Média indépendant, en accès libre pour tous, sans publicité, financé par les dons de ses lecteurs

ReportageClimat

Dans le sud de l’Espagne, le quotidien s’adapte aux fortes chaleurs

Des enfants jouant dans la fontaine de la Plaza de las Tendillas, place centrale de Cordoue, avec un thermomètre affichant 44 °C derrière eux.

L’Espagne vit depuis samedi les premières très fortes chaleurs de l’année. La multiplication de ces épisodes favorise la sécheresse et fait peser un risque accru sur la santé des vulnérables. Mais la population, organisée depuis toujours pour vivre avec, ne perçoit pas forcément cette tendance.

Andalousie (Espagne), reportage

« C’est là que je dors, pour avoir un peu de fraîcheur. » Emilio Gonzáles indique un petit matelas en mousse, calé dans le coin d’un banc de pierre qui encadre une fontaine, à l’ombre des arbres plantés autour. Il fait un peu plus de 42 °C, ce samedi 10 juillet à Cordoue, dans le sud de l’Espagne. À 73 ans, Emilio dort dehors, alors que le premier épisode de très fortes chaleurs de l’été vient de s’abattre sur le pays. Des séquences vouées à se multiplier alors que les étés se font plus longs, plus chauds et plus arides avec le changement climatique.

Cette tendance entraîne une augmentation des risques pour la santé humaine, ainsi que de possibles sécheresses et incendies. Mais à hauteur de citoyen, ce changement progressif n’est pas toujours évident, tant la vie dans ce pays a toujours été rythmée par des températures élevées.

Durant les pires heures de la journée en début d’après-midi, Emilio va se réfugier au centre d’urgence sociale, de l’autre côté de la rue. Chaque été, le centre ouvre dix places pour accueillir les sans-abris entre 13 et 20 heures. « Ces personnes sont particulièrement exposées aux risques engendrés par les très fortes chaleurs », explique Eva Contador, déléguée aux Services sociaux et aux personnes âgées de la mairie de Cordoue, en Andalousie, région la plus méridionale de la péninsule Ibérique, où les températures sont particulièrement hautes en été. « Ils peuvent souffrir de lipothymies [malaise], d’évanouissement, de déshydratation. Certains n’ont pas de chaussures et le sol est brûlant. Un jour, mes semelles ont commencé à fondre tant le sol était chaud. »

« C’est très dur de vivre dans la rue ici l’été, confirme Emilio. Pour moi, la chaleur est pire que le froid. Quand il fait froid, tu peux rajouter des habits, mais quand il fait chaud, tu fais quoi ? »

Emilio González assis sur le rebord de la fontaine près de laquelle il dort. Il est un peu plus de 18 heures, il fait plus de 42 °C . © Alban Elkaïm/Reporterre

Le mercure monte moins que prévu

L’Agence de l’État de météorologie (Aemet) annonçait cet épisode depuis plusieurs jours. Une masse d’air chaud et très sec est remontée depuis le nord de l’Afrique. Entrée par le sud de la péninsule, vendredi, elle s’est étendue à la quasi-totalité du territoire, samedi et dimanche, et devrait sévir jusqu’à ce lundi, avec des prévisions anticipant des températures à 44 °C. Finalement, les thermomètres de l’agence n’ont atteint qu’une fois les 44,5 °C, près d’Albacete, dans le sud-est du pays. Les températures sont largement redescendues lundi sur la plupart du pays, notamment en Andalousie, avec toujours de très fortes chaleurs dans l’Est.

De telles températures restent éprouvantes. Et les séquences comme celle-ci devraient se multiplier. « Nous savons que la hausse de la température globale va faire augmenter le nombre d’événements météorologiques exceptionnels. Les vagues de chaleur en font partie. En Espagne, nous serons typiquement affectés par ce type de phénomènes, prévient Mar Gómez, docteur en physique et météorologue pour le site spécialisé Eltiempo.es. Nous avons vu les vagues de chaleur augmenter en fréquence, en durée et en intensité au cours des deux dernières décennies », rappelle-t-elle. Selon l’Aemet, les étés durent aujourd’hui cinq semaines de plus que dans les années 1980. Globalement, les températures auraient déjà augmenté de 1,7 °C par rapport à l’ère préindustrielle chez nos voisins.

