Dans la dernière ligne droite de la COP 21, la société civile multiplie les actions

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Luttes Climat : de COP en COPAlors que les négociations au Bourget se poursuivent, la société civile se mobilise pour changer de système. La journée de mercredi a été bien remplie, avec les paysans de la Via Campesina devant le siège de Danone, des artistes se livrant à une performance au Louvre et HK improvisant un concert dans une agence de BNP-Paribas.
LES PETITS PAYSANS CONTRE L’OGRE DANONE

Les grands boulevards parisiens sont vides en ce mercredi matin. On a rendez-vous près de la BNP Paribas, mais, cette fois-ci, ce n’est pas la cible. Une clameur monte cent mètres plus loin sur le boulevard Haussman. Elle vient du siège de Danone. Une cinquantaine de paysans se sont réunis devant l’immeuble.
Certains scandent des « What do we want ? Food sovereignty ! » et « Down, down Danone ! » tandis que d’autres tracent à la peinture un épais trait rouge sur le sol. « C’est la ligne rouge franchie par Danone », explique Josie Riffaud, membre de la Via Campesina. Ce mouvement paysan international est l’organisateur de l’action. « Ils dépassent ce que la planète et surtout l’humanité peuvent supporter ! »

À l’entrée de l’immeuble, un vigile impassible assiste à la scène. Adam, maraîcher près de Londres et membre de la Land Workers’ Alliance (syndicat britannique de petits paysans), prend la parole à son tour : « Les paysans produisent aujourd’hui 70 % de la nourriture dans le monde, en utilisant 30 % des ressources et 25 % des terres. Les agrobusiness comme Danone produisent 30 % de nourriture avec 70 % des ressources et 75 % des terres. »
Fonds de compensation carbone
Les banderoles, rouges elles aussi, dénoncent les conséquences de l’agriculture industrielle : « accaparement des terres », « gaspillage alimentaire », « érosion des sols », « émissions de méthane », « monopole du marché », « engrais chimiques », « mort des abeilles », etc.
Danone a été choisi comme symbole de cette agriculture industrielle. Dans le groupe, des paysans indonésiens, mexicains, français bien sûr, ou turcs. Ils dénoncent notamment l’annonce de Danone, affirmant viser « zéro émissions » d’ici à 2050, appuyé par la création d’un fonds de compensation carbone, « au service des communautés rurales pauvres dans la mesure où il leur apporte les ressources financières pour leur permettre de réaliser des projets à forte valeur sociale et environnementale », se réjouit le communiqué.

« Le problème, c’est que ce modèle se fait aux dépens des paysans, rétorque Adam. Danone accapare 10.000 hectares de terres au Sénégal, et explique que c’est pour la séquestration de carbone. Donc, des centaines de familles paysannes sénégalaises ont perdu leurs terres pour que Danone puisse expliquer à tout le monde qu’elle compense ses émissions carbone. »
Un Indonésien, représentant d’une organisation de petits paysans, poursuit : « Danone a déjà accaparé de nombreuses terres pour y exploiter les ressources en eau. Chez nous il prive la population et les paysans d’eau, notamment pour l’agriculture, et ensuite il nous revend cette eau en bouteilles ! »
Les Nations unies phagocytées par les multinationales
Venu de Turquie, Adnan a aussi été mandaté par les petits agriculteurs pour venir les représenter à Paris pour la Conférence climat. « Chez nous, Danone achète le lait à prix très bas aux petits producteurs, et il fait voter des lois par le gouvernement pour les empêcher de vendre leurs produits en direct sur le marché », dénonce-t-il.

