonome.
Pour le second tour, EELV n’a plus grand chose à attendre, avec moins d’une centaine de cantons où il sera présent au second tour demain, et pour la très grande majorité d’entre eux en alliance avec le Parti Socialiste – seules les territoires de Grenoble, Bordeaux et Rouen semblent présenter encore un intérêt.
Après le second tour, entre rumeurs de retour au gouvernement et menace d’une scission d’EELV, le parti écologiste devrait vivre des heures mouvementées. Et d’autant plus que le PS attise le feu : dans un communiqué vendredi, il annonce une rencontre avec les écologistes, dès lundi 30 mars, pour parler « unité de la gauche ».