BNP, EDF et Chevron champions de l’hypocrisie, selon les ONG d’environnement

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Les prix Pinocchio ont été décernés par plusieurs ONG écologistes jeudi 3 décembre. Ces prix ciblent les compagnies championnes de l’éco-blanchiment. Lauréats de cette année : la banque BNP-Paribas, l’électricien EDF et le pétrolier Chevron.
Pinocchio : ce petit garçon a un air innocent et sympathique, une multinationale l’aurait volontiers choisi pour une campagne de communication. Les Amis de la Terre, eux, l’ont élu pour son nez qui s’allonge, s’allonge, s’allonge, quand il raconte trop d’histoires inventées… Jeudi 3 décembre au soir, la cérémonie de remise des prix Pinocchio a couronné trois poids lourds du monde de l’énergie : l’électricien EDF, la banque BNP Paribas et le pétrolier Chevron. EDF et BNP-Paribas sont des sponsors de la COP21, la Conférence climat de l’ONU qui se tient en ce moment au Bourget.
43.000 internautes ont voté pour choisir les lauréats parmi les neuf entreprises en lice. Pour cette spéciale climat, étaient ciblés « les entreprises multinationales dont les activités ont un impact direct sur le climat et les communautés à travers le monde, et celles dont l’influence, à travers le lobbying, (…) détruit les politiques climatiques », indiquent les organisateurs : les Amis de la Terre, Peuples solidaires, Corporate Europe Observatory et le Centre de recherche et d’information sur le développement.

Sur la scène de la Flèche d’Or, dans le 20e arrondissement de Paris, deux acteurs présentent la soirée façon Oscars. La salle est pleine, l’ambiance chaleureuse. Seule différence, les lauréats ont été invités, mais ont curieusement décliné…
L’énergie nucléaire, « décarbonée » ?
Le premier prix décerné est celui du greenwashing (éco-blanchiment). « C’est un peu comme si Dominique Strauss-Kahn devenait moine », tente d’expliquer le présentateur sous les rires de la salle. Les nominés sont les deux géants français de l’énergie EDF et Engie, ainsi que le leader mondial des engrais de synthèse Yara. Et le prix est remis à… EDF !
Le géant français de l’électricité « utilise son statut de sponsor officiel de la Conférence internationale sur le climat (COP21) pour lancer une campagne publicitaire à grande échelle vantant les vertus du nucléaire comme énergie « propre » et « sans CO2 », dénoncent Les Amis de la Terre. Or, l’extraction de l’uranium nécessaire à l’énergie nucléaire « requiert des quantités considérables d’énergie et entraîne donc des émissions importantes de gaz à effet de serre, poursuit le rapport. (…) Le bilan carbone du nucléaire peut se révéler dans certains cas supérieur à celui de certaines sources fossiles. »
L’électricien se définit pourtant comme « partenaire officiel d’un monde bas carbone », via une série de publicités diffusées dans les grands quotidiens. « Dans ces messages, EDF ne parle jamais de nucléaire, il met en avant les renouvelables. Or en France, si on enlève les grands barrages, les renouvelables ne représentent que 0,2 % du mix électrique », rappelle Charlotte Mijeon de l’association Sortir du Nucléaire.
« Pendant la COP 21 notre objectif est de montrer que l’électricité décarbonée réduit la dépendance de nos sociétés aux énergies fossiles, répond EDF à Reporterre, qui l’a interrogée dans l’après-midi. Notre campagne pour la COP21 s’appuie sur des faits : nous sommes le leader européen des énergies renouvelables et nous avons l’intention de doubler nos capacités dans le monde d’ici 2030. »
« EDF cherche surtout à légitimer les investissements dans le nucléaire, tempère Charlotte Mijeon. Il est prévu un programme d’au moins 55 milliards d’euros pour prolonger la vie des centrales à 40 ans. Mais chaque euro investi dans le nucléaire, c’est autant qui ne va pas dans les renouvelables. »
Une banque française bien placée dans le charbon
Deuxième prix, celui de l’impact sur les populations locales. Anglo American (grosse entreprise minière), Shell et BNP Paribas sont les nominés. C’est cette dernière qui remporte le prix. Elle aussi a pu devenir sponsor de la COP 21, pour la somme de 250.000 euros, selon l’enquête d’ATTAC. « Pour eux, c’est de l’argent de poche », précise Maxime Combes, auteur de la note.