« Danone propose de fausses solutions politiques, économiques, sociales, environnementales », résume Josie Riffaud. Des solutions prônées à travers l’Alliance mondiale pour l’agriculture intelligente face au climat, soutenue par les Nations unies mais, en fait, dominée par les multinationales de l’agriculture et de l’agroalimentaire (Reporterre l’a raconté ici).
« Leur seul objectif, c’est continuer à faire le plus de profits possibles, poursuit la paysanne. On est dans la perversité totale du capitalisme vert. La seule solution, c’est de changer de système pour aller vers l’agroécologie paysanne et la souveraineté alimentaire. »
Après trois prises de parole et une nouvelle rafale de slogans, la petite assemblée se disperse rapidement. Les forces de l’ordre arrivent quelques minutes plus tard, mais il ne reste plus, sur place, qu’une longue ligne rouge.
GUÉRIR LA CULTURE DE SA DÉPENDANCE AU FOSSILE

Étrange balais devant la pyramide du Louvre, ce mercredi 9, à midi. Depuis novembre, l’accès à la cour est limité par des barrières, avec des policiers à chaque ouverture. Mais aujourd’hui le dispositif est renforcé. Une dizaine de fourgons, des policiers demandant d’ouvrir les sacs à l’entrée, et des patrouilles de CRS aux abords.
Malgré l’impressionnant dispositif, une foule anormalement importante se presse à l’entrée de la cour et parvient à passer. Tout le monde se rassemble devant la pyramide du Louvre, discutant par petites grappes. D’autres sont refoulés et forment un second attroupement à l’extérieur des barrières. Ils sont bientôt rejoints par les « anges gardiens du climat », déjà présents dimanche 29, place de la République.

Soudain, à 12 h 30, une soixantaine de militants sortent leur parapluie noir et se regroupent, formant les mots : « Fossil Culture » (culture fossile). Devant eux, un large ruban rouge est déposé. Puis ils se mettent à chanter, progressivement repris par environ deux cents personnes venues assister à l’action-performance : « Oil money, out of The Louvre / Move, move, move / Eni, Total : Au revoir / Allez, aller, allez » (Argent du pétrole, sort du Louvre / Bouge, bouge, bouge).
Danse des parapluies
Chris, chef d’orchestre de l’action-performance, en explique les raisons à la foule : « Nous sommes ici parce que Le Louvre est financé par des entreprises pétrolières, Total et Eni. » En effet, la française et l’italienne figurent en bonne place dans la liste des mécènes du musée. Eni se vante même sur son site de contribuer à une « culture de l’énergie, énergie de la culture ». « Il est temps de les dégager de nos musées et galeries, parce que l’on a besoin d’une culture sans pétrole. Nous sommes solidaires des militants et communautés indigènes, dont les droits sont rabaissés lors de la COP 21. Let’s go contest », conclut-il. Le bataillon de parapluies se met en branle et s’organise en file indienne. Cette fois-ci, ils dessinent les mots « Fossil Free Culture » (Culture sans fossile). Les parapluies prennent la direction de la sortie, toujours en chantant. Les policiers ouvrent un passage au cortège au milieu des barrières – l’accès à la cour était complètement bouclé pendant l’action, qui aura duré une vingtaine de minutes, sans aucun heurt.

Au même moment, un autre groupe, appartenant à une organisation différente, avait réussi à s’introduire dans le hall du musée du Louvre, sous la Pyramide. Répandant du pétrole sur le sol, ils ont marché dedans pieds nus afin de l’étaler en cercle, pendant quelques minutes. Dix de ces militants ont été arrêtés à la sortie.
Des manifestations créatives
Dans les rangs des activistes, beaucoup d’Anglais, mais aussi des Néerlandais, Irlandais, Belges et États-Uniens. Le rassemblement, nommé « Sortons les pétroliers de la culture ! » était en effet organisé par un collectif d’organisations comme BP or not BP ? et Liberate Tate de Grande-Bretagne, Occupy Museums des États-Unis, ainsi que 350.org. À leur tête, le collectif anglais Oil Not Art : il cherche à rendre visible le lien entre les entreprises exploitant des énergies fossiles et le monde de l’art et des musées en général. « C’est une manière pour les entreprises de se laver de la pollution qu’ils entraînent, explique à Reporterre Chris, d’Art Not Oil. Le Louvre, en sponsorisant ces entreprises, contribue à les légitimer. C’est la même chose avec la COP : les pétroliers la financent, ce qui leur donne une certaine légitimité », poursuit-il.
Art Not Oil participe ainsi au mouvement en faveur du désinvestissement des énergies fossiles. Le collectif Liberate Tate a ainsi organisé de nombreuses actions de désobéissance « créatives » à la Tate Gallery de Londres, dans le but de faire cesser son financement par des entreprises pétrolières. « C’est un nouveau type de campagnes militantes, des manifestations créatives. Et le mouvement grossit de plus en plus. J’espère qu’il se développera aussi en France… » souffle Chris. Des militants d’Art Not Oil avaient aussi mis en lumière le financement du Science Museum de Londres par Shell : « Ils essayaient de changer la manière dont le musée parlait du changement climatique », selon Chris.
HK FAIT DANSER LA BNP