Le premier risque évoqué par la météorologue lors de fortes chaleurs touche la santé humaine : « Surtout pour les personnes vulnérables, les enfants et les personnes âgées. » À plus forte raison quand elles vivent dans la rue. Comme Emilio.

À Cordoue cependant, « on ne constate pas particulièrement d’augmentation des besoins en ce sens ces dernières années », assure Eva Contador. « Ici, le mode de vie est adapté à ces fortes températures », explique Vincent Martín Tamayo, coordinateur de l’aire sociale de la mairie. Les 42,2 °C enregistrés par l’Aemet ce samedi n’ont rien d’exceptionnel dans cette province, qui détient le record officiel de température en Espagne : 47,3 °C, en 2017.

« L’été ici, il ne faut pas sortir avant 20 h ou 20 h 30 »

Les autorités locales ont mis en place un éventail de dispositifs pour faire face aux assauts du soleil estival. Et elles n’ont rien inventé. L’architecture de la vieille ville est conçue pour offrir de l’ombre et retenir la fraîcheur. La vie locale est rythmée par les variations du thermomètre.

« Il ne faut pas sortir avant 20 h ou 20 h 30 », conseille Manoli, 63 ans, assise devant sa boutique d’artisanat, sous une arche de l’immense place de la Corredera. Celle-ci est déserte, comme le reste de la cité à 18 h 30, mis à part les touristes. « Ils veulent profiter de leur séjour donc ils font leurs visites la journée, remarque-t-elle. Mais ce n’est pas la même chose de marcher sous le soleil que de rester assis à l’ombre. La chaleur fatigue. Ils rentrent chez eux à 20 heures et se couchent tôt. Ils ratent tout ce qui fait le charme de la vie à Cordoue. » « Revenez à 23 heures, vous verrez à quoi ressemble cette place », recommande Sofía, qui gère le bar d’à côté.

La place de la Corredera, à Cordoue, déserte autour de 18 h 30, peu après le pic de chaleur. © Alban Elkaïm/Reporterre

Loin des ruelles ombragées de la ville, les caprices du thermomètre rythment également la vie dans les champs. « L’été, on arrive à 7 heures et on part à 14 heures. Mais à midi, il fait déjà une chaleur terrible, raconte Pablo Ojeda, jeune agriculteur dans la province de Séville, capitale de l’Andalousie. On divise les travaux : on accomplit les tâches les plus lourdes aux premières heures, et après 12 heures, on essaie de s’occuper des tâches les plus légères. »

« Qu’est-ce qui se passe ici ? », lance-t-il en arrivant sur l’exploitation familiale qu’il mène avec son père, Manuel, ce samedi matin. Ce dernier plie le tuyau raccordant un puits à de grands conteneurs d’eau, pour mettre fin à la fuite qui laissait jaillir quelques jets de cette ressource si précieuse en juillet. « On remplit le puits de la cour avec l’eau des autres, car le niveau est trop bas », explique-t-il.

Sur ces terres sèches accablées par le soleil, l’accès à l’eau conditionne tout. « Les parcelles de blé et des tournesols ne peuvent donner qu’une récolte par an. À cette période de l’année, il n’y a pas assez d’eau, donc elles ne produisent pas », explique Pablo en pointant du doigt une portion de terrain couvert de paille jaune, une autre bardée de tiges noircies. Depuis quelques années, des amandiers, qui se contentent de très peu d’humidité, donnent des fruits toute l’année. « Mon père disait qu’on ne pouvait pas avoir d’arbres sur une exploitation qui n’a pas beaucoup d’eau. Mais je l’ai convaincu », sourit le jeune homme de 30 ans, titulaire d’un diplôme de gestion forestière.

