Guillaume Meurice : « Je suis optimiste, car le vieux monde est en train de crever »

Guillaume Meurice dans les locaux de l'émission « Par Jupiter ! » sur France Inter, à Paris, en janvier 2022. - © Mathieu Génon/Reporterre
Guillaume Meurice dans les locaux de l'émission « Par Jupiter ! » sur France Inter, à Paris, en janvier 2022. - © Mathieu Génon/Reporterre
Durée de lecture : 15 minutes
Culture et idéesParents militants à Greenpeace, Noël Mamère, combat contre les delphinariums... L’humoriste et chroniqueur Guillaume Meurice se présente à la présidentielle dans un nouveau spectacle. L’écologie, mêlée à l’humour, y occupe une place de choix.
Guillaume Meurice est humoriste et chroniqueur de l’émission « Par Jupiter ! » sur France Inter. Il est actuellement en tournée dans toute la France pour présenter son nouveau spectacle « Meurice 2022 ». Il a également créé un podcast « Meurice recrute » où il fait passer des entretiens aux membres de son gouvernement idéal. Reporterre l’a rencontré pour parler d’écologie, de ses parents militants à Greenpeace, de son combat contre les delphinariums. Et de l’humour comme remède à la déprime !
Reporterre — Votre spectacle « Meurice 2022 » est une parodie de meeting politique. Vous y incarnez un candidat à l’élection présidentielle, et vous parlez beaucoup d’écologie. Pourquoi avoir fait ce choix ?
Guillaume Meurice — La thématique écologique est présente dans la campagne actuelle. Et comme la plupart des candidats ont des propositions au mieux timides, au pire absurdes, c’était facile de m’en emparer pour les caricaturer. Et, sans spoiler le spectacle, ça me paraissait aussi logique de terminer là-dessus, parce que l’écologie est évidemment un enjeu majeur.
Pourtant ce n’est pas du tout la thématique qui ressort le plus dans le débat...
C’est vrai, pour l’instant. On sent que la plupart des candidats ne sont pas à l’aise avec l’écologie, puisque cela implique de remettre en cause le système économique, le capitalisme. C’est plus facile de dire « On va parler des Arabes ! » (rires). Mais il faudrait que les candidats commencent par ça. C’est un système qui rend énormément de gens malheureux, qui pérennise des mécanismes de domination dégueulasses. On voit bien que son but est d’accaparer les richesses pour quelques multinationales. Le constat n’est pas très compliqué à faire et les solutions ne seraient pas très compliquées à mettre en place non plus, mais il faut du courage politique. C’est ce qui manque le plus.

Dans votre spectacle, vous vous moquez des petites mesures écolos, comme la réduction de la taille des touillettes pour le café. Quel regard portez-vous sur la politique climatique menée par le gouvernement depuis cinq ans ?
C’est un scandale total. Pire, c’est de l’hypocrisie. À la limite je préfère un gouvernement qui dirait « On ne fait rien, parce qu’on s’en fout », plutôt qu’un gouvernement qui fait croire qu’il agit. C’est vraiment le macronisme dans ce qu’il y a de pire : ils font d’énormes trucs dégueulasses, des micro avancées, et ils ne communiquent que sur celles-ci. Pour eux, l’écologie se résume à la fin des delphinariums, la fin des animaux dans les cirques. C’est malhonnête, et on perd du temps.
Malgré l’urgence de la crise climatique et le manque d’action du gouvernement, le grand public reste assez atone.
C’est un phénomène cognitif connu : dès que la responsabilité est diluée, on agit moins. C’est le même principe quand tu vois quelqu’un se faire agresser dans la rue. Si tu es seul, tu interviens. Mais dès qu’il y a quatre ou cinq personnes autour, tout le monde commence à se regarder pour savoir qui y va. Et s’il y a 10 000 personnes autour, tu n’interviens plus du tout, parce que la responsabilité se dilue.
« La mesure la plus urgente, c’est la fin de l’élevage intensif »
Et puis, quoi faire ? Tout le monde se demande quelle est la solution la plus efficace. Je pense qu’il n’y en a pas qu’une seule, que tout se complète. Je n’aime pas les bagarres de stratégies au sein de ces mouvements. S’il n’y a que des Zad [Zones à défendre], qui essayera de retranscrire les avancées dans les lois ? Et s’il n’y a pas de Zad pour pousser les parlementaires et leur mettre la pression, ça ne marche pas non plus. C’est la complémentarité de tous les modes d’action qui convient. Les marches climat, c’est très bien aussi, ça va dans le bon sens. On n’a plus le temps pour faire la fine bouche.