15 h 50. Devant l’Opéra de Paris, des dizaines de personnes se pressent à l’entrée de l’agence de la BNP Paribas. Certains se postent devant les portes coulissantes, tandis que d’autres abordent les agents d’accueil, visiblement troublés. « Ne vous inquiétez pas, nous venons juste faire un concert ! »
Aussitôt dit aussitôt fait, un jeune homme dévoile un ampli et un autre, casquette anglaise et foulard blanc, sort un micro. Lui, c’est Kaddour Haladi, dit HK, chanteur du groupe français de musique populaire et engagée HK et les Saltimbanques. Tout sourire, il entame un de ses tubes, « Sans haine, sans arme et sans violence ». Autour de lui, des militants d’Action non-violente COP21 (ANV-COP 21) déploient des banderoles. « On est ici pour dénoncer de manière festive et non-violente les activités climaticides de la BNP, explique Boris. La banque investit dans le charbon et contribue à la pollution de la planète, tout en étant sponsor de la COP21. »
Une valse endiablée
Très vite, la luxueuse agence se transforme en salle de concert improvisée. Cent cinquante militants se trémoussent, applaudissent, et reprennent en cœur « Niquons la planète ! » une chanson ironique de HK. « Banques qui Niquent la Planète, ça fait BNP », précise Boris. Au premier rang, José Bové entame une valse endiablée avec une quinquagénaire d’ANV-COP 21. « On veut interpeller les gouvernements pour leur montrer que l’argent existe pour venir en aide aux pays du Sud,mais que cet argent est planqué dans les paradis fiscaux, notamment par la BNP », explique le député européen, familier des actions de désobéissance civile.
Pendant ce temps, une discussion animée s’engage avec des cadres de la BNP. « Ils nous ont accusé d’agresser leurs collaborateurs avec notre concert, rapporte Aline, d’ANV-COP 21. Pour eux, notre action n’a aucun sens, à part brusquer les employés déjà très choqués par les attentats. » Dans le hall, un petit groupe regarde d’un air agacé la fête improvisée. « On est ici pour tourner un film, je perds du temps », se plaint l’un d’eux, tentant vainement d’interpeller les danseurs. Non loin, une hôtesse d’accueil semble bien plus calme. « On savait que c’était arrivé ailleurs... Ils ne sont pas violents », lâche-t-elle d’un air détaché, avant de raccompagner un client tranquillement vers la porte de derrière. Des policiers en civil assistent à la scène, discutant avec le directeur des ressources humaines. « Ça va, tout est calme », se rassure-t-il. « C’est l’avant-dernière chanson, après on sort », promet Boris.
« Pour nos gosses »
C’est sur l’air de « On lâche rien » et un tonnerre d’applaudissements que se termine la petite fête. En sueur et les yeux pétillants, HK se dirige tranquillement vers la sortie : « En chantant ici, les paroles prennent tout leurs sens. Pour moi, c’est important de soutenir ces associations qui mènent des combats pour nous, pour nos gosses. »
Près de la sortie, Sophie, nouvelle dans le monde du militantisme, observe avec scepticisme une exposition de la BNP sur le « réchauffement climatique ». L’un des panneaux explique, sans ironie, que « dans le contexte de changement climatique, on en est à un point où il faut changer nos économies et nos modes de vie ».

Dehors, les policiers ont installé un cordon. « On les raccompagne jusqu’au métro, pas plus », assure un officier. À 16 h 35, la première banderole pointe le bout de son nez entre les portes coulissantes. C’est toujours en chantant que la manif se poursuit jusqu’à la bouche de métro. « Même les collaborateurs de la banque étaient en train de danser ! » se réjouit une militante.