Dans le Var, des élus stoppent de nouvelles constructions à cause de la sécheresse

Le niveau très bas du lac de Saint-Cassien. - © Maïté Baldi / Reporterre
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Confrontés à la sécheresse, neuf maires dans le Var ont annoncé l’arrêt de tout nouveau permis de construire dans les cinq années à venir. Une décision inédite qui pourrait se généraliser.
Pays de Fayence (Var), reportage
Un mois après, François Cavallier n’en revient toujours pas. Fin février, lui et huit autres maires des communes du Pays de Fayence ont annoncé leur « plan Marshall » de l’eau et une mesure phare : la mise en « pause » de la délivrance de nouveaux permis de construire dans les cinq années à venir. La raison ? Il n’y aura tout simplement pas assez d’eau pour tout le monde.
Depuis, le téléphone n’arrête pas de sonner : les entrepreneurs de la construction crient au scandale, les écologistes applaudissent, la préfecture approuve. « Je ne pensais pas que ça soulèverait autant de réactions », confie celui qui est maire de la commune de Callian, village perché à l’entrée du pays de Fayence.

Et pour cause, pareille décision est inédite : c’est la première fois qu’une communauté de communes dit stop à de nouvelles constructions en raison de l’état du milieu naturel. « Je suis maire depuis vingt-huit ans, les niveaux d’eau observés sont inédits. La végétation est dans un état de stress généralisé, les épisodes de sécheresse s’empilent les uns sur les autres, soupire-t-il, avant d’ajouter : Pas besoin d’être un militant écologiste “hardcore” pour constater la situation : nos nappes phréatiques ne remontent plus, même quand il pleut… Quand il veut bien pleuvoir. »

Rivières à sec
Alors que près de 80 % des nappes phréatiques sur l’ensemble du pays sont à « des niveaux modérément bas à très bas », d’après le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM), la situation est particulièrement critique dans le pays de Fayence. Située dans les hauteurs du Var, la région bénéficie du ruissellement et de la fonte des glaces des Alpes. Contrairement à la plupart des communes voisines, reliées au canal de Provence, l’eau du pays de Fayence provient de deux sources : la Siagne et la Siagnole. Or, avec des températures toujours plus élevées et la raréfaction des pluies, les sources montrent leur limite.

Un coup d’œil au Riou, le fleuve qui traverse la vallée, suffit à s’en convaincre. Bien qu’à sec une bonne partie de la saison chaude, et malgré un épisode pluvieux quelques jours avant notre passage, le lit de la rivière est complètement asséché. Dans le même temps, l’urbanisme s’étend. Norauto, E.Leclerc, Weldom, Intermarché… La succession de magasins et entrepôts le long de la D562 au pied de Montauroux, autre village concerné par l’interdiction, le prouve : on construit ici, et depuis longtemps.
En 2017, la région comptait 25 000 habitants. 3 500 de plus ont depuis rejoint le territoire. Jusqu’à quand ? « Avec cette décision, on veut envoyer un signal : on a si peu de marge en eau qu’on ne peut pas faire plus. Donc on fait une pause dans les permis. On le fait contraint et forcé », dit François Cavallier. D’autant que les permis déjà signés doivent donner lieu à la construction d’« au moins 1 000 logements » dans les années à venir. L’arrêt complet du secteur n’est donc pas tout à fait pour demain.

Adapter les pratiques agricoles
La sécheresse de l’été dernier a constitué un tournant. Tout le pays a dû apprendre à vivre avec les restrictions : 150 litres par jour et par habitant, rapidement abaissés à 100 litres. Depuis, si les restrictions ont été légèrement relevées, elles sont toujours en vigueur… à la fin de l’hiver. Tout en haut de la vallée, une partie du village de Seillans s’est retrouvé dès décembre 2021 complètement à sec et doit se faire ravitailler par camions-citernes depuis.
« D’habitude, on emmène les bêtes boire à une petite rivière un peu plus haut. Là, il n’y a plus une flaque », dit Jérémy Fantino, chevrier sur les hauteurs de Mons. Lui et sa femme élèvent 60 chèvres laitières dans un paysage de roches et de garrigues. Ils produisent du fromage qu’ils vendent sur les marchés ou auprès des restaurateurs de la région. Ils peuvent encore compter sur l’eau communale pour nourrir leurs bêtes. Reste le souci de l’alimentation. « La dernière sécheresse nous a fait perdre 40 à 60 jours de pâturage avec des zones d’herbe complètement cramées. On est obligé d’acheter notre foin, dont le prix a augmenté de 40 %... », soupire-t-il.