Guillaume Meurice président, quelle serait votre première mesure écolo ?
Ah, la première, c’est dur. En plus, c’est une question que je pose aux gens, alors je n’ai pas l’habitude qu’on me la pose à moi. (Hésitation) La mesure la plus urgente, c’est la fin de l’élevage intensif. Il y a vraiment des êtres vivants à sauver immédiatement, tout de suite. Bon, après, il faudra en prendre une autre le lendemain ! (rires)

Et votre ministre de la Transition écologique ?
Je fais un podcast là-dessus en ce moment, où je recrute des ministres. J’ai pris Camille Etienne [militante écologiste]. Elle est fortiche, elle ne se laisse pas démonter. J’avais adoré ce qu’elle avait fait au Medef, devant tous les vieux mâles blancs qui se moquaient d’elle. Elle ne s’était pas démontée. Je l’avais trouvée vraiment courageuse.
Quand je l’ai rencontrée, elle sortait d’un débat avec Laurent Alexandre, elle avait les larmes aux yeux. Je pense qu’il ne faut plus parler à ces gens-là. Tu es sur le Titanic et Laurent Alexandre, c’est le gars qui dit : « Des icebergs ? Hum, je ne suis pas sûr. » Donc on va inviter des gars comme lui, avec en face des personnes qui disent qu’il faut tourner face aux icebergs, et on va donner cinq minutes de temps de parole à chacun ? Non ! C’est parce qu’on a trop écouté des gens comme eux qu’on en est là. Il faut leur dire de se taire.
Dans l’idéal, d’ailleurs, il ne faudrait pas juste une ministre de l’Écologie, puisque l’écologie devrait être dans tous les ministères. Donc je prendrais Camille Etienne comme Première ministre !
Comment êtes-vous arrivé à l’écologie ? Votre famille était écolo ?
Je n’ai vraiment pas de mérite, j’ai des parents écolos de la première heure, quand ce n’était pas à la mode, et que tout le monde leur disait « On s’en fout de l’écologie ! » (rires). Ils faisaient partie des premiers adhérents à Greenpeace. J’ai grandi en Franche-Comté, vers Vesoul. À l’époque, on faisait des manifs contre le canal Rhin-Rhône. Je ne comprenais pas tous les enjeux, pour être honnête, mais je baignais quand même dans cet univers culturel : le respect de la nature, aller aux champignons, respirer la bonne odeur de la forêt le dimanche. J’ai grandi à la campagne, la campagne profonde. Mais quand t’es gamin et surtout ado, tu as tendance à être en rébellion contre tes parents. Donc au bout d’un moment, ça m’a un peu saoulé. Je m’amusais à leur dire « Non mais l’écologie, on s’en fout ».
En 2002, quand il y a eu la fameuse élection présidentielle, j’étais étudiant à l’IEP [Institut d’études politiques] d’Aix-en-Provence. Les candidats à l’élection passaient tous présenter leur programme, dont Noël Mamère. J’avoue que son discours m’avait convaincu. Je me souviens même d’une discussion avec mes parents, où je leur avais dit après « Bon, OK, je comprends votre combat ». Je me souviens de ce moment où je m’étais dit « Ah, mes parents ne disent pas que des conneries, en fait » (rires). Grâce à Noël Mamère ! Voilà, merci Nono, si tu nous lis.

Quelles sont vos inspirations et vos lectures du moment ?
Un des livres que je conseille le plus, c’est L’entraide : l’autre loi de la jungle (éd. les Liens qui libèrent, 2017) de Pablo Servigne. Pas seulement sur l’aspect écolo, mais aussi le côté coopératif plutôt que compétitif. On s’aperçoit qu’on est dans un monde basé sur la compétition, qui n’est jamais remis en question. Je suis arrivé à Pablo Servigne en lisant le généticien Albert Jacquard. Il a fait un livre qui s’appelle Halte aux jeux !, sur la compétition, l’absurdité de classer des individus dans un ordre hiérarchique. Depuis tout petit, on nous dit « Il faut jouer des coudes, il faut essayer d’avoir les meilleurs postes, les meilleurs classements » et on ne se rend pas compte que c’est la coopération qui fait qu’on reste des êtres humains et même, tout bêtement, qu’on survit. Pablo Servigne en parle très bien, il est assez pédagogique, pas du tout technique. Et ça, ça m’a vraiment plu, plus que son côté collapsologue, un concept que je trouve intéressant mais assez démobilisateur.
Je conseille aussi les ouvrages de Philippe Bihouix. Il est très critique sur la technologie sans être réac, sans dire « C’était mieux avant ». Il arrive à avoir un discours inspirant sur ce qu’on pourrait faire de cette technologie, au lieu d’en faire encore une fois un outil de compétition. En faire vraiment un outil de réduction du temps de travail — ce qui est quand même précisément le but à la base !