« Cela n’empêche pas BNP-Paribas d’avoir augmenté ses financements dans le secteur du charbon entre 2005 et 2013 », note Lucie Pinson, en charge du dossier aux Amis de la Terre. Elle cite le rapport publié mercredi en collaboration avec l’ONG Bank Track : la BNP Paribas est la première banque française pour le financement du charbon, la quatrième dans le monde.
« Par exemple la BNP a financé la gigantesque centrale à charbon Tata Mundra, sur la côte nord ouest de l’Inde, poursuit la chargée de campagne. Elle prétendait apporter l’électricité aux populations locales. En fait, elle n’est pas rentable et a fait augmenter le prix de l’énergie, sans parler des conséquences environnementales. »
Le même scénario est en train de se répéter en Afrique du Sud, où les troisième et quatrième plus grosses centrales à charbon du monde sont en train de se construire. « La totalité des grandes banques françaises, dont la BNP, ont en fait participé au financement de ces projets », regrette Lucie Pinson. En plus de l’impact climatique, « les conséquences sur place pourraient être catastrophiques, craint Tristen Taylor, de l’ONG Earthlife Africa, qui lutte contre le projet depuis le début. Il y a d’abord les quantités d’eau utilisées qui sont énormes et renforcent les problèmes de sécheresse. Et puis la Banque mondiale avait mis, comme condition au financement de ces centrales, qu’elles limitent leurs rejets toxiques dans l’atmosphère. Mais pour l’instant il n’est pas prévu de les équiper pour cela. »
Chez BNP, la réponse du service de presse est en désaccord : « Nous en avons déjà discuté avec les ONG, nous ne sommes pas d’accord avec leur système de calcul. Nous avons fait un bilan : dans le mix électrique financé par la BNP, il y a 23,5 % de charbon, alors que dans le mix mondial il y en a 40,4 %. Donc nous sommes en avance. »
Mais qu’en est-il de l’impact sur les populations locales ? « Chez nous un projet doit faire l’objet d’une consultation des populations locales, d’un dédommagement et d’un mécanisme de recours, pour que les habitants puissent faire appel devant des pouvoirs locaux », répond l’attachée de presse.
Enfin, troisième catégorie des prix Pinocchio, celle du lobbying. Chevron est l’heureux « vainqueur ». L’entreprise américaine est dénoncée « pour sa politique très agressive de lobbying pro-gaz de schiste en Argentine », indiquent les organisateurs du Prix (plus d’informations dans l’encadré ci-dessous).
Des lobbys qui « paralysent » la COP
« Le fait que deux de nos lauréats soient des sponsors de la COP 21 est un symptôme", estime Pascoe Sabido, de l’ONG Corporate Europe Observatory. « C’est la partie immergée de l’iceberg, complète Malika Perreault des Amis de la Terre. Cela fait vingt-et-un ans que les négociations climat s’enlisent parce que les gouvernements sont paralysés par les lobbys. » Elle cite les rencontres, soirées et événements qui permettent aux représentants des grandes entreprises de côtoyer les décideurs.
L’exemple le plus significatif étant le World Climate Summit, qui aura lieu ce dimanche 6 décembre. Décrit comme le rassemblement de la finance, du business et des décideurs, il accueillera notamment le ministre des affaires étrangères Laurent Fabius et la maire de Paris Anne Hidalgo. « Tout cela participe à une ambiance générale, où les gouvernements travaillent avec les entreprises plutôt qu’avec la société civile », conclut Maxime Combes.
PLUS DE VINGT ANS DE BATAILLE ENTRE CHEVRON ET DES HABITANTS DE L’AMAZONIE

Chevron est peu connu en France, mais cette compagnie pétrolière états-unienne l’est beaucoup plus en Equateur. Car depuis plus de 20 ans, 30.000 Équatoriens vivant dans la forêt tropicale amazonienne se battent contre elle. Ils accusent la compagnie d’avoir sciemment dévasté leurs terres et leurs vies en rejetant dans la nature les déchets d’exploitation des puits de pétrole, chargés en métaux lourds et très polluants. Chevron a déclaré 19,2 milliards de dollars de profits en 2014, l’équivalent de la moitié du budget de l’Équateur, et refuse obstinément de dédommager les victimes.
