De toute l’Europe, des milliers d’activistes en Allemagne contre le charbon

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Climat Luttes HambachUne action de désobéissance civile de masse se déroule du 19 au 24 juin, en Allemagne, près de Cologne. Des milliers de militants européens vont y perturber l’activité des mines de charbon les plus polluantes d’Europe.
- Viersen (Allemagne), reportage
Un murmure de chants polyglottes s’élève à proximité du stade « Am Hohen Bush » de Viersen (Rhénanie). « De bon matin / J’irai bloquer la mine / Pleine de charbon avec 3.000 copines. / De bon matin / J’irai bloquer le train / Plein de charbon avec 3.000 copains », entonne un groupe francophone, d’humeur mélodieuse. Le décor est « festivalesque » : une pelouse verdoyante, des barnums thématiques, un camping bariolé, un chapiteau, un espace enfant, une botte de paille et surtout des milliers d’Européens rassemblés pour défendre, coûte que coûte, justice climatique, sociale et sortie des énergies fossiles.
Depuis le mercredi 19 juin 2019, des Allemands, des Néerlandais, des Belges, des Suédois ou encore des Français affluent au camp climat de Viersen en vue d’accomplir une action de désobéissance civile de masse. Chaque année, et ce depuis 2015, le mouvement Ende Gelände — qui peut se traduire par « Stop, on n’ira pas plus loin » — riposte ainsi contre l’industrie du charbon et l’organisation énergivore de nos sociétés.

Dès ce vendredi, 6.000 activistes sont attendus pour neutraliser les installations du consortium houiller RWE. Le site ciblé par Ende Gelände est la mine à ciel ouvert de Garzweiler, qui approvisionne les cinq centrales électriques à charbon de la Rhénanie.
« Ce n’est pas en continuant d’extraire que nous pourrons repenser notre rapport à l’énergie »
Le bassin rhénan est la plus grande zone d’émission de CO2 d’Europe. Sur la route qui les menait à Viersen, les Français sont passés à proximité de la mine. « C’est un mastodonte ! » s’est écrié Maodun, interloqué devant l’excavation de 43 kilomètres carrés et ses 200 mètres de profondeur. Taquin, l’un de ses camarades lui a indiqué un champ d’éoliennes. « Nous sommes sauvés ! » a-t-il ironisé.
Maodun participe à sa deuxième action Ende Gelände [1]. « On est en train d’éventrer une superficie de 50 km² pour aller chercher une ressource qu’on ne devrait pas brûler, vu ses conséquences désastreuses, déplore-t-il. Il faut changer de cap maintenant, choisir démocratiquement et collectivement ce qu’on a envie de faire de ces terres. Ce n’est pas en continuant d’extraire que nous pourrons repenser collectivement et profondément notre rapport à l’énergie. Que la part du renouvelable augmente dans le parc énergétique, c’est bien, mais si on continue de brûler autant d’énergies fossiles, ça ne sert proprement à rien. »

À travers les fenêtres de leur bus, les Français ont également aperçu des excavatrices géantes, de près de 90 mètres de hauteur, creusant inlassablement le sol rhénan, riche en lignite. Dans la région, l’extraction de la sève brune balafre le paysage et les écosystèmes : en moins de quarante ans, 90 % de la forêt de Hambach ont été rasées pour extirper des dizaines de millions de tonnes de charbon. Les agrandissements successifs des trois mines de Rhénanie ont également englouti une douzaine de villages depuis 1961, entraînant le déplacement de milliers d’habitants. Et ce n’est pas terminé. À l’image de Keyenberg ou de Kukum, cinq nouveaux villages, transformés en bourgs fantômes, sont en passe d’être sacrifiés sur l’autel de l’extractivisme.
À tout juste 18 ans, Florian a enfourché son vélo et pédalé depuis Meerbusch, à une trentaine de kilomètres du camp, pour pouvoir participer à l’action. « Je ne viens pas d’un village menacé par les extensions de mines, précise le jeune activiste, mais ici nous connaissons tous très bien leurs histoires à travers des reportages ou des articles de journaux. Et ce n’est pas juste ! Des gens ne devraient plus être contraints de quitter leurs maisons pour permettre l’extraction du charbon, alors qu’on sait très bien qu’il faut le laisser dans le sol. Il en va de notre avenir à tous. »

Lorette Philippot, chargée de campagne aux Amis de la Terre, s’est déplacée à Viersen pour mettre en exergue les liens étroits entre RWE et les banques françaises BNP et Société générale. « Alors que le Crédit agricole a pris de nouveaux engagements ambitieux en début de mois, l’empêchant notamment désormais de soutenir RWE, BNP Paribas et Société générale restent d’importants financeurs du géant du charbon allemand, dit-elle. Ils ont chacun accordé 133 millions d’euros à RWE entre 2015 et 2018 et viennent de renouveler leur participation dans une ligne de crédit à 5 milliards d’euros à RWE, qui menace le climat et continue d’étendre ses mines aux dépens des forêts et des villages. »
« Opposant, devant les excavatrices, nos corps vulnérables »
Base arrière joyeuse de l’action de masse, le camp de Viersen est autogéré. Son organisation repose en grande partie sur le dévouement de centaines de bénévoles. La nourriture végane y est préparée dans de grandes marmites, et distribuée à prix libre. Les informations sont transmises en assemblées plénières et des discussions stratégiques sont débattues en plein air, en cercle. En vue de l’action, les activistes sont répartis en « fingers », c’est-à-dire en cinq groupes représentant les cinq doigts de la main. Chaque doigt est composé de groupes affinitaires, puis de binômes de confiance, dans lesquels chacun(e) peut compter sur les autres.

Les lieux se garnissent à mesure que les heures passent. L’espace de camping sature de tentes multicolores. Des débats, des projections, des ateliers et des formations à la désobéissance civile fleurissent aux quatre coins du camp. Des juristes bénévoles rappellent les risques juridiques engendrés par l’action, illégale. Les activistes sont incités, sans que cela ne leur soit imposé, à employer la stratégie de l’anonymat et du refus de donner leur identité aux policiers allemands. Ce qui les expose à des gardes à vue potentiellement plus longues, pouvant aller jusqu’à sept jours. Sur la pelouse, des groupes s’entraînent à courir et à percer des cordons de faux policiers, matraques en mousse et brumisateurs en main.
« La police peut te mettre en garde à vue, te tabasser, te gazer, et tu peux chuter, énumère Maodun. Nous sommes conscients des risques physiques et juridiques que nous encourons en opposant, devant les excavatrices, nos corps vulnérables. Mais le plus important dans tout cela, c’est que notre message politique porte, qu’on nous entende. Le camp et l’action, c’est aussi un moment où l’on montre qu’on peut vivre autrement, tourner collectivement le dos au monde tel qu’il existe aujourd’hui. Pas à la façon des survivalistes, qui s’isolent, mais ensemble. C’est une bouffée d’oxygène. »
À quelques heures de l’assaut, Canelle ne cache pas son appréhension : « Mercredi, je n’étais pas sûre de vouloir faire l’action, reconnaît-elle. Les années précédentes, des centaines de personnes ont fini en garde à vue ou se sont fait frapper. C’est anxiogène de voir ce que l’on risque. Mais le plus angoissant dans tout cela, ce sont surtout les gouvernements qui se fixent des objectifs pas très élevés, mais qui ne les respectent même pas. Aujourd’hui, on ne s’attaque pas seulement au charbon, mais à un système qui nous mène droit dans le mur. »
Ce vendredi, comme Canelle, ils seront des milliers d’Européens à rallier Garzweiler pour bloquer des rails, la mine à ciel ouvert et ses excavatrices géantes. Des activistes non violents, mus par une volonté farouche de ne pas laisser les grandes sociétés minières compromettre leur avenir. Ende Gelände réclame, pour cela, l’arrêt immédiat de l’exploitation du charbon en Allemagne, et non en 2038 comme l’a décidé la commission charbon, mise en place par le gouvernement allemand, dans ses conclusions rendues en janvier 2019.