Vous êtes devenu végétarien après le Salon de l’Agriculture en 2015. Racontez-nous.
J’étais au Salon de l’Agriculture pour une chronique, et j’ai vu une gamine qui caressait une vache, avec des étoiles dans les yeux. Elle me disait, « Oh elle est trop belle, la vache » et je lui ai demandé : « Tu es en train de caresser un animal que tu vas manger, est-ce que ça te fait pas bizarre ? » (rires). Après, j’ai culpabilisé. Je me suis demandé si je devais diffuser ce son. J’ai décidé de le faire, mais de ne plus jamais manger de viande. Ce n’était pas un déclic, je m’en suis surtout servi comme un prétexte, parce que j’avais une énorme contradiction : défendre les animaux, et quand même les massacrer pour les manger dans des sandwiches (rires). J’ai d’autres contradictions, je ne suis pas vegan. Sur ce sujet, je conseille tous les livres d’Insolente Veggie qui reprend et retourne tous les arguments des carnistes avec humour. C’est jouissif.
En France, massacrer des animaux par paquets de mille, c’est associé à la joie de vivre et au bon goût français. C’est absurde. Je me souviens m’être frité avec Éric Dupond-Moretti avant qu’il ne soit ministre de la Justice. Il était venu dans notre émission et on avait parlé de la corrida, avec des arguments vraiment nuls. C’est de la paresse intellectuelle de dire « Ça a toujours existé donc on continue ». On se pose, on réfléchit, et si c’est idiot, on fait autrement, non ?

En tant qu’écolo, quels sont vos plus gros renoncements ?
La viande ! Même si ce n’était pas non plus un énorme renoncement. Je n’ai jamais été très voyage... Bon, je vous dis ça, mais je reviens de Norvège, donc c’est un mauvais exemple (rires). Mais j’en fais vraiment très peu et je n’ai pas l’impression d’avoir renoncé à grand-chose. En plus, on a de la chance d’habiter en France, où on peut se faire plaisir assez rapidement en train. C’est aussi une question d’éducation. Mes parents m’ont toujours appris que ce n’était pas la peine de suivre le troupeau. Qu’on pouvait faire ses propres choix et les assumer après. C’est une richesse d’avoir ça dans son bagage quand on part dans la vie.
« Il faut faire ce à quoi rechignent les forces de gauche et les écolos : du spectacle »
L’humour est-il un bon moyen pour sensibiliser les gens à la crise climatique ?
Oui sûrement. Il y a toujours un côté donneur de leçons quand on parle de ce sujet. Par exemple, j’ai posté des photos de Norvège sur Instagram et il y a des gens qui m’ont dit « Ça ne sert à rien de donner des leçons si tu prends l’avion ». Et ils n’ont pas tort. Mais les gens qui essaient de se bouger sont systématiquement soumis au feu roulant de leurs propres contradictions. Le capitalisme ne supporte pas qu’on se batte contre lui avec ses propres armes. Donc, l’humour, ça permet de sortir de ce paradigme. C’est une sorte d’aïkido mental : se servir de l’adversaire et de ses arguments pour les retourner contre lui. Ça permet d’éviter de passer pour un donneur de leçons.
J’ai grandi avec « Les Guignols de l’info », ça me faisait marrer. Je savais que c’était réducteur et caricatural, bien sûr, mais c’était une porte d’entrée vers ce qui se passait dans le monde.
Les gens vous remercient-ils après certaines de vos chroniques ?
Tous les jours ! (Rires) Je reçois des mels du type « Je n’ai jamais su quoi répondre à mon oncle — sur la viande notamment — et tu m’as filé quelques bonnes punchlines que j’ai pu reprendre et lui balancer, ça m’a fait du bien ». Je trouve chouette de pouvoir servir à ça.
Comment rester calme face à l’absurdité de certaines réponses des gens que vous interrogez pour vos chroniques ?
Je m’attends souvent à certaines réactions. On a tous ce tropisme de répéter des choses que l’on a entendues sans aller vérifier la source. Ce sont les biais de confirmation. Si tu regardes CNews pendant dix heures, tu vas penser que le problème en France, ce sont les Arabes. Même si tu habites dans le Vercors... Donc l’enjeu du moment serait d’avoir un média puissant, une sorte d’anti-CNews. Mais pour cela, il faut faire ce à quoi rechignent les forces de gauche et les écolos : du spectacle. C’est quelque chose qui est considéré comme sale. Alors que la télé, c’est du spectacle, c’est une mise en scène. Comme un théâtre. Un média qui ne passerait pas à côté de l’aspect spectaculaire pourrait être intéressant. Car pour donner envie aux gens de regarder, il faut de la mise en scène.