L’affaire remonte à l’exploitation par Texaco – racheté par Chevron en 2001 – du million d’hectares de forêt primaire concédés par l’État équatorien entre 1964 et 1990. Alors que des techniques éprouvées permettent de limiter les pollutions dues à l’exploitation pétrolière dans les zones habitées en réinjectant les déchets dans les puits, Texaco les rejetait dans les rivières, les stockait dans des piscines à ciel ouvert non étanches et les utilisaient même pour recouvrir les routes utilisées par ses camions, favorisant ainsi la diffusion dans l’environnement des produits toxiques.
Présenter des excuses publiques
Les plaignants, qui souffrent de cancers et de maladies à cause des eaux polluées, sont défendus principalement par l’avocat équatorien Pablo Fajardo et l’avocat états-unien Steven Donzinger. Leur première plainte collective est déposée aux États-Unis en 1993, puis le procès se déroule en Équateur à partir de 2001 avant de s’internationaliser. Au lieu de reconnaître ses responsabilités dans cette catastrophe écologique et humanitaire, Chevron choisit la stratégie de l’épuisement des plaignants, en déplaçant le procès sur plusieurs fronts et en espérant qu’ils ne pourront pas suivre financièrement.
En 2008, Pablo Fajardo et son collègue Luis Yanza reçoivent le prix Goldman pour l’environnement, ce qui accroît la médiatisation du procès. Chevron y répond par une campagne de relations publiques diffamatoire soutenue pas des personnalités acquises à sa cause.
Le 14 février 2011, 17 ans après la première plainte, le juge équatorien Nicolás Zambrano condamne Chevron-Texaco à payer 8,56 milliards de dollars, la somme passant à 18 milliards de dollars si Chevron ne présente pas des excuses publiques. Cette amende est l’une des plus élevées dans l’histoire du droit de l’environnement, bien supérieure à celle de 4,5 milliards de dollars infligée à ExxonMobil pour la marée noire provoquée par le naufrage du pétrolier Exxon Valdez en Alaska en 1989.
Chevron refuse de payer et contre-attaque aux États-Unis, alléguant que le jugement aurait été remis tout écrit sur une disquette au juge, corrompu par les plaignants équatoriens. Le 9 février 2011, Chevron obtient d’un juge fédéral états-unien, Lewis Kaplan, de la cour de Manhattan, une ordonnance interdisant aux demandeurs de faire exécuter ce jugement équatorien aux États-Unis. Mais, le 26 janvier 2012, la cour d’appel fédérale états-unienne statue que le juge Kaplan n’a pas le pouvoir de bloquer cette exécution.
Chevron n’a toujours rien payé

Le feuilleton judiciaire se poursuit simultanément en Équateur, aux États-Unis et devant la Cour internationale de La Haye. Celle-ci confirme, en mars 2015, la condamnation de Chevron par le juge Nicolás Zambrano. La compagnie attaque alors personnellement l’avocat Steven Donziger, en avril dernier, mais le rapport d’un expert, Christopher Racich, vient infirmer les allégations de Chevron et prouve que le jugement de Nicolás Zambrano a bien été écrit sur ses propres ordinateurs sur une période de quatre mois. En novembre, le principal témoin de Chevron qui accusait le juge Nicolás Zambrano de malversations se rétracte…
Un demi-siècle après avoir conçu des puits de pétrole qui déversaient leurs déchets non traités dans la forêt tropicale, Texaco-Chevron n’a toujours rien payé à ceux qu’il a lésés. Commencés il y a plus de vingt ans, les procès continuent simultanément en Équateur, dans certains pays où Chevron a des actifs, dans des juridictions de nature différentes, certaines des tribunaux d’arbitrage. Petit à petit, pourtant, la multinationale perd du terrain. Les droits des Équatoriens et des pauvres qui se battent contre Chevron et ses semblables seront-ils un jour reconnus ?