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Énergie

Des centrales électriques aux mains des habitants, et ça marche !

Depuis 2010, l’idée de centrales de production électrique villageoises a essaimé à partir de la région Rhône-Alpes. Une petite vingtaine fonctionnent aujourd’hui grâce à l’investissement d’acteurs locaux, promouvant une énergie produite localement et générant des richesses mieux partagées, explique notre chroniqueur.

Dans le secteur de l’énergie, deux mondes s’affrontent : l’ancien, celui des combustibles fossiles et carbonés ; et le nouveau, celui de technologies capables de récolter les innombrables et inépuisables ondulations de la nature. Parce que les questions énergétiques concentrent tous les enjeux (sociétaux, économiques, politiques, climatiques), elles méritent qu’on les explique en prenant de la hauteur. Telle est l’ambition de la chronique d’Yves Heuillard, ingénieur et journaliste.

Yves Heuillard est ingénieur et journaliste.

Le 2 juin 2018, les 26 installations photovoltaïques du Pays mornantais (au sud-ouest de Lyon) ont commencé à produire de l’électricité. Au plan technique, le projet est classique : 26 toitures (privées ou communales) de la communauté de communes sont reliées au réseau de distribution électrique de Enedis. L’estimation de production annuelle est de 282.000 KWh pour une puissance de 257 Kwc [1]. Cela représente à peu près la consommation annuelle de 250 foyers, hors chauffage et production d’eau chaude.

Pourquoi l’inauguration du projet attire-t-elle des centaines de citoyens locaux ? Parce que, pour la plupart, ils sont actionnaires et acteurs d’un projet auquel participent population, entreprises locales, élus, associations et collectivités territoriales. Bienvenue dans le monde de l’association Centrales villageoises et de la production collective d’énergies renouvelables par les citoyens.

L’idée des centrales de production électrique villageoises a été portée dès 2010 par l’Agence régionale pour la transition énergétique des territoires de la région Auvergne-Rhône-Alpes et les parcs naturels régionaux. Au départ, il s’agissait, explique Noémie Poize, « d’une expérimentation pour mettre au point et tester un modèle d’investissement citoyen sur des sites pilotes [de production d’énergies renouvelables]. Puis nous avons établi une charte et créé un comité d’engagement pour valider l’adhésion des porteurs de projets à la charte, et progressivement l’idée a essaimé dans les territoires voisins. […] Il faut comprendre que beaucoup de projets privés sont déconnectés des territoires, nous avons voulu imaginer un autre modèle pour le développement des énergies renouvelables, plus ancré localement et générant des richesses mieux partagées ».

« Emmener les citoyens vers des projets d’énergies éthiques sur le long terme » 

Le premier projet a démarré en juin 2014 dans le parc naturel régional du Pilat (la photo d’ouverture de l’article) sur la commune des Haies (Rhône) (8 toitures pour une puissance de 76 kWc). Depuis, 34 centrales villageoises ont été créées ou sont en projet sur 34 territoires. En juillet 2018, 17 centrales sont en fonctionnement, et leurs 210 toitures connectées produisent de l’ordre 2,2 GWh/an (1 GWh = 1 million de kilowattheures). Toutes les centrales se sont regroupées en 2018 dans l’association nationale Centrales villageoises. Chacune est constituée sous la forme de SAS (société par actions simplifiée) à gouvernance coopérative, ou de Scic (société coopérative d’intérêt collectif) ; chaque actionnaire, quel que soit le nombre de ses parts, dispose d’une voix. « Le modèle est fondé sur le partage d’expériences et d’outils (statuts, modélisation financière, contrats types, baux pour la location de toits, cadre comptable, site web commun, etc.), et on négocie à 34 au lieu de négocier tout seul (par exemple pour les contrats d’assurance) ; c’est pour ça que nos projets sont rentables », explique Julien Antouly, administrateur de Centrales villageoises Val-d’Eyrieux (Ardèche) et vice-président de l’association nationale, « une dizaine de projets ont rejoint l’association en 2017 et nous avons maintenant une nouvelle candidature par mois ».

L’école d’Abriès (Hautes-Alpes) est partenaire de Centrales villageoises Ener’Guil, dans le parc naturel régional du Queyras.

« Mais la rentabilité n’est pas forcément l’objectif premier, indique Christophe Albert, président de Centrales villageoises Quatre Montagnes, dans le Vercors, l’idée des centrales villageoises est d’emmener les citoyens vers des projets d’énergies éthiques sur le long terme, et de se grouper pour pouvoir installer mieux et plus. Au début, Quatre Montagnes n’avait que dix actionnaires, maintenant nous sommes 120, la très grande majorité étant des particuliers ; les projets ne sont pas spéculatifs, nous pouvons choisir de ne pas reverser de dividendes et de réinvestir ; l’objectif c’est de favoriser les énergies renouvelables, ce n’est pas la Bourse. » Selon Christophe Albert, à montant investi équivalent, le modèle Centrales villageoises permet d’installer jusqu’à trois fois plus de panneaux que ne le ferait un particulier seul [accès aux subventions européennes via la région, accès plus facile au crédit, pouvoir de négociation]. Depuis l’origine, Centrales villageoises Quatre Montagnes a investi 210.000 euros (pour 90 KWc) et devrait installer encore 220.000 euros (pour 100 KWc) dans l’année qui vient.

Entreprises locales qualifiées et mode de gouvernance coopératif

Les centrales villageoises ne concernent pas seulement le solaire photovoltaïque. Sont également envisagés, selon les régions, le petit hydraulique, le biogaz, le solaire thermique intégré dans les réseaux de chaleur, l’autoconsommation collective [2], les réseaux intelligents. « Nous nous intéressons également à la réduction des consommations et nous réfléchissons à la mise en place d’une négociation collective pour les certificats d’économies d’énergie », ajoute Julien Antouly.

Pour se lancer dans un modèle collectif de production d’énergie renouvelable, il suffit de regrouper un noyau d’acteurs intéressés, définir un projet, commencer à réunir un petit collectif d’actionnaires fondateurs, s’assurer du soutien des collectivités, et solliciter l’adhésion à l’association Centrales villageoises. Ce n’est pas obligatoire bien sûr, mais l’administration du projet devient beaucoup plus simple, avec la mise à disposition de compétences bien rodées en matière d’action publique, de choix techniques, et d’ingénierie financière. L’accès à l’emprunt se trouve également facilité par la crédibilité de l’association. Seule contrainte : adhérer à la charte de l’association, qui impose notamment de faire travailler des entreprises locales qualifiées, et de se doter d’un mode de gouvernance coopératif. Selon nos interlocuteurs, dès lors que les fonds sont collectés auprès des actionnaires, il faut environ une année pour installer et mettre en service un projet photovoltaïque.

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