Êtes-vous optimiste ?
Oui je suis optimiste, car le vieux monde est en train de crever. C’est ma théorie de la bête blessée dans le fossé. Il n’y a rien de plus dangereux qu’une bête qui est en train de mourir et c’est pour ça qu’on l’entend hurler très fort. Notamment sur CNews. Au moins eux ne se cachent pas : ils assument d’être racistes. Les autres diront « Je crois qu’il y a un problème avec la laïcité en France » (sourire). C’est le même délire, sauf qu’ils n’utilisent pas les mêmes mots. Je pense qu’ils sont au courant que le système est en train de crever. Et c’est pour ça qu’ils sont dangereux.
À la fin de votre spectacle, une chanson invite à plus de radicalité pour changer le monde politique. Dans votre vie personnelle, avez-vous envie d’aller plus loin que les chroniques et les spectacles ?
Quelles seraient les opportunités ? Faire de la politique ? S’engager dans un parti ? Mais lequel ? Car il faut faire des compromis, forcément. Ou alors créer son propre parti ? Dans ce cas, tu rajoutes de la division à la division. Pour l’instant, j’arrive à m’amuser tout en essayant d’avoir un discours le plus proche de ce que je pense. Je ne sais pas de quoi sera fait l’avenir. Est-ce que j’aurais envie de faire autre chose ? C’est possible oui. Peut-être journalisme ? Essayer de gratter un poste à Reporterre ? (Rires). J’essaye aussi d’aider au maximum les associations qui travaillent sur le terrain. Je suis parrain d’une association, C’est Assez !, qui militait pour la fermeture des delphinariums. J’ai coécrit un documentaire sur un sanctuaire qui va être ouvert en Grèce pour accueillir les cétacés. Le documentaire, c’est une forme qui m’intéresse, j’en regarde beaucoup comme Cowspiracy.
Victor Hugo : « Il faut étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait »
Certaines personnes ont tendance à multiplier les engagements pour faire avancer ce qui leur tient à cœur, allant parfois jusqu’à l’épuisement. Est-ce votre cas ?
Pas du tout, je n’ai pas le sens du sacrifice. Je fais les choses parce que ça me plaît. Je peux aller voir une boite de production qui accepte de produire un podcast avec moi car mes chroniques à la radio marchent bien. Donc je me dis faisons-le maintenant, sinon je vais regretter. J’ai lancé un groupe de musique avec des copains : du rock macroniste. Je fais ça pour m’amuser et parce que j’en ai l’opportunité. Maintenant, si l’on me dit que dans deux ans, je ferai des pizzas et serai heureux, je signe (rires). Je pense qu’il faut faire les choses de manière désespérée, au sens philosophique du terme. Si tu agis dans l’optique de faire bouger les lignes, il y a de fortes chances pour que tu sois déçu. L’humanité a une inertie terrible. Souvent, ce n’est même pas de notre vivant qu’on voit les effets de nos luttes.
L’humour peut-il être un remède à la déprime climatique ?
Cela permet de mettre à distance la réalité. Quand il arrive une catastrophe, en faire une blague permet de dire au réel : « Tu ne me fais pas peur. Regarde, je peux me moquer de toi et qu’est-ce que tu vas faire ? » J’aime beaucoup la phrase de Victor Hugo : « Il faut étonner la catastrophe par le peu de peur qu’elle nous fait. »
Peut-on être écolo et heureux ?
Oui, évidemment. Tu es heureux si tu essaies d’améliorer les choses autour de toi. Et surtout, il ne faut pas désespérer parce qu’il ne faut pas espérer (rires).