Contre le réchauffement climatique, laissons le pétrole dans le sol

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Climat ÉnergieGeler l’exploitation des énergies fossiles est un moyen essentiel pour réduire les émissions de gaz à effet de serre. Pourtant cette idée, née dans les pays du Sud il y a vingt ans, n’est pas même discutée par les négociateurs de la COP, où l’expression « énergie fossile » a déjà disparu de l’accord.
Maxime Combes est économiste et membre d’Attac France. Il vient de publier Sortons de l’âge des fossiles ! Manifeste pour la transition (Seuil, coll. Anthropocène).

Il y a tout juste vingt ans, le 10 novembre 1995, Ken Saro-Wiwa, leader du Mouvement pour la survie du peuple Ogoni (Movement for the Survival of the Ogoni People, ou Mosop), était exécuté par pendaison, en compagnie de huit autres leaders de son mouvement, par le gouvernement nigérian du général Sani Abacha. Cet écrivain, prix Nobel alternatif en 1994, plusieurs fois emprisonné par la dictature nigériane, ne cessait de dénoncer les crimes écologiques commis dans le delta du Niger par des multinationales du pétrole. Shell, qui fait l’objet d’une plainte pour complicité dans l’élimination du militant des droits de l’homme, a accepté de payer 15,5 millions de dollars en juin 2009 pour ne pas être jugé devant la justice états-unienne.
Quelques semaines après la mort de Ken Saro-Wiwa, les organisations écologistes Amis de la Terre Nigeria (Environmental Rights Action) et Acción Ecológica en Équateur se retrouvent à Lago Agrio, dans la partie de l’Amazonie équatorienne dévastée par les agissements de Texaco depuis plusieurs dizaines d’années. Ils y fondent le réseau international Oilwatch, regroupant des organisations du Sud en lutte contre l’extraction pétrolière. C’est de cette réunion que provient l’idée consistant à « laisser le pétrole dans le sol », une exigence qui sera mise en avant tout au long de la période préparatoire de la conférence de Kyoto (1997, COP 3).
En bonne place dans les préconisations des climatologues
Alors que les États négocient un accord international de réduction des émissions de gaz à effet de serre, ces organisations de pays du Sud proposent un moratoire international sur toute nouvelle exploration et exploitation d’énergies fossiles. Les dévastations engendrées par l’exploitation pétrolière sur les territoires n’ont-elles pas les mêmes causes structurelles que le réchauffement climatique, demandent-elles ? Tout en ajoutant que le régime d’impunité dans lequel évoluent les multinationales du pétrole leur permet d’en exploiter toujours plus, sans tenir compte du climat, de l’environnement, des territoires et des populations locales. Geler les réserves de pétrole leur apparaît donc comme une mesure qui peut faire d’une pierre deux coups.

Cette proposition sera complètement ignorée par des États désireux de minimiser leurs engagements, et par une majorité d’ONG focalisées sur les objectifs de réduction d’émissions de gaz à effet de serre et peu disposées à écouter ces organisations du Sud. Elle constitue néanmoins une avancée majeure en tant qu’initiative préconisant d’instaurer des régulations écologiques effectives au niveau international, limitant et contraignant les activités d’extraction des multinationales. Alors que les habitants de la planète sont dépossédés du droit de déterminer leur avenir énergétique, cette proposition de moratoire international consiste, ni plus ni moins, à retirer des mains des multinationales de l’énergie et des États producteurs le pouvoir de décider des gisements à exploiter.
Réincarnée dans le projet porté par les organisations écologistes et indigènes équatoriennes consistant à geler les réserves des gisements ITT du parc national Yasuni, la proposition consistant à introduire des formes de restrictions, de moratoire ou d’interdiction à l’exploration et l’exploitation des énergies fossiles se retrouve aujourd’hui en bonne place dans les préconisations des climatologues. Avec un raisonnement aussi simple que juste : pour rester en deçà de 2 °C de réchauffement climatique mondial d’ici à la fin du siècle – ou mieux 1,5 °C – il faut apprendre à vivre en laissant dans le sol des ressources fossiles dangereusement surabondantes.
Soif de profits et désirs de puissance
La dernière étude en date, celle de Christophe McGlade et Paul Ekins, de l’University College de Londres, publiée dans la revue Nature du 8 janvier 2015, propose que toutes les réserves d’hydrocarbures non conventionnels (pétrole et gaz des grandes profondeurs océaniques, pétrole et gaz de schiste, sables bitumineux, hydrocarbures des régions arctiques, etc.), sur lesquelles se précipitent États et multinationales, soient classées comme « non brûlables ». Ils proposent ainsi une forme de moratoire international sur toute nouvelle exploration et mise en exploitation d’énergies fossiles.
En plus de vingt ans de négociations de l’ONU sur le changement climatique, il n’a jamais été question de laisser tout ou partie des réserves d’énergies fossiles dans le sol. Aucun État, aucune multinationale et aucune institution internationale ne propose de limiter à la source la production de charbon, de gaz et de pétrole. Au contraire, ils les exploitent sans limites, avec avidité pour assouvir leur soif de profits et leurs désirs de puissance, en faisant miroiter les promesses matérielles de leur course au productivisme.
À la veille de la clôture de la COP 21, il est donc cruel de constater qu’une telle proposition n’ait toujours pas franchit l’enceinte hyper-sécurisée des négociations : le mot énergies fossiles ne figure même pas dans le texte ! Pour désamorcer la bombe climatique, c’est pourtant bien en s’appuyant sur ces exigences, notamment portées par les groupes mobilisés contre l’exploitation des hydrocarbures et pour le désinvestissement des énergies fossiles, qu’il faudrait s’appuyer. C’est la tâche à laquelle nous devons nous atteler dans les semaines et mois à venir.