Crimes contre la nature : « On va mettre fin à l’impunité »

L'incendie de Lubrizol, à Rouen, en 2019. «Les colégislateurs ont souhaité mentionner explicitement le cas des feux de forêts massifs, des pollutions étendues ou des accidents industriels majeurs comme des écocides», dit Marie Toussaint. - © AFP PHOTO /JEAN-JACQUES GANON
L'incendie de Lubrizol, à Rouen, en 2019. «Les colégislateurs ont souhaité mentionner explicitement le cas des feux de forêts massifs, des pollutions étendues ou des accidents industriels majeurs comme des écocides», dit Marie Toussaint. - © AFP PHOTO /JEAN-JACQUES GANON
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L’Union européenne a trouvé un accord de lutte contre la criminalité environnementale. Pour Marie Toussaint, eurodéputée écologiste, ce texte peut être considéré comme une avancée historique.
Le 16 novembre, l’Union européenne a fait un grand pas dans la lutte contre la criminalité environnementale. Les instances européennes ont trouvé un accord sur la révision de la directive visant à protéger l’environnement par le droit pénal.
Ce texte doit permettre de sanctionner plus facilement les dommages graves et étendus ou durables à l’environnement. Il instaure également un régime de sanction harmonisé. Ce compromis doit encore passer quelques étapes, dont la validation en Conseil puis le vote au Parlement européen en décembre ou janvier. Les États auront ensuite 24 mois pour transposer ce texte dans leur droit national.
Marie Toussaint, eurodéputée écologiste, à l’origine de la proposition d’inclure le crime d’écocide dans cette directive, a répondu aux questions de Reporterre.
Reporterre —Vous avez accueilli cet accord européen en le qualifiant de « moment historique ». Pourquoi cette nouvelle directive est-elle si importante ?
Marie Toussaint — C’est l’ouverture d’un nouvel âge du contentieux environnemental. On est en train de se doter d’un texte qui permettra de mettre fin à l’impunité pour les atteintes à l’environnement et de protéger les êtres humains qui pâtissent souvent de ces atteintes : pesticides dangereux pour la santé et dévastateurs pour la nature comme le chlordécone ou le glyphosate, marées noires, accidents industriels majeurs…
C’est un texte de justice, et de protection face à ceux qui détruisent le vivant. C’est un texte qui établit que nous n’autoriserons pas des acteurs à mettre en danger la sûreté de la planète au nom du profit.

