Des collectifs citoyens repoussent l’installation d’antennes de téléphone

Durée de lecture : 6 minutes
5G et téléphone LuttesLes protestations contre les implantations d’antennes-relais se multiplient dans toute la France. Mêlant action de terrain et recours juridiques, elles font parfois reculer les opérateurs de téléphonie.
« Allô, vous m’entendez ? Le réseau ne passe pas très bien chez nous. Ça prouve que l’antenne n’est pas encore installée ! Attendez, je vous rappelle avec mon téléphone fixe. » Pas facile de contacter les militants contre les antennes-relais, a fortiori lorsqu’ils vivent dans une zone blanche qu’ils entendent farouchement protéger. Nous sommes en Bretagne, au cœur des monts d’Arrée. Depuis trois ans, les habitants du village de Saint-Cadou et des alentours se battent contre l’installation d’une antenne de l’opérateur Free. Réunis au sein de l’association Kurun — « tonnerre » en breton —, ils ont multiplié les recours juridiques, les interpellations publiques et les coups médiatiques, comme l’installation de deux cabines téléphoniques à l’ancienne au cœur du village. « C’est pour faire plaisir à ceux qui disent que sans antenne, on ne pourra pas appeler les secours en cas d’urgence », raconte une membre de l’association.
En dépit de la mobilisation, les bûcherons sont arrivés le 16 novembre dernier pour abattre des arbres avant les travaux. Les membres de l’association se sont alors interposés physiquement, déployant des banderoles et grimpant dans les arbres, comme on peut le voir sur leur vidéo. Une mobilisation victorieuse : les travaux ont été temporairement stoppés. « On a été étonnés de parvenir à les faire reculer car on ne s’attendait pas à ce qu’autant de personnes viennent en plein confinement, » raconte une militante à Reporterre. « Beaucoup de gens vivent ici pour bénéficier de cette zone préservée. Des électrosensibles nous ont même contactés pour savoir s’il y avait des terrains où s’installer. Et puis, surtout, les gens ne sont pas forcément opposés aux antennes, mais ils ont l’impression que les industriels auront tous les droits et qu’il ne nous en restera aucun ! »
Faute de zone protégée, ou de monument historique à proximité, l’association peine à trouver des arguments juridiques forts pour contrer le projet. « L’installation de cette antenne est révélatrice d’un choix de société qui nous déplaît. Nous sommes nombreux à être ici car nous ne voulons pas vivre de façon ultraconnectée. Mais ce n’est pas toujours facile d’être à contre-courant de la pensée dominante. On a toujours l’impression d’être face à plus puissant que nous, » explique Ludivine, également membre de l’association Kurun.
Le Code de l’urbanisme : seul outil juridique des opposants
S’opposer à l’implantation d’antennes-relais s’avère très compliqué. Les maires, par exemple, ne disposent quasiment d’aucun pouvoir et ne peuvent pas réellement demander un moratoire, comme Reporterre l’avait expliqué. Seul le recours à l’article R. 111-27 du Code de l’urbanisme peut éventuellement faire pencher la balance, si le projet d’antenne est « de nature à porter atteinte au caractère ou à l’intérêt des lieux avoisinants, aux sites, aux paysages naturels ou urbains ainsi qu’à la conservation des perspectives monumentales ».
Le Code de l’urbanisme est justement l’outil utilisé à Bagnères-de-Bigorre, dans les Hautes-Pyrénées. En 2019, la société Orange a décidé d’installer un pylône de vingt-cinq mètres sur les allées Maintenon, suscitant l’ire des habitants des villages voisins, qui refusaient que ce lieu classé au patrimoine ne soit « défiguré ». Ils ont été rejoints dans leur combat par des spécialistes de l’urbanisme, comme Sophie Descat, déléguée de l’association Sites et monuments pour les Hautes-Pyrénées. S’appuyant sur l’article article R. 111-27 du Code de l’urbanisme, elle a estimé que le projet soulevait des questions esthétiques d’intérêt général et que le choix de l’emplacement était malvenu. « Même l’architecte des Bâtiments de France et l’inspectrice des sites, qui ont eu connaissance du dossier, ont souligné que l’installation de cette antenne serait de nature à nuire au paysage et à l’environnement et ne pouvait être validée. »
En dépit des contestations, les travaux ont commencé le 4 janvier dernier. Prévenus par des riverains, une quinzaine d’opposants sont venus dès huit heures du matin bloquer l’entrée du chantier : les ouvriers sont repartis quelques heures plus tard après un constat d’huissier. « C’est une victoire pour nous », explique Renaud de Bellefon, membre de France Nature Environnement 65 et de l’association La Voix verte. « D’autant qu’on n’est pas totalement en zone blanche. Certes, il y a peut-être des gens qui ont envie d’avoir une antenne. Mais à quel coût ? Celui d’une destruction des paysages pour satisfaire quelques personnes ? »

Contacté par Reporterre, Orange assure prendre en compte « l’opposition à son projet de création d’un nouveau relais mobile à Bagnères-de-Bigorre et a décidé de suspendre les travaux sur les allées Maintenon ». L’opérateur explique vouloir travailler en concertation avec les élus pour « trouver un emplacement alternatif (…) pouvant répondre aux objectifs de couverture attendue ».
La grogne monte dans toute la France
Atteinte au paysage, absence de concertation locale, inquiétudes sur les effets sanitaires : de nombreux collectifs et associations se sont créés dans toute la France ces derniers mois pour lutter contre l’installation d’antennes-relais. Et les exemples se multiplient dans la presse locale. À Carnac (Morbihan), des habitants ont remporté en fin d’année une première manche au tribunal administratif, qui a ordonné la suspension des travaux en attendant un jugement sur le fond. Le collectif s’appuie sur la loi Littoral et notamment sur l’impossibilité de construire en dehors de la continuité du bâti. Dans le Tarn, les habitants de la commune de Saint-Juéry se mobilisent contre l’implantation d’une antenne de Free pour des raisons visuelles.
Les édiles locaux s’emparent parfois du sujet, comme à Arleux (Nord), où un conseiller municipal d’opposition a formé un recours auprès du tribunal administratif. En Ardèche, des habitants de Mercuer réclament un moratoire.
Mais cette résistance, plus visible qu’auparavant, n’est pas nouvelle, selon Orange : « Nous ne pouvons pas affirmer que ce phénomène soit en augmentation. Ces derniers temps, ces oppositions ont été plus médiatisées avec l’arrivée de la 5G, qui est devenue un sujet politique. »
Le nouveau réseau suscite également de fortes inquiétudes auprès de la population ainsi que de certaines autorités environnementales. Des craintes auxquelles ni l’État ni les opérateurs de téléphonie n’ont apporté de réponses satisfaisantes.