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TribuneClimat

Convention climat : C’est le moment de reconnaître le crime d’écocide

Quelles réponses apporter à la crise climatique ? Pour l’autrice de cette tribune, une solution est de créer une Haute autorité des limites planétaires et d’inscrire le crime d’écocide dans la loi. Cette proposition, portée par la convention citoyenne pour le climat, est présentée et défendue ce samedi 20 juin.

Marine Calmet, avocate de formation, juriste en droit de l’environnement est présidente de l’association Wild Legal.


Les mesures issues des réflexions de la convention citoyenne pour le climat (CCC), démarrées en octobre 2019, sont soumises au vote de ses 150 membres réunis du 19 au 21 juin. C’est l’occasion de revenir sur deux propositions phares dont l’adoption pourrait constituer un véritable tournant dans la protection du climat et de la nature : la création d’une Haute autorité des limites planétaires et l’inscription du crime d’écocide dans la loi.

Alors que la CCC a pour objectif de formuler des propositions visant une réduction de 40 % des émissions de gaz à effet de serre françaises d’ici à 2030, ces deux mesures pourraient non seulement apporter une réponse transversale aux enjeux climatiques mais aussi provoquer une refonte de l’ensemble de nos politiques écologiques en misant sur l’adoption d’outils juridiques nouveaux issus de la collaboration entre scientifiques, juristes et citoyens.

Pour comprendre l’historique de ce travail, il est important de rappeler dans quel contexte ces sujets ont été posés sur la table de la CCC. Nous avions présenté, Valérie Cabanes, Paul Mougeolle et moi-même au nom des associations Wild Legal et Notre Affaire à tous, en octobre 2019, une proposition de loi portant sur la reconnaissance du crime d’écocide et des limites planétaires à un groupe transpartisan de députés et sénateurs. Parallèlement à cette initiative, le groupe Socialistes et apparentés de l’Assemblée nationale a déposé une autre proposition de loi sur le crime d’écocide. Nous avions défendu des amendements visant à inclure la reconnaissance des limites planétaires dans leur texte initial, mais ceux-ci furent rejetées par les élus de la majorité présidentielle, ainsi que la proposition de loi elle-même, le 12 décembre 2019.

La société étasunienne Chevron, qui pendant trente ans a déversé les résidus toxiques de l’exploitation des hydrocarbures dans la forêt amazonienne.

Entre temps, les membres de la convention citoyenne pour le climat ont rallumé l’espoir de voir l’initiative aboutir enfin. Valérie Cabanes et moi-même avons été auditionnées pour présenter nos travaux. Convaincu par l’importance du sujet, Guy Kulitza et les 29 membres du groupe « Se nourrir » au sein de la CCC ont ensuite poursuivi cette collaboration fructueuse afin d’aboutir à une proposition argumentée et détaillée en faveur de la reconnaissance des limites planétaires et du crime d’écocide en droit français. Après neuf mois de concertation, cette proposition citoyenne sera donc présentée et défendue ce samedi 20 juin.

Le droit de l’environnement actuel est inefficace pour faire face à la crise écologique

Le besoin de reconnaître juridiquement les limites écologiques de notre système Terre découle du constat que le droit de l’environnement actuel est inefficace pour faire face à la crise écologique et qu’il nous est nécessaire collectivement de préserver l’habitabilité de la planète. Éparpillées dans divers codes de loi et réparties entre différents ministères, les politiques environnementales scindent les écosystèmes en entités distinctes. C’est une approche tronquée et incompatible avec le fait qu’ils sont étroitement liés et interdépendants. La politique climatique en est l’un des meilleurs exemples. Les alertes scientifiques se succèdent, différents scenarii sont mis sur la table pour baisser nos émissions et pourtant le compte n’y est pas. Les mesures sectorielles mises en place sur le court terme n’offrent aucune réponse transversale à la crise climatique et la liberté d’entreprendre brandie par les entreprises et les industriels n’est que rarement contrebalancée par des politiques publiques contraignantes.

Ainsi, face au constat de l’inefficacité de ce modèle juridique, il est nécessaire de proposer de nouvelles solutions qui reposent sur le fonctionnement systémique du vivant et reflètent cette interdépendance globale des écosystèmes.