J’ai l’espoir que ce texte entraîne également une forme de rupture civilisationnelle. On va passer d’une ère où l’on sanctionnait la violation des législations de protection de l’environnement à une ère où l’on sanctionne les atteintes à l’environnement elles-mêmes.
Ça demande un peu de doigté juridique, au regard notamment de la diversité des systèmes juridiques des États membres, et nous devrons être vigilants sur les transpositions afin que l’ambition du texte soit préservée dans chacun des États. Mais c’est en tout cas la philosophie que nous avons portée et remportée au cours de ces négociations. L’Union européenne reconnaît désormais la valeur intrinsèque de la nature et des écosystèmes et reconnaît que leur porter atteinte doit faire l’objet d’une couverture par le droit pénal.
Cela veut-il dire que jusque-là le crime d’écocide n’existait pas du tout ?
Le crime d’écocide a été reconnu dans un certain nombre d’États, mais jusqu’ici l’Union européenne échappait à cette dynamique, sauf en Belgique où il est en train d’être inscrit dans le droit. Quant aux crimes contre l’environnement, au sens pur du terme, ils ne sont encore condamnés qu’en Italie.
Il faut prêter une attention particulière à l’écocide, terme recouvrant les crimes de grande ampleur, qui menacent l’habitabilité de la vie sur Terre, des crimes tellement graves qu’ils doivent être condamnés au niveau international.
L’enjeu dépasse ainsi l’Union européenne, puisqu’il convient de faire adopter ce crime dans des termes relativement similaires dans une multitude d’États du monde, ainsi que vient de le faire le Chili, pour qu’il puisse être aisément inscrit dans le droit international au niveau de la Cour pénale internationale.
D’où la formulation adoptée dans l’accord européen, qui crée d’une part une « infraction aggravée » dont la définition est quasi identique à celle que nous portons conjointement avec l’Alliance internationale des parlementaires pour la reconnaissance de l’écocide et la Fondation stop écocide, et qui d’autre part précise dans son préambule que dans les cas les plus graves, cette infraction est comparable à l’écocide tel que débattu actuellement au niveau international.
En France, des textes permettent déjà de sanctionner les atteintes à l’environnement. En quoi ne sont-ils pas suffisants ?
Le droit pénal français ne condamne les atteintes à l’environnement que lorsqu’il y a une violation soit d’une législation européenne, soit d’une loi nationale, soit d’une autorisation préfectorale. On ne reconnaît pas encore les atteintes à la nature pour ce qu’elles sont. C’est ce verrou-là que nous avons essayé de lever en modifiant la directive.
« La France aura à modifier son droit »
Nous travaillerons avec les parlementaires nationaux pour que ce verrou puisse être effectivement levé dans le droit français comme dans les autres droits nationaux. Du côté des sanctions, la France fait partie des pays où elles sont les plus élevées à l’heure actuelle. La directive ne modifiera donc qu’à la marge leur niveau.
L’accord impose toutefois à la France de modifier la définition qu’elle a donnée au terme écocide qu’elle a qualifié de délit. Dans le droit français, celui-ci est en effet restreint et restrictif car les conditions à démontrer sont très complexes, comme l’ont déjà commenté de nombreux juristes. La France aura donc à modifier son droit lors de la transposition de cette directive.
Avez-vous des exemples précis de pollutions ou autres qui pourront à l’avenir être sanctionnées alors qu’elles ne pouvaient pas l’être jusque-là ?
Les colégislateurs ont souhaité mentionner explicitement le cas des feux de forêts massifs, des pollutions étendues ou des accidents industriels majeurs comme des écocides. Outre ces crimes les plus graves, d’autres atteintes à l’environnement doivent être couvertes par le droit pénal.
Ainsi en va-t-il par exemple des scandales qui parcourent l’Europe autour des PFAS [Les substances perfluoroalkylées, des polluants éternels] répandus par de nombreuses usines et qui empoisonnent tant les citoyens que la nature, de la vente de produits dangereux pour le vivant ou la santé — cosmétiques ou jouets pour enfants — ou encore de l’exploitation forestière illégale, notamment dans les forêts roumaines.
Quelles sont les sanctions prévues par la future directive et quelle est votre position ?
Le texte prévoit pour les personnes physiques des peines d’emprisonnement allant de 3 à 10 ans et des sanctions additionnelles importantes comme l’obligation de restaurer l’environnement.
Ces sanctions restent toutefois relativement faibles, notamment pour les entreprises, car les États membres ont réussi à inscrire dans le texte la possibilité de déterminer un montant fixe comme alternative à la fixation de l’amende proportionnellement au chiffre d’affaires.

L’amende sera donc soit fixe — 24 ou 40 millions d’euros comme montant maximum — soit proportionnelle au chiffre d’affaires —3 ou 5 % selon le type d’infractions. En fonction de la façon dont les États transposeront le texte, ils pourront donc entériner le fait d’appliquer la même amende à une multinationale qu’à une petite entreprise. Ce qui apparaît quelque part assez injuste et pas suffisamment dissuasif pour les plus grosses entreprises.
Outre les sanctions, avez-vous d’autres regrets sur ce texte ?
La logique parlementaire qui consiste à dégager des consensus a forcément amoindri la portée du texte final. Mais l’essentiel a été préservé. Dans un contexte où l’écologie subit chaque jour des attaques, parvenir à avancer est considérable. Je ne regrette donc rien : il fallait engager ce combat.
Dans le détail, nous aurions cependant aimé aller plus loin en matière d’extraterritorialité : nous aurions voulu obliger les États membres à juger les crimes commis contre la nature quel que soit le lieu où cette atteinte est survenue, si elle a eu pour objet d’obtenir des bénéfices financiers pour un acteur européen.
Nous ne sommes pas parvenus non plus à garantir pleinement la possibilité pour les associations ou les citoyens d’engager des poursuites pénales en portant plainte directement. L’initiative de la poursuite reste donc largement confiée aux parquets. Nous souhaitions aussi étendre les compétences du parquet européen aux crimes environnementaux, mais le Conseil s’y est fermement opposé.
Par ailleurs, le Conseil a refusé d’ajouter à la liste des législations devant entraîner systématiquement une poursuite pénale le texte relatif aux OGM. C’est extrêmement signifiant à un moment où on réautorise le glyphosate, et où l’on s’apprête à introduire les OGM nouvelle génération sans aucune barrière suffisante de protection environnementale et sanitaire sur le territoire européen. Certains lobbies ont réussi à se frayer un chemin et continuent à construire leur impunité, en particulier ces lobbies de l’agro-industrie qui sont extrêmement puissants aujourd’hui.