Face au manque d’eau, les pratiques agricoles changent. « Ma solution va être de cultiver avec les eaux de pluie et donc d’adapter la production. On va décaler les saisons, limiter les légumes gourmands en eau, peut-être manger moins de poivrons et de courgettes et plus de courges », détaille Cécile Messelis, maraîchère bio installée à Seillans. Jérémy et sa femme, eux, voudraient faire installer un bassin de récupération d’eau de pluie de 700 m3. « On prend les devants pour être autonomes. Si la situation est dure aujourd’hui, dans deux ou trois ans, ça va être réellement catastrophique », ajoute l’éleveur. Lui approuve la décision des maires, tout en soulignant la prochaine étape : s’attaquer aux piscines.
Un tourisme à réinventer
S’il y a bien un point qui met tous les agriculteurs d’accord, c’est celui-là. Avec ses villages de carte postale, sa proximité avec la mer et son ciel bleu toute l’année, la région attire. Hôtels, chambres d’hôtes, gîtes se partagent chaque été l’afflux de touristes qui débarquent dans le pays. « 223 3910 nuitées ont été enregistrées à l’été 2022 (juillet-août), soit une moyenne de 4 129 personnes par jour. Cette tendance vient accroître les besoins en eau en période estivale », détaille le « plan Marshall » de l’eau voté par la communauté de communes. « Les propriétaires se rendent compte que sans piscine, c’est plus dur de louer », dit Frédéric Verbrughes, maraîcher bio dans le village de Mons.
Avec les restrictions, les premiers conflits d’usage ont fait leur apparition. Tourisme et agriculture se retrouvent en opposition. « Les greens du golf de Terre Blanche ont continué d’être arrosés tout l’été. Quand on interdit à certains de faire des potagers, ça fout un peu les boules », s’agace Éric Bourlier, agriculteur pendant treize ans désormais à la retraite.

« On a oublié que la Provence est un pays aride, on redécouvre Manon des Sources », pointe Gilles Portaz, enfant du pays, aujourd’hui à la tête de GéoAqua, une entreprise de conseil qui installe des citernes et des recycleurs d’eau pour des particuliers dans toute la région. Les chiffres sont cruels : la France recycle moins de 1 % de ses eaux usées, contre 8 % en Italie, 14 % en Espagne ou 84 % en Israël... « L’été dernier a été un choc pour tout le monde. Désormais, chaque goutte d’eau va compter », dit cet ancien professeur d’histoire-géo qui refuse de céder à la panique.
« L’abondance illimitée est derrière nous »
La situation critique des réserves d’eau a également permis de pointer les ratés d’un réseau d’un autre âge. « On a découvert que pour 100 litres qui circulent dans le réseau, on en perd 32 à cause de fuites, soit un rendement de 68 %, contre 82 % pour le reste de la France, pointe Bruno Bazire, concepteur en architecture bioclimatique. Le climat nous le rappelle : on a pris un retard considérable dans l’adaptation de nos villes au changement climatique. Cette décision est un électrochoc, mais un électrochoc bienvenu qui doit nous pousser à changer de modèle économique, urbanistique, touristique, etc. »
« Beaucoup de collectivités observent avec attention ce qui se fait chez nous. Avec le climat de demain, ce genre de décision est amené à se généraliser », dit François Cavallier, maire de Callian. « La sensation profonde que j’ai, c’est que l’on ne pourra plus vivre comme avant. L’abondance illimitée est derrière nous. »