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EntretienEau et rivières

Crise de l’eau : « La maison s’assèche et les États regardent ailleurs »

En 2016, l’Éthiopie a vécu l'une de ses pires sécheresses de ces cinquante dernières années.

Alors que s’ouvre une conférence internationale sur l’or bleu, l’ONU alerte quant à une possible crise mondiale de l’eau. Pour Laura Le Floch, « il y a urgence à agir ».

Laura Le Floch est chargée de plaidoyer au Secours islamique France. L’ONG, avec Action contre la faim et la Coalition eau, a lancé une campagne internationale pour que les États, et notamment la France, prennent des engagements ambitieux lors de la Conférence des Nations unies sur l’eau, du 22 au 24 mars aux États-Unis.


Reporterre — Le 22 mars s’ouvre la première Conférence des Nations unies sur l’eau depuis quarante-six ans. En quoi cet événement est-il important ?

Laura Le Floch — Cela fait un demi-siècle que l’on attend cette conférence. L’eau est un sujet essentiel pour la vie des humains et la paix dans le monde. Pourtant, il s’agit d’un angle mort au niveau mondial. Il n’existe aucune politique contraignante sur la ressource, aucun organisme transversal comme la FAO [1] pour l’agriculture, aucun fonds dédié.

Dans le même temps, nous sommes face à une crise mondiale de l’eau, aggravée par le changement climatique. La moitié de la population mondiale pourrait être en situation de pénurie d’eau d’ici 2050. On commence déjà à le vivre en France.

Donc en clair : la maison s’assèche et les États regardent ailleurs. Cette conférence ne résoudra pas tout, loin de là, mais elle doit être un premier jalon pour améliorer la gouvernance mondiale de l’eau. Elle peut initier un déclic.

© Clarisse Albertini / Reporterre

Comme vous venez de le souligner, l’ONU publie le 22 mars un rapport alertant sur une crise mondiale de l’eau. Selon ces experts, entre 2 et 3 milliards de personnes connaissent actuellement des pénuries d’eau, et ce chiffre pourrait augmenter fortement les prochaines années. Comment en est-on arrivé là ?

Très peu de progrès ont été faits sur le sujet. Une personne sur quatre ne dispose toujours pas de l’accès à l’eau — 400 000 personnes en France. Et cet accès est en plus très inégalement réparti. Une personne aux États-Unis consomme près de 300 litres par jour, 200 litres en Europe… mais seulement 20 litres au Sénégal. En Afrique subsaharienne, un tiers des infrastructures d’eau ne fonctionnent pas. Il y a clairement un manque d’investissement des États pour l’accès à l’eau. Il faudrait multiplier par quatre les financements pour le développement des infrastructures.

« L’eau ne connaît pas de frontières »

Dans le même temps, la crise climatique — qui accentue les sécheresses, mais aussi les inondations — rend la situation encore plus critique.

© Clarisse Albertini / Reporterre

L’accès à l’eau est un sujet très local, géré nationalement. En quoi l’ONU a-t-elle un rôle à jouer ?

L’eau ne connaît pas de frontières. C’est un enjeu géopolitique essentiel, un enjeu de paix qui ne peut pas être ignoré. Des tensions autour du partage de la ressource existent déjà, entre l’Égypte et l’Éthiopie, entre l’Inde et le Pakistan, au Moyen-Orient…

Avec la crise climatique, des pays vont connaître de plus en plus de sécheresses et de pénuries, ce qui pourrait entraîner des déplacements de population, des migrations, avec des conflits possibles. Et puis sans eau, comment fera-t-on pour nourrir 9 milliards d’êtres humains ?

Bref, il est urgent de mettre en place des mécanismes de partage et de gouvernance. Il faut aussi un espace international où les États partagent leur expertise et les financements, s’entraînent mutuellement.


La conférence de l’ONU peut-elle enrayer la crise ?

Ce pourrait être une première étape pour renforcer la coopération et le multilatéralisme sur cette question. Mais nous ne sommes pas naïfs. Il n’y aura ni traité ni accord après cette conférence. Après quarante-six ans de mutisme et de quasi-inaction, la communauté internationale n’est pas prête. Mais on peut espérer une prise de conscience.

Les États sont invités à prendre des engagements, qui seront compilés dans le « Water Action Agenda ». Ça reste une démarche volontaire, non obligatoire, mais cela peut permettre de mobiliser. On s’attend aussi à ce que soit annoncée la création d’un envoyé spécial de l’ONU sur l’eau, ce qui serait une avancée, car cette personne pourrait ensuite piloter la réflexion et pousser les États à agir.


Emmanuel Macron n’a pas prévu de se rendre à cette conférence internationale. Quel rôle la France peut-elle jouer face à cette crise de l’eau ?

C’est dommage que M. Macron ne se rende pas à New York. Pour le moment, seuls cinq chefs d’État ont annoncé leur venue, c’est peu et ça témoigne de l’absence de prise de conscience quant à l’importance du sujet. Malgré tout, le ministre de l’Écologie, Christophe Béchu, sera présent, ainsi que la secrétaire d’État à la biodiversité, Bérangère Couillard, et la ministre déléguée à la santé, Agnès Firmin Le Bodo.

Il faut un leadership mondial, une sorte de « champion de l’eau ». Pourquoi pas nous ? Le gouvernement pourrait lancer un One Planet Summit sur l’eau, et créer un poste d’ambassadeur dédié à ce sujet. Dans le cadre de sa politique de développement, l’État doit aussi donner plus de moyens pour améliorer l’accès à l’eau et à l’assainissement. Nous en sommes persuadés : la France a un rôle moteur à jouer.

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