Pablo Ojeda sur une partie sèche de son terrain. Derrière, une autre exploitation fonctionne selon le modèle intensif et consomme beaucoup d’eau, selon lui. © Alban Elkaïm/Reporterre

Le manque d’eau, principale menace liée au changement climatique en Andalousie

« Les vagues de chaleur provoquent des situations de stress hydrique, particulièrement dans les régions agricoles, mais aussi en raison de la demande d’eau potable de la population. Pour l’instant, nous n’avons pas de problèmes d’approvisionnement, mais qui sait ce qui se produira à l’avenir », souligne la météorologue Mar Gómez. Selon un rapport diagnostiquant les principaux risques engendrés par le changement climatique en Andalousie, émis par le gouvernement régional en 2020, les menaces les plus importantes sont liées à la demande croissante en eau et à la diminution des ressources. Le Plan action climat du gouvernement andalou estime que l’Espagne est particulièrement menacée par la sécheresse. Le sud du pays plus encore. C’est l’une des causes centrales de la désertification qui a déjà commencé à ronger la péninsule Ibérique. Plus de 75 % du territoire espagnol pourrait se transformer en zone désertique, selon Greenpeace. Depuis 2019, la région dont Séville est la capitale souffre d’un manque de précipitations.

« Les gens disent souvent qu’il pleut de moins en moins, qu’il n’y a plus d’eau, dit Pablo. Mais, moi, je ne le remarque pas. » Il est très loin d’avoir le profil du négationniste climatique, bien au contraire. Le jeune homme rêve de convertir l’exploitation familiale au modèle de l’agriculture régénérative, prônant une gestion environnementale durable. À contre-courant de la production intensive, qui épuise les sols et les ressources hydriques. « Mon père a la mentalité de l’ancienne génération. Mais, peu à peu, je gagne du terrain », s’amuse-t-il. Cette année, ils ont entamé le processus d’obtention du label Agriculture écologique. Si les agriculteurs savent faire avec les très nombreuses sécheresses en Andalousie, ce n’est pas pour rien, pense le jeune homme : « Ma perception vient peut-être du fait que je suis là tous les jours. »

Alors que les alertes sur le front de l’environnement continuent en ce mois de septembre, nous avons un petit service à vous demander. Nous espérons que les derniers mois de 2023 comporteront de nombreuses avancées pour l’écologie. Quoi qu’il arrive, les journalistes de Reporterre seront là pour vous apporter des informations claires et indépendantes.

Les temps sont difficiles, et nous savons que tout le monde n’a pas la possibilité de payer pour de l’information. Mais nous sommes financés exclusivement par les dons de nos lectrices et lecteurs : nous dépendons de la générosité de celles et ceux qui peuvent se le permettre. Ce soutien vital signifie que des millions de personnes peuvent continuer à s’informer sur le péril environnemental, quelle que soit leur capacité à payer pour cela. Allez-vous nous soutenir cette année ?

Contrairement à beaucoup d’autres, Reporterre n’a pas de propriétaire milliardaire ni d’actionnaires : le média est à but non lucratif. De plus, nous ne diffusons aucune publicité. Ainsi, aucun intérêt financier ne peut influencer notre travail. Être libres de toute ingérence commerciale ou politique nous permet d’enquêter de façon indépendante. Personne ne modifie ce que nous publions, ou ne détourne notre attention de ce qui est le plus important.

Avec votre soutien, nous continuerons à rendre les articles de Reporterre ouverts et gratuits, pour que tout le monde puisse les lire. Ainsi, davantage de personnes peuvent prendre conscience de l’urgence environnementale qui pèse sur la population, et agir. Ensemble, nous pouvons exiger mieux des puissants, et lutter pour la démocratie.

Quel que soit le montant que vous donnez, votre soutien est essentiel pour nous permettre de continuer notre mission d’information pour les années à venir. Si vous le pouvez, choisissez un soutien mensuel, à partir de seulement 1€. Cela prend moins de deux minutes, et vous aurez chaque mois un impact fort en faveur d’un journalisme indépendant dédié à l’écologie. Merci.

Soutenir Reporterre

📨 S’abonner gratuitement aux lettres d’info

Abonnez-vous en moins d'une minute pour recevoir gratuitement par e-mail, au choix tous les jours ou toutes les semaines, une sélection des articles publiés par Reporterre.

S’abonner
Fermer Précedent Suivant

legende