Or, il est nécessaire de s’inspirer des progrès de la science pour cela. À ce titre, une équipe internationale de chercheurs, menée par Johan Rockström du Stockholm Resilience Centre et Will Steffen de l’Australian National University, a identifié dès 2009 neuf processus et systèmes régulant la stabilité et la résilience du système terrestre et qui garantissent à l’Humanité de se développer et de pouvoir durablement vivre dans un écosystème sûr et stable.

Ces neufs processus, sont appelées « limites planétaires », et sont définis selon des seuils impactant :

  • le changement climatique ;
  • l’érosion de la biodiversité ;
  • les apports d’azote et de phosphore à la biosphère et aux océans ;
  • le changement d’usage des sols ;
  • l’acidification des océans ;
  • l’appauvrissement de l’ozone stratosphérique ;
  • la consommation et l’usage de l’eau douce ;
  • la dispersion d’aérosols atmosphériques ;
  • la pollution chimique.

Lorsque les activités humaines ont pour conséquence le franchissement de ces limites — par exemple en matière climatique, du fait des émissions des gaz à effet de serre — les scientifiques observent que cela a pour effet d’augmenter le risque de générer des changements environnementaux brusques ou irréversibles à grande échelle.

D’ailleurs, le dernier Rapport sur l’état de l’environnement en France, publié par le ministère de la Transition écologique en octobre 2019, énonce « qu’outre le fait de constituer un cadre d’analyse novateur, l’approche inédite des limites planétaires correspond à la nécessité d’actualiser les informations environnementales en offrant aux citoyens et aux décideurs une compréhension plus globale de la situation nationale ».

Or, le ministère reconnaît dans ce même rapport que la France dépasse actuellement six des neuf limites planétaires sur son territoire. Il est donc nécessaire d’établir des règles de gouvernance qui permettraient de revenir progressivement sous ces seuils d’équilibre biologique.

Un juge pourrait sanctionner des agissements ayant pour conséquence le dépassement manifeste d’une ou de plusieurs limites planétaires

Consacrées dans le droit positif, les limites planétaires permettraient d’instaurer une approche écosystémique des politiques publiques et garantiraient que les institutions encadrent efficacement les activités qui menacent les équilibres planétaires.

Pour cela, il est essentiel de se doter d’une autorité indépendante, que nous avons appelée Haute Autorité des limites planétaires, une instance scientifique supra-ministérielle reconnue et compétente pour garantir l’application et le respect des mécanismes biologiques des écosystèmes ainsi que de leurs interactions. Ce nouvel organe permettrait de refondre les anciennes autorités ultra spécialisées et dont la compétence consultative est réduite à peau de chagrin.

Rassemblant des experts scientifiques au sein de neuf collèges, un pour chaque limite planétaire, cette institution se verrait attribuer le contrôle des lois, règlements et programmes, de manière à ce que les décisions publiques fassent l’objet d’un examen de « soutenabilité écologique » systématique et transversal. Des sous-entités pourraient être déclinées au niveau régional afin de s’assurer de la cohérence des plans et programmes ainsi que des projets locaux, vis-à-vis des limites planétaires.

Cette autorité indépendante devra également avoir la compétence pour orienter les entreprises des secteurs les plus polluants dans une refonte de leur modèle d’activité dans le respect du devoir de vigilance, et ainsi établir une stratégie visant à respecter le cadre des limites planétaires.

Pour finir, la création en droit français du crime d’écocide, permettrait de doter le juge d’un outil de prévention et de sanction des activités écocidaires, celles qui portent atteinte gravement à l’équilibre des écosystèmes et menacent ainsi la sûreté de la planète. En s’appuyant sur l’outil des limites planétaires, le juge pourrait alors imposer des mesures conservatoires et/ou punitives pour sanctionner des agissements ayant pour conséquence le dépassement manifeste d’une ou de plusieurs limites planétaires.

Face au constat de l’inefficacité du droit de l’environnement actuel, face aux compromissions économico-industrielles et face à l’urgence écologique et climatique, ces propositions apportent une réponse structurelle pour faire évoluer notre rapport au vivant et notre modèle de gouvernance.

Si ces mesures sont adoptées par la convention citoyenne pour le climat, elles seront ensuite soumises soit à référendum, soit au vote du parlement. Il s’agit donc d’une étape potentiellement historique pour la protection de la nature en France.

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