Décision historique : pour la première fois un agriculteur fait plier Monsanto

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PesticidesC’est une première en France. Jeudi 10 septembre, la cour d’appel de Lyon a confirmé la condamnation de Monsanto. Le géant de l’agrochimie est reconnu responsable de l’intoxication de Paul François. L’agriculteur souffre depuis plus de dix ans de graves troubles physiques, à cause d’un herbicide très nocif : le Lasso.
« Ouf, ouf, ouf ! » Paul François laisse éclater son soulagement. Après huit ans de combat, la justice lui donne raison. Oui, le pesticide est bien à l’origine de sa longue maladie. Oui, Monsanto connaissait la dangerosité du Lasso et n’a pourtant rien fait. Oui, le géant étasunien est responsable de son calvaire.
Bien sûr, il reste nombre de questions en suspens. La firme va-t-elle se pourvoir en cassation ? Quel sera le montant des indemnisations ? Mais pour le moment, c’est un sentiment de victoire qui prévaut. « C’est une décision exemplaire et historique », répète Maître Lafforgue, l’avocat de la victime. « C’est la première fois en France qu’un fabricant de pesticides est condamné. » A ses côtés, Paul François s’exprime la gorge nouée par l’émotion : « Je suis très fatigué, mais ça valait le coup de se battre. »

Cinq mois d’hospitalisation et des séquelles à vie
Sa vie de céréalier charentais bascule le 27 avril 2004. Alors qu’il vérifie une cuve ayant contenu du Lasso, un herbicide qu’il pulvérise régulièrement sur ses champs de maïs, il inhale des vapeurs toxiques. S’ensuivent malaises, maux de tête violents, absences. Hospitalisé pendant cinq mois, il va de coma en coma, sans comprendre ce qui lui arrive. Il faudra attendre un an et l’intervention du Professeur André Picot pour connaître le coupable : le monochlorobenzène, un solvant hyper nocif entrant à 50 % dans la composition du Lasso.
Là commence un long combat. Contre la Mutuelle sociale agricole d’abord, pour faire reconnaître son intoxication comme maladie professionnelle. Puis contre Monsanto. Car pour Paul François, la firme connaissait les dangers de son produit. La preuve : le Lasso n’est plus vendu au Canada depuis 1985... bien avant son interdiction en France, en novembre 2007.

« Le pot de terre contre le pot de fer »
Le bras de fer judiciaire s’engage, et va se révéler ardu. « C’était du harcèlement quotidien, le côté humain n’existe pas dans leur stratégie », observe, amer, l’agriculteur. La firme va jusqu’à remettre en question sa maladie. Experts et huissiers défilent pour vérifier chacun de ses propos. « C’est comme si l’équipe de foot d’un petit village de campagne faisait un match contre le Barça », estime-t-il.
Mais Paul François ne se laisse pas intimider. Entouré de scientifiques bénévoles qui soutiennent sa cause, appuyé par l’association Phyto-victimes qu’il a co-fondée, il obtient une première victoire en 2012. Le tribunal de grande instance de Lyon reconnaît Monsanto « responsable » de son intoxication. La firme fait appel... mais son pourvoi vient donc d’être rejeté hier.
« Je les vois mal s’arrêter là », soupire le céréalier. Mais l’essentiel est gagné : même si les avocats de l’entreprise se pourvoient en cassation, Paul François en est convaincu, « on ne reviendra pas sur le fond. »

Une décision « historique »
Un combat de David contre Goliath, et une victoire « du pot de terre sur le pot de fer », sourit le céréalier. « C’est la première fois qu’un agriculteur fait condamner Monsanto », note la documentariste Marie-Monique Robin, jointe par l’AFP. Le symbole est fort.
Cette décision vient surtout « ouvrir une brèche importante contre les fabricants », estime Me Lafforgue. Les firmes pourront désormais être tenues responsables des maladies liées aux produits qu’elles vendent. Une quarantaine de cas similaires sont dans les tuyaux de la justice... et des centaines d’agriculteurs vivent avec les séquelles de leur exposition aux pesticides. L’avocat espère donc que la décision de la cour d’appel fera jurisprudence.

Mais le combat de Paul François ne s’arrête pas là. Outre le possible pourvoi en cassation, il reste la question des dédommagements. Me Lafforgue plaide pour la création d’un « fonds d’indemnisation des victimes des pesticides », abondé par les firmes agrochimiques, sur le modèle du fonds pour les victimes de l’amiante (Fiva). Mais comment estimer les dommages subis ? L’agriculteur souffre toujours des séquelles de son intoxication. « Je vis en permanence avec une épée de Damoclès », explique-t-il. « Il y a des jours où je ne peux pas travailler. Et puis qui sait ce qui va m’arriver : cancer, Parkinson... les médecins n’excluent rien. »
Au-delà, Paul François espère que cette victoire accélérera la prise de conscience chez les agriculteurs. « Il faut que notre profession réagisse, qu’on arrête la fuite en avant... Nous avons tous cru dans la chimie, mais il faut un virage de notre modèle agricole. Trop de vies ont été sacrifiées. »