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ReportageLuttes

« La pollution va vers les écoles » : à Achères, mobilisation contre un projet routier

Les enfants ont marché en tête de la manifestation contre le projet de liaison routière A104bis, le 12 novembre 2023.

Environ 700 manifestants ont défilé sur les rives de la Seine le 12 novembre, dans les Yvelines, contre le projet de liaison routière A104 bis. Un projet « dévastateur » selon les opposants.

Achères (Yvelines), reportage

Bravant la pluie, près de 700 personnes ont répondu le 12 novembre à l’appel des associations Non au pont d’Achères, France Nature Environnement, Copra 184 et Rives de Seine Nature Environnement. Elles réclament l’abandon du projet routier yvelinois surnommé A104bis, une 2x2 voies de 6 kilomètres et le pont d’Achères de 800 mètres enjambant la Seine, reliant Triel-sur-Seine et à Achères. Il artificialisera plus de 18 hectares de sol, portera atteinte à l’habitat d’espèces protégées, et nécessitera l’abattage de près de 3 hectares de bois.

Derrière la banderole, les enfants marchent en tête. Une façon de visibiliser les conséquences du projet sur la santé des 9 200 élèves des 32 écoles, collèges et lycées recensés le long du tracé. Rudy et Églantine, parents d’une élève de 7 ans de l’école de Carrières-sous-Poissy, sont venus protéger « la santé respiratoire de nos enfants face au risque de pollution, alors qu’ils sont en plein développement pulmonaire »

Un projet « du passé »

Parés de leur écharpe, des élus de plusieurs communes concernées par le tracé de la future liaison ont rejoint le cortège. « Sur notre ville, les vents dominants vont pousser la pollution vers les écoles, s’inquiète Sébastien Coumoul, adjoint au maire d’Andrésy. Ce n’est plus du tout en adéquation avec les objectifs de décarbonation des transports du XXIe siècle. » « Il serait préférable de développer la mobilité douce et le transport en commun, plutôt que des voies routières », défend Philippe Barron, adjoint au maire de Carrières-sous-Poissy. 

À droite du chemin emprunté par les manifestants, un boisement, dont une partie a déjà été terrassée. À gauche, l’écrin végétal de l’Île piétonne de la Dérivation, ses quatre-vingts maisons et son jardin partagé dont le tilleul centenaire a été abattu, en vue de la réalisation d’un pilier en béton pour soutenir le pont.

Sur cet « écoquartier avant l’heure », on aperçoit le défrichement avant les fouilles archéologiques. Sur la Seine, un bateau de la gendarmerie suit la manifestation. Au mois d’octobre, des opposants avaient tenté d’empêcher le démarrage des travaux, en occupant et en barricadant les voies d’accès. En vain.

Pas question pour le département d’abandonner ce projet estimé à 200 millions d’euros, dont 32,5 millions d’euros de subventions de la Région Île-de-France. Cela fait bien longtemps que la liaison est dans les cartons. Elle apparaissait déjà dans le schéma de déplacement du département en 2007. Elle a été déclarée d’utilité publique en 2013 malgré l’avis défavorable du commissaire enquêteur. Surtout, cette liaison ressemble de près à un projet porté par l’État depuis plus de 50 ans, celui de l’A104 ou francilienne ouest : une liaison pour relier l’autoroute qui dessert le nord et l’est de la capitale (A15) à celle qui dessert l’ouest et le sud (A 13).

« Ils sont arrivés sans prévenir du jour au lendemain »

Marina, 63 ans, porte sa pancarte en carton à bout de bras. Habitante de l’Île de la Dérivation, elle se souvient que ses parents ont entendu parler de ce projet dès les années 1970. Lorsqu’elle a vu débouler les engins de chantier, elle a décidé de manifester pour la première fois. « Il n’y a pas d’affichage, ils sont arrivés sans prévenir du jour au lendemain », s’étonne la retraitée, qui voit une véritable « toile d’araignée » routière se dessiner dans ce secteur de l’ouest parisien.

Les opposants surnomment la liaison A104bis, tant le tracé reprend celui du prolongement de la francilienne. © Association Non au pont d’Achères

Difficile d’évaluer les effets réels de la future infrastructure, comme le souligne la Mission régionale de l’Autorité environnementale, dans son avis rendu en 2022. Elle déplore une analyse des impacts basée sur des données trop anciennes, en matière d’évolution de trafic, de pollutions sonore et atmosphérique. Les habitants de l’Île de la Dérivation s’attendent à voir circuler plus de 40 000 véhicules chaque jour au-dessus de leur tête et à une hausse des émissions de CO2 de 14 %.

Une opération « passéiste et obsolète, fondée sur la bagnole » aux yeux des opposants, mais « structurante majeure » selon le département des Yvelines. Elle permettrait de « décongestionner » le réseau routier, en particulier au niveau du pont de Poissy, et de « désenclaver » la plaine de la boucle de Chanteloup, vaste espace à cheval sur quatre communes, ayant longtemps servi de zone d’épandage des eaux usées de Paris. Au contraire, les opposants s’attendent à la transformation de ce territoire en zone de transit.

Un projet économique et logistique plus vaste

Le projet s’inscrit dans l’Opération d’intérêt national Seine-Aval, lancée en 2006, de développement économique du territoire. Il en vantait les « opportunités foncières » et « les perspectives d’amélioration de sa desserte » pour renforcer son « attractivité ». On y trouvait déjà le pont d’Achères parmi les projets jugés nécessaires à ce développement, faisant de la plaine un site d’accueil privilégié des installations logistiques de futurs aménagements portuaires fluviaux.

En effet, la liaison projetée ralliera une route nationale située entre les deux futurs ports Seine Métropole, à la confluence de la Seine et de l’Oise. Les associations mobilisées craignent un emballement logistique, saturant les réseaux locaux de passages de camions en transit. « Faire venir des péniches pour qu’après ce soit des camions qui prennent le relais et qu’on ait une dispersion de centaines de poids lourds sur tout le territoire, on ne voit pas l’intérêt », s’agace Anthony Effroy, président de Rives de Seine Nature Environnement.

La bataille se joue désormais sur le front juridique et politique. Le collectif d’associations a déposé un recours contre l’arrêté préfectoral délivré en juillet 2023 pour la réalisation du projet.

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