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ReportageCulture et idées

Contre l’écoanxiété, une nouvelle vague d’humoristes engagés

Le rire contre l’écoanxiété : c’est la recette du Greenwashing Comedy Club, collectif «nomade» d’humoristes.

Au Greenwashing Comedy Club, à Paris, on rigole du chaos climatique… et on en profite pour « sensibiliser », expliquent les humoristes qui s’y produisent.

Paris, reportage

Sous la lumière tamisée, Anne et Rafaella accueillent les spectateurs du Greenwashing Comedy Club avec la question « Ça va les écoterroristes » ? Elles n’ont pas besoin de chercher loin pour trouver l’inspiration pour leurs blagues. « La COP28 présidée par le patron d’une compagnie pétrolière – c’est quoi ça ? Je bosse de ouf pour faire des blagues mais la vie fait des meilleures blagues que moi », rigole Rafaella, comédienne de 29 ans.

Rire contre l’écoanxiété, c’est la recette de ce collectif « nomade » d’humoristes à Paris. Trois fois par mois, il joue dans des « lieux écolos », comme l’Académie du climat ou le Hoba, à Paris. « Il y a de plus en plus de demande, bientôt on va jouer lors d’un évènement d’Extinction Rebellion », souligne Anne Dupin, 35 ans. C’est elle qui est à l’initiative de ce groupe, tournant, de stand-up. Le 27 janvier, c’était leur première de la saison à l’Académie du climat, et Reporterre y était.

Trois fois par mois, le collectif joue dans des « lieux écolos », comme l’Académie du climat ou le Hoba, à Paris. © Greenwashing Comedy Club

Dans une petite pièce nommée « la Buvette », une trentaine de personnes s’installent sur des bancs de brasserie, des canapés en cuir et des chaises en bois. Les humoristes se lancent dans un petit jeu : ils proposent un mot et le public doit crier « green » si c’est écolo ou « bouuh » s’il s’agit de greenwashing. Exemple : les pâquerettes ? « Green. » Macron qui fait réparer son micro-onde dans un repair store ? « Bouuh ». Le nucléaire ? Petite hésitation, puis on entend quelques « bouuh ».

Le trio de base, composé d’Anne, de Nicolas et de Rafaella, est accompagné ce soir-là par d’autres humoristes. « Soit on choisit des gens très engagés dans l’écologie, soit des gens intéressants mais pas du tout engagés ou écolos », dit Anne Dupin, car « l’humour, c’est aussi la réflexion et la provocation ». Bien sûr, les blagues sexistes, anti-LGBT (lesbiennes, gays, bi et trans) ou globalement discriminantes sont proscrites. « Si tu es une personne trans, tu ne vas pas te sentir agressée chez nous », dit Nicolas Benoit, 25 ans. Et pourtant, il souligne que l’idée du Greenwashing Comedy Club n’est pas de convaincre, « mais de se sentir à l’aise ». Et cela vaut pour les spectateurs comme pour les humoristes. « Mon but est de faire rire les gens. Si par hasard ça fait réfléchir, c’est cool », souligne Nicolas.

Avril, qui monte sur scène, ne s’intéresse pas spécialement à l’écologie : « Je ne connaissais pas l’Académie du climat, mais voilà pourquoi je suis là : on a besoin d’un blanc centriste. Oui, je suis de droite pour faire chier les autres », explique-t-il. Sous le rire des spectateurs, il continue : « Avez-vous remarqué qu’il y a “ment” dans le mot “gouvernement”  ? Vous n’avez pas vu la loi sur la transition énergétique ? »

Alev est « écolo sans faire exprès ». Parisienne aux origines turques, elle est humoriste depuis cinq ans. « Normalement, je n’ose pas de faire de blagues écolos parce que c’est très dur comme objet », dit-elle. Ce soir, elle ose quand même. Sur scène, elle raconte comment sa voisine a découvert l’écologie pendant le confinement : « Un jour, elle vient chez moi, dans ma chambre de bonne de 15 m², avec des toilettes partagées et elle dit : “Ohh ! c’est so écolo, t’as trop raison, en fait c’est un appartement participatif.” »

Charles, étudiant en science et philosophie, assiste pour la première fois à un spectacle du Greenwashing Comedy Club. Le jeune homme ne se définit pas comme écoanxieux, car il « travaille dans la science », alors il est « dans l’action ». Verdict, après le spectacle ? Il a bien rigolé : « Les blagues sont très originales. »

« La représentativité dans l’humour est assez basse »

En faisant des blagues sur l’écologie, le féminisme, le racisme ou le capitalisme, les membres du Greenwashing Comedy Club s’inscrivent dans un genre d’humour bien particulier, le « stand-up engagé ». Cela détonne : « Il y a des professionnels comme Guillaume Meurice sur France Inter qui parlent de politique ou d’engagement mais en plateau, il n’y a pas grand-chose », dit Anne. De plus, le stand-up étant un milieu majoritairement masculin, les blagues discriminantes sont nombreuses, explique le comédien Nicolas, membre du Club. « La représentativité dans l’humour est assez basse », ajoute le jeune homme.

© Greenwashing Comedy Club

« Je suis humoriste depuis cinq ans et j’ai toujours fait de l’humour engagé », dit Anne. Elle a découvert de nombreux lieux d’expression à taille humaine, comme le Barbès Comedy Club, à Paris, qui « permet aux gens de progresser », dit-elle à Reporterre. Il y a un an et demi, elle a voulu créer un plateau pour « le monde des écolos » : le Greenwashing Comedy Club, un club « écofriendly et sans trace d’écoanxiété ». « Quand tu entends chaque jour des actus négatives sur le climat, ça aide beaucoup de rigoler », explique la comédienne Rafaella. Depuis un an, la Parisienne de 29 ans se produit sur scène. Le reste du temps, elle est « consultante pour des investisseurs qui veulent baisser leur empreinte carbone », dit-elle. Écoanxieuse elle-même, Rafaella l’admet : « Écrire des blagues sur l’écologie m’aide aussi quand je suis stressée à cause du réchauffement climatique. »

« L’idée, c’est quand même un peu de sensibiliser »

Comment trouver des blagues non anxiogènes ? « Ce n’est pas très marrant comme matériau de base, c’est vrai », reconnaît Nicolas, qui n’est humoriste que depuis quelques mois. « J’ai quitté mon travail de journaliste pour réaliser ce rêve secret », raconte-t-il.

L’objectif est-il d’influencer le public ? « Si tu as décidé de venir à une soirée Greenwashing Comedy Club à l’Académie du climat, tu es a priori déjà sensibilisé », dit Rafaella. « L’idée, c’est quand même un peu de sensibiliser », assure quant à elle l’initiatrice Anne. Pour l’humoriste baptisée « Poulet de feu », « c’est une espèce de cocon où je sais que je vais me sentir plus à l’aise. » Étudiante en théâtre, la jeune femme de 23 ans fait du stand-up depuis un an et dit préférer ce public « plus sensibilisé et LGBTfriendly » que les autres. Et elle voit du changement : « Le nombre de stand-ups qui traitent par exemple le sujet du végétarisme ou du véganisme grandit exponentiellement depuis un an », affirme-t-elle. « Il y a clairement une tendance à aborder ces sujets écolos car ils sont devenus une partie de notre quotidien. Et dans le stand-up, tu parles de ta vie. »

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