Dénonçant l’évasion fiscale, les faucheurs de chaises les ont remises à la justice

En marge du procès Cahuzac pour fraude fiscale et blanchiment, les associations à l’initiative des opérations de fauchage de chaises ont organisé une restitution, à Paris, pour « demander à la justice un procès de l’évasion fiscale ».
- Paris, reportage
Les faucheurs de chaises ont restitué devant le Palais de justice, à Paris, lundi 8 février, les 196 sièges « réquisitionnés » dans des banques par des citoyens au cours des mois précédents. Alors que s’ouvrait ce même jour le procès de Jérôme Cahuzac pour fraude fiscale et blanchiment, Attac, Les Amis de la Terre et ANV COP 21 avaient donné rendez-vous à quelques mètres du Palais de justice pour « demander à la justice un procès de l’évasion fiscale ».

C’est sur la place du Châtelet que le ballet des chaises a joué sa scène finale. Un camion de déménagement est arrivé rempli de toutes les chaises subtilisées dans des agences bancaires partout en France.
« L’argent pour le climat, on sait où il est ! »
Débarquées de l’utilitaire, ces chaises et fauteuils d’agences bancaires ont défilé de mains en mains, en rythme, dans une chaîne harmonieuse. Très vite, le cortège s’est formé, sièges en l’air. Parmi la centaine de manifestants, Christian Sautter, ancien ministre de l’Économie sous le gouvernement Jospin, venu manifester « de façon joyeuse et sérieuse à la fois » et faire un rappel : « La Déclaration des droits de l’homme stipule que chacun doit payer la contribution publique, à la hauteur de ses moyens. L’évasion fiscale est aujourd’hui le moyen d’échapper à cette solidarité qui constitue l’un des ciments de l’État de droit. »

Direction l’île de la Cité et le Palais de justice, où se tenait le procès de Jérôme Cahuzac, ex-ministre du Budget accusé d’évasion fiscale. Le défilé citoyen entendait interpeller le Parquet et les services concernés : « La Justice ne s’empare de l’évasion fiscale que lorsque des lanceurs d’alerte mettent à jour des informations au prix de risques considérables, a regretté Thomas Coutrot, économiste et porte-parole d’Attac, faisant référence à Hervé Falciani (qui a révélé l’évasion fiscale de HSBC) et à Antoine Deltour (Luxleaks). L’État doit avoir une attitude beaucoup plus proactive d’investigation et de contrôle de l’activité des banques dans les paradis fiscaux. »

Mais sur le pont au Change, les services de police faisaient front. Dans le calme, le cortège s’est laissé encercler par le cordon de CRS. Un sitting s’est organisé, histoire d’utiliser une dernière fois ces chaises avant de les rendre. Pendant ce temps, Pierre Larrouturou a dénoncé le pouvoir du lobby bancaire en France. « Aux États-Unis, Obama a tenu bon et mis en place la loi Facta, qui est un vrai premier pas. En Europe, l’Allemagne et le Royaume-Uni avancent sur le sujet. Et à Bruxelles, ce sont les socialistes français qui bloquent sur la taxe Tobin… »

Une responsabilité d’autant plus grande que 60 à 80 milliards d’euros sont ainsi soustraits à la puissance publique : « Le rapport de la Fondation Abbé Pierre sur le mal-logement et les SDF, ou bien le projet d’ATD Quart-Monde intitulé “Territoires zéro chômeur de longue durée” sont autant de sujets de la détresse sociale qui méritent des investissement à la hauteur », a dit Patrick Viveret, faucheur de chaises dès le printemps dernier. « On prévoit la suppression de 12.000 postes dans les hôpitaux pour les prochains mois, a insisté de son côté Pierre Larrouturou. C’est un scandale de laisser filer autant de dizaine de milliards d’euros en même temps ! » « On sort de la COP 21 mais l’argent pour le climat, on sait où il est ! » a dit de son côté Malika Peyraut, des Amis de la Terre.
Les solutions ne demandaient pourtant qu’à être formulées
Pour les faucheurs, les solutions existent pour récupérer cet argent : la transparence totale des banques ou la confiscation de la gestion des fonds de retraite aux banques convaincues de fraude. « L’État français doit montrer l’exemple et ne plus travailler avec des banques qui possèdent des avoirs dans les paradis fiscaux », a expliqué Pierre Larrouturou. « Il faudrait embaucher 10.000 postes supplémentaires dans le contrôle fiscal pour gérer et traiter les informations », a proposé de son côté Thomas Coutrot.

Mais face au refus policier, les activistes n’auront pas eu le loisir de porter plus loin leur revendication. La farandole multicolore des chaises s’est arrêtée sur le pont au Change, entre la place du Châtelet et le Palais de justice. « Nous comptons sur les forces de l’ordre pour les remettre à la justice », a ironisé Jon Palais, coorganisateur pour ANV COP 21.
Clap de fin pour la mobilisation des faucheurs de chaise ? Pas tout à fait, puisqu’il en resterait une cinquantaine chez différentes personnalités. La vigilance reste de mise : ces dernières semaines, de Marseille à Bayonne, les convocations de police se sont